23 novembre 2018

★★★½ | À tous ceux qui ne me lisent pas

★★★½ | À tous ceux qui ne me lisent pas

Réalisé par Yan Giroux | Dans les salles du Québec le 23 novembre 2018 (Les films Séville)
À tous ceux qui ne me lisent pas est une réflexion lucide à la fois douce et amère sur les méandres de la vie d’artiste. Dans le cas présent, le film explore la période qui a mené à la création du recueil de poésie d’Yves Boisvert ; Les Chaouins. Tel un poète ambulant (interprété avec brio par Martin Dubreuil), le personnage principal semble en constante confrontation avec le monde qui l’entoure. Son désir de création consume tout autour de lui. C’est ce désir de créer sans compromis qui se transpose dans ce premier long-métrage de Yan Giroux: il signe une œuvre quasi calquée sur le caractère bouillant et imprévisible de son protagoniste.
On rit, on grince des dents, on soupire par moments puis bien souvent, on est touché au cœur. Avec une certaine sensibilité, le film propose un questionnement nécessaire sur le rôle, la place ainsi que la définition de l’artiste dans la société québécoise. S’il faut souligner l’interprétation de Martin Dubreuil, on ne pourrait passer sous silence le reste de la distribution (Céline Bonnier, Jacques L’Heureux, Henri Picard, Marie-Ève Perron) qui offre également nuances et profondeurs à chacun de leurs personnages. Visuellement, les images signées par Ian Lagarde insufflent une touche poétique à l’ensemble du film.
En s’éloignant de la proposition biographique classique, le film se permet d’explorer une avenue plus expérimentale (liée à l’un des personnages du film). Cette rupture de ton pourra déstabiliser le spectateur tout en renforçant le propos artistique du réalisateur (une ode à l’art hors des normes établies). À tous ceux qui n’ont jamais lu l’œuvre d’Yves Boisvert, le film de Giroux ouvre une fenêtre d’une étrange beauté sur le parcours atypique d’un poète malheureusement disparu.

16 novembre 2018

★★★½ | Mademoiselle de Joncquières

★★★½ | Mademoiselle de Joncquières

Réalisé par Emmanuel Mouret | Dans les salles du Québec le (K-Films Amérique)
Avec Mademoiselle de Joncquières, Emmanuel Mouret part sur les traces de Diderot et Melville (le second avait déjà librement adapté le premier dans Les Dames du bois de Boulogne), mais jamais le cinéaste ne semble étouffé par ces prestigieuses références. Son travail d'adaptation est remarquable, avec ce scénario dont la construction intelligente laisse apparaître progressivement la complexité des sentiments et des êtres. Ces derniers sont complexes car jamais ni totalement bons ni franchement mauvais, et Mouret sait jouer avec les caprices de la fatalité, véritable révélateur de la nature humaine. À ce sujet, au-delà de l'écriture admirable, le talent des comédiens (Edouard Baer et Cécile de France) est une autre des grandes qualités du film. Signalons aussi le judicieux choix de Laure Calamy pour incarner un personnage absent de l'oeuvre de Diderot. Cette femme, qui ne prend pas parti, toujours réfléchie, qui refuse la dictature de l'émotion et accepte la complexité des choses, apparaît comme un double du cinéaste et aide le spectateur à prendre de la distance et à avoir une vision plus globale et moins immédiate.
Au niveau de la mise en scène, Mouret semble vouloir s'effacer en utilisant peu de gros plans et un montage discret, comme si la caméra voulait se faire oublier pour laisser toute la place aux dialogues et aux personnages. Le rythme s'en ressent parfois (surtout au début), mais intelligemment, Mouret accélère progressivement l'enchaînement des scènes au moment où les personnages perdent de plus en plus le contrôle sur leurs sentiments et sur leur destiné.
Le cinéaste avait déjà amorcé un petit virage, mais le confirme: au lieu de s'enfermer dans un style (la comédie romantico-burlesque), il prend le risque de créer en sortant de sa zone de confort. Et il le fait décidément très bien!
★★★ | Widows (Veuves)

★★★ | Widows (Veuves)

Réalisé par Steve McQueen | Dans les salles du Québec le 16 novembre 2018 (20th Century Fox)

Le quatrième film du réalisateur Steve McQueen (Shame, 12 Years a Slave), nous plonge dans un univers de corruption politique et de crime organisé. Le scénario habilement construit dévoile une histoire de vengeance des plus jouissives. Le spectateur suivra un groupe de femmes réuni par des événements tragiques. Forcées de commettre un vol, elles élaboreront un plan afin de réussir leur coup. Si certaines comparaisons peuvent être faites avec le récent Ocean 8 (Gary Ross), Widows accorde un peu plus d’importance aux circonstances sociales et économiques qui mènent ses personnages à une vie de crime.
Une mise en scène solide nous révèle un thriller captivant. Attentif à chaque moment, le spectateur n’aura qu’une envie, celle de la réussite de ces quatre femmes. Est-ce parce qu’elles nous sont présentées en victimes au tout début du film ? Abusées et trahies par les hommes autour d’elles ? L’une des évidences du film tient en ce que les personnages masculins (pour la majorité) sont rapidement présentés comme des menteurs, abuseurs, amoureux du pouvoir, manipulateurs ou violents. Pourtant, plus on avance dans le récit, plus le réalisateur parvient à équilibrer et à nuancer notre perception des personnages (autant celle des hommes que celles des femmes). La distribution hors pair contribue énormément à projeter la dualité humaine.
Au final, ce grand coup qui réglera tous les problèmes de nos protagonistes devient un prétexte pour le réalisateur qui aborde finement des enjeux personnels et sociaux qui secouent encore notre époque. Malgré quelques écarts vers la fin (notamment une révélation qu’on aurait aimée plus nuancée), Widows demeure une œuvre tout aussi frappante que divertissante.

15 novembre 2018

★★★ | L'amour

★★★ | L'amour

Réalisé par Marc Bisaillon | Dans les salles du Québec le 16 novembre 2018 (Filmoption International)
Marc Bisaillon conclut sa trilogie sur le silence coupable avec L'amour, où il s'inspire d'un nouveau fait divers qui a ébranlé le pays: celle d'un jeune homme habitant le Québec qui s'est mis dans le pétrin en visitant son père aux États-Unis.
Si l'histoire est connue et que la «révélation» se devine aisément, le cinéaste emprunte néanmoins le chemin du suspense, brouillant constamment les pistes, jouant avec les attentes du cinéphile. Une décision courageuse qui se retourne parfois contre lui, car son film, trop court, aurait sans doute eu plus de portée sous le volet du drame psychologique. Ainsi la riche matière première du scénario (ce passé qui détruit, l'effet de la violence, la fascination pour les armes à feu) ne peut qu'étouffer au passage et n'être traitée qu'en partie.
Cette façon de compliquer ce qui aurait pu être si simple se fait également ressentir sur le plan de la réalisation, qui regorge d'ellipses et de sauts dans le passé. Sans doute que ce procédé existe pour étayer la confusion des protagonistes face à ce qu'ils doivent vivre, mais il risque seulement de désorienter un spectateur moins attentif aux détails et aux subtilités de la mise en scène. On note tout de même une excellente utilisation du montage parallèle, où la suggestion précède généralement l'explication. Au sein d'un récit émouvant qui ne peut qu'ébranler les certitudes en place, les scènes les plus déchirantes s'avèrent les plus réussies. C'est là que Bisaillon maîtrise son art, sachant constamment comment soutirer le meilleur des situations, parfois à l'aide d'une image forte ou d'une mélodie appropriée. Le chemin est toutefois plus sinueux lors des moments transitoires, d'une intensité relâchée, parfois court-circuité par des dialogues moins porteurs (ou qui sonnent un peu faux) ou une interprétation inégale d'un personnage secondaire.
Rien à dire cependant des premiers rôles. Pierre-Luc Lafontaine a rarement déçu au cinéma et il livre une autre prestation intériorisée en antihéros qui cherche une façon d'expulser son malaise. Face à lui se dresse un Paul Doucet plus touchant que jamais, dont l'habileté de passer de la séduction à la répulsion suscite l'effroi. Seule Fanny Mallette semble un peu coincée à l'écran. Il faut avouer que la construction de l'intrigue lui permet difficilement de briller, si ce n'est à la fin, où elle est particulièrement bouleversante.
Meilleur que La lâcheté mais moins marquant que La vérité dans la filmographie de son auteur, L'amour demeure une oeuvre en pleine ébullition, imparfaite mais sincère, d'un cinéaste qui se fait décidément bien trop rare.

9 novembre 2018

★★★ | Nos batailles

★★★ | Nos batailles

Réalisé par Guillaume Senez | Dans les salles du Québec le 9 novembre 2018 (Axia)
Olivier, interprété par Romain Duris, doit recomposer avec ses responsabilités au sein du syndicat de sa compagnie alors que sa conjointe s’enfuit, le laissant avec seul avec leurs deux enfants, sans avertir. Nos batailles, deuxième long de Guillaume Senez, s’établit comme film social mais trouve son identité dans l’intersection entre celui-ci et le drame familial.
La forme est typique : cadrages simples et montage invisible qui contribuent à laisser tout l’espace aux acteurs et à leur improvisation. Le film entend explorer comment l’exploitation de la classe moyenne devient un facteur dominant dans l’érosion de la cellule familiale. L’approche n’est certainement pas nouvelle, mais Senez en fait le cœur de son œuvre.
Sa démarche n’est toutefois pas sans défaut. La mère rapidement écartée du récit, le conflit familial n’est évoqué que dans les non-dits. La retenue est bienvenue, mais Romain Duris est alors laissé avec le beau rôle. En père surpassé, qui trouve le moyen d’être misérable et honorable d’un même geste, les échecs du personnage ne sont présentés que pour mettre l’emphase sur la difficulté de sa situation. Il ne semble exister que pour le conflit entre son travail et sa famille, et si la performance de l’acteur n’est pas en faute, Senez empêche le personnage