13 septembre 2018

★★★ | Mandy

★★★ | Mandy

Dans les salles du Québec le septembre  2018
Critique rédigée dans le cadre du festival Fantasia 2018

Dès les premières scènes, Mandy de Panos Cosmatos, plonge le spectateur dans un univers visuel unique et envoûtant. En 1983, Mandy (une interprétation brillante d’Andrea Riseborough) et Red (Nicolas Cage) habitent une maison isolée en pleine forêt. Heureux, ils vivent un amour fusionnel sans se douter que les forces du mal rodent non loin d’eux. Ces moments de leur quotidien sont sans doute les plus intéressants du film. La vie commune du couple nous permet d’entrevoir la profondeur du personnage Mandy. Ses illustrations représentant un monde de science-fiction sont transposées à l’écran de manière inspirée. D’ailleurs, l’aspect visuel du film est l’une de ses plus belles qualités. La photographie ainsi que les effets spéciaux nous rappellent un cinéma d’une époque. De plus, la fascinante trame sonore du compositeur Jóhann Jóhannsson renforce habilement l’atmosphère troublante qui se dévoile lentement. Mais la transition entre la vie paisible et l’histoire de violence qui suivra ne se fera pas sans heurts. Le traitement autour du culte religieux nous laisse sur notre faim. L’introduction trop longue de ses membres ainsi que de leur maître n’apporte rien de plus au scénario si ce n’est que de justifier certaines motivations douteuses. La seconde moitié du film se déroule comme une suite logique d’événements. Red, le cœur brisé et sous le choc, se fait un point d’honneur de venger la mort de sa douce. Il part donc à la chasse contre les hommes (et les femmes) qu’il sait coupables. Aidé d’une formule spéciale de LSD, notre héros sans peur et sans reproches infligera de terribles souffrances à ses opposants. Dans une logique d’œil pour œil, le sang coulera à flots. Tel un tigre sortit de sa cage, Red pourra finalement exprimer sa rage. Les amateurs des films de John Carpenter ou de Walter Hill trouveront leur bonheur. D’ailleurs, de nombreuses références au cinéma des années 70 procurent un charme certain à Mandy.
Cependant, on aurait aimé une certaine prise de risque chez le réalisateur (qui est également coscénariste). Pourquoi ne pas transcender l’hommage et offrir une alternative aux films du genre. Andrea Riseborough est resplendissante dans son interprétation du rôle de Mandy. En quelques scènes, elle parvient à nous démontrer la force intérieure de son personnage. Toutefois, cette force n’est pas traduite en action et Mandy devient rapidement la victime à sauver. Torturée, maltraitée, elle n’est plus maîtresse de sa destinée et sera reléguée au rôle de moteur de vengeance pour le personnage masculin. On se demande comment aurait été le film si le réalisateur avait pris un risque et choisi d’inverser les rôles, avec Mandy en héroïne et non en victime. 
Soyez sans crainte, le film fonctionne tout de même très bien. L’histoire est prenante (surtout le premier tiers), les scènes d’action sont bien chorégraphiées, la trame sonore transporte le spectateur dans un état de transe et visuellement l’ensemble est inspirant. Panos Cosmatos réussi bien son hommage au cinéma, à la musique et à la littérature qui l’ont marqué. Il aurait juste été intéressant de voir Mandy se lancer à la poursuite des responsables de la mort de son amoureux. Ce sera pour une prochaine fois!
★★½ | Madeline's Madeline

★★½ | Madeline's Madeline

Réalisé par Josephine Decker | Dans les salles du Québec le 14 septembre 2018 (Cinéma du Parc)
Critique rédigée dans le cadre du festival Fantasia 2018

