4 août 2018

Locarno 2018 | ★★★★ | Sophia Antipolis

Locarno 2018 | ★★★★ | Sophia Antipolis

Réalisé par Virgil Vernier
Une jeune femme consulte un chirurgien pour une augmentation mammaire, une association ésotérique prépare la reconstruction du monde de demain, une milice parcourt Nice et sa région pour faire le travail d’une police défaillante…
Un bref résumé suffit à faire comprendre que le dernier long-métrage de fiction de Virgil Vernier n’est pas à classer avec le tout-venant. Cependant, s'il passe d’un personnage à l’autre, apparemment sans préoccupation narrative, il ne les traite jamais à la légère. En quelques plans (d’une précision graphique remarquable mais jamais étouffante), en quelques phrases, en quelques situations, il leur donne vie et parvient à nous faire comprendre leur envie de s’entourer des autres pour ne pas être seuls face à un monde de plus en plus complexe, un monde qui leur inspire des craintes sans jamais leur apporter de réponses. Car non seulement le cinéaste aime ses personnages, mais il sait les laisser vivre, il sait les observer, il sait en faire surgir les failles sans en avoir l’air. C’est par ce biais qu’il donne à son film une cohérence. Tous ces personnages cherchent à améliorer un monde à leur façon: Améliorer son petit monde adolescent (la chirurgie), celui de demain (le groupe spirituel) ou celui d’aujourd’hui (la milice). Mais au-delà de ce portrait impressionniste d’un monde qui se cherche, déjà brillamment exécuté, Vernier va plus loin dans les dernières minutes. Pour conclure, il s’arrête en effet sur une jeune femme, probablement le personnage le moins déconnecté de la réalité de tout le film. Il la filme avec la même justesse, le même respect, la même sensibilité que tous les autres… mais elle possède la lucidité que les autres n’ont pas. Elle ne maîtrise pas la marche du monde, ne cherche pas forcément à la bouleverser, mais apporte quelques réponses (et avec elles, des liens entre tous les éléments du film).
Elle est en quelque sorte comme le film de Vernier. Tous les deux, ils ont côtoyé des êtres submergés d’illusions en raison d’une quête improbable de réponses inexistantes. D'ailleurs, comme le cinéma de Vernier (avec une manière toute particulière, pour le cinéaste), elle reste dans le réel. Peut-être a-t-elle déjà compris, comme Vernier, que c’est en lui faisant face qu’on peut essayer de le comprendre un peu mieux.

(Film visionné dans le cadre de notre collaboration avec Festival Scope | Film disponible gratuitement sur cette plateforme en août 2018, sous réserve des places disponibles).

3 août 2018

 Fantasia 2018 selon Pascal Grenier | 3/3

Fantasia 2018 selon Pascal Grenier | 3/3

Bodied (Joseph Kahn)
À en juger par la qualité des nombreux films visionnés au cours des trois dernières semaines, la 22e édition du festival international de films Fantasia ne passera pas à l’histoire. Est-ce le reflet de la pauvreté du cinéma de genre actuel? Probablement, mais cela vient peut-être aussi de la difficulté pour les organisateurs de trouver de bons films à temps pour le festival. Cependant, malgré une programmation décevante en général, certaines œuvres ont retenu mon attention lors de la dernière semaine.

Après son passage au TIFF en septembre l’an dernier, il reste impensable qu’un an plus tard ou presque, le sulfureux et délicieux Bodied de Joseph Khan (Torque, Detention) n’ait toujours pas trouvé preneur auprès des distributeurs. Véritable hymne à la liberté d’expression, cette virulente critique de la société américaine sur l’art de performance qu’est le battle rap trouve sa cible en s’attaquant ouvertement à la rectitude politique de plus en plus présente sur les médias sociaux et sur toutes les sphères en général. Le scénario frappe dans le mille et la mise en scène dynamique suscite l’intérêt d’un bout à l’autre.

Modeste mais bien construit, le film d’épouvante The Witch and the Window de Andy Mitton est le genre de film qu’on aimerait voir plus souvent. Le réalisateur privilégie l’atmosphère aux effets-chocs ou sanglants et le film gagne au change avec cette progression dramatique plus senti que dans la moyenne des films du genre. Une belle réussite comme on en a peu vu au festival cette année.

Sept ans après son documentaire satirique The Ambassador, le danois Mads Brügger passe à la fiction avec le drôlissime St. Bernard Syndicate. Tout en gardant un style proche du documentaire, cette satire subversive sur le capitaliste mondial offre un curieux mélange d’épisodes ironiques et de situations étranges. Bien que la finale laisse un peu à désirer, on se laisse charmer par ce mélange d’ironie et d’observations sociales qui renvoie au True Stories de David Byrne revu et corrigé par Christopher Guest.

1 août 2018

Juillet 2018 selon Martin Gignac

Juillet 2018 selon Martin Gignac

Mission: Impossible - Fallout (Christopher McQuarrie)
Chaque mois, Cinefilic revient sur les films qui ont fait... le mois, justement. Une façon de conserver à jamais ces moments marquants, de ramener vers la lumière des images avant des les laisser s'engouffrer dans l'ombre des salles de cinéma et de notre mémoire.

Juillet rime avec Fantasia, ce festival doté de centaines de longs-métrages à découvrir pour le meilleur comme pour le pire. Cette année on retiendra le jouissif Tokyo Vampire Hotel de Sion Sono et ses visions de l'apocalypse, la bouleversante animation Maquia: When the Promised Flower Blooms de Mari Okada sur l'amour maternel, le fort en bouche Microhabitat de Jeon Go-woon qui ressemble à tout sauf à une production de Fantasia dans sa façon de traiter de la marginalité et l'itinérance.
Surtout, il y a eu le colossal Hanagatami de Nobuhiko Obayashi (House), une œuvre testamentaire qui ne ressemble à rien d'autre et dans laquelle il faut absolument s'abandonner pour atteindre le nirvana. Plusieurs personnes sont sorties de la projection. Les autres étaient en extase devant cet incroyable pensum sentimental et mélancolique qui bouleverse la moindre règle cinématographique.

Ce fut également ce moment de l'année où quelques-unes des meilleures créations de Sundance sont arrivées sur le territoire québécois. Stupéfaction totale devant Sorry to Bother You (de Boots Riley), un récit inclassable et contestataire sur l'ordre établi: une sorte de Get Out encore plus cinglé et total.
D'une rare intimité est cette magnifique histoire père/fille racontée dans Leave No Trace, où le social se heurte à la sphère familiale. La trop rare Debra Granik (Winter's Bone) est décidément la cinéaste américaine la plus intéressante du moment!
Davantage surprenant fut Three Identical Strangers (de Tim Wardle), un documentaire plus étonnant qu'une fiction dans lequel le spectateur se sent aussi manipulé que ses sujets.

Suivant un chemin un peu plus balisé  celui des frères Dardenne et de Jia Zhangke  Vivian Qu accouche  néanmoins avec Les anges portent du blanc  d'une métaphore puissante sur la corruption et la difficulté des femmes à faire entendre leurs voix. On y voit cette image, inoubliable, d'une immense statue de Marilyn Monroe qui dévoile des dessous moins enchanteurs que prévu. À regarder en doublé avec le très coloré Ciao Ciao de Song Chuan pour prendre le pouls du rare cinéma chinois qui arrive jusque chez nous.

Impossible de passer sous silence le brio de Mission: Impossible - Fallout. Dans un été hollywoodien complètement abject, il s'agit sans aucun doute de l'unique superproduction américaine à voir sur grand écran. Le réalisateur Christopher McQuarrie se prend momentanément pour Christopher Nolan avec ses scènes d'action hallucinantes et Tom Cruise éclipse les quelques défauts en place grâce à son charisme légendaire. Voilà un film qui fait un bien fou pendant la chaude saison estivale!