L'adolescente Madeline (Helena Howard, révélation que l'on espère revoir très bientôt) s'éveille petit à petit au désir, doit faire face à une mère un peu trop protectrice et passe par la case théâtre, activité qui semble aussi importante sur le plan créatif que pour l'aider à améliorer sa vie (accepter celle de demain et régler ses comptes avec celle d'hier et des problèmes de santé mentale). Avec un tel point de départ, et de tels sujets abordés (passage à l'âge adulte, rôle quasi thérapeutique de la création, environnement familial pesant, etc.), Josephine Decker aurait facilement pu tomber dans le piège de la sur-explication narrative et du recours excessif à la psychologie. Sa grande force est d'avoir tourné le dos à ces passages obligés du cinéma mainstream. Elle préfère nous présenter son héroïnes et les enjeux de son récit par petites touches qui viennent progressivement former en ensemble cohérent, composé de personnages dont on sait assez peu de choses, mais qui finissent par être toutefois suffisamment définis.
Malheureusement, elle va un peu trop loin dans sa démarche, en optant pour un angle qui aurait pourtant pu ne pas nous déplaire: utiliser le plus possible les armes du cinéma, en jouant sur le son, le cadrage, la mise au point, dans le but (trop) évident de traduire les sentiments de son héroïne, son rapport au réal, son imprévisibilité, sa fragilité… Malheureusement, tous les effets dont (ab)use Decker ne parviennent jamais à nous faire ressentir une émotion. Ils ne sont rien d'autre que des artifices au service d'intentions trop visibles. Ainsi, jamais le spectateur doit se contenter de subir des effets de cinéma destinés à traduire cette émotion. Par conséquent, l'envie de cinéma de Decker étouffe constamment son héroïne et, avec elle, son propos.
Pourtant, dans une scène magnifique qui permet à Madeline de régler ses comptes avec sa mère sous couvert d'une performance scénique, le cinéma de Decker se fait plus subtil, ses effets moins ostensibles: le résultat est d'une grande force. Certes, ce moment où Decker se libère de l'usage de ses effets trop maladroits correspond à celui où l'héroïne se libère de la chape maternelle. Si on comprend la volonté conceptuelle, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si elle était vraiment indispensable. Decker n'aurait-elle pas pu nous faire ressentir des émotions, au lieu de nous montrer par quel moyen elle souhaitait y parvenir?

7 septembre 2018

★★★½ | We the Animals

★★★½ | We the Animals

Réalisé par Jeremiah Zagar | Dans les salles du Québec le 7 septembre 2018 (EyeSteelFilm)
We the animals, premier long-métrage de fiction du réalisateur Jeremiah Zagar est une adaptation fascinante du roman de Justin Torres. En évitant toute forme de voyeurisme, Zagar demeure fidèle à son instinct de documentariste. Il nous invite à observer les tribulations d’une famille dont la destinée semble sans issue. Les problèmes financiers (les deux parents occupent des emplois sous-rémunérés) et familiaux (l’équilibre du couple est des plus vacillants) nous laissent présager le pire pour les enfants qui sont véritablement livrés à eux-mêmes. C’est d’ailleurs sur ces enfants (trois jeunes comédiens non professionnels), que le réalisateur jette son regard bienveillant. Il s’attardera sur le plus jeune des trois (Evan Rosado), qui se retrouve en pleine période de confusion face à sa sexualité.
La mise en scène (montage impressionniste, choix musicaux, direction photo), se retrouve à la hauteur des enfants. Une liberté s’en dégage. Tout en suivant une courbe dramatique, la structure fluide du récit nous permet de constants échappatoires vers l’imaginaire du plus jeune des garçons. Passionné par le dessin, il illustre son quotidien dans un cahier qu’il cache aux autres membres de sa famille. Ce jardin secret est partagé avec le spectateur sous la forme de séquences d’animations qui s’intègrent parfaitement au récit.
Zagar nous propose une œuvre sensible sur la résilience. Ici, les enfants sont les plus forts. Aussi solides (voire plus) que les adultes autour d’eux. Dans le rôle des parents, Sheila Vand et Raoùl Castillo offrent tous deux une interprétation tout en finesse. Malgré les imperfections qui habitent leurs personnages, on arrive tout même à réaliser les nuances et les profondeurs de leurs caractères. Tout n’est pas noir ou blanc. Le film évolue avec aisance dans cette zone de gris. Il est question de pauvreté, de racisme (le père est portoricain), de violence conjugale, de dépression, d’homosexualité. À tout moment, le film nous donne l’impression de glisser vers le mélodrame. Contre toute attente, Zagar parvient à garder un équilibre en traitant ces thèmes avec compassion.
We the animals confronte avec brillance la dure réalité à la poésie de l’enfance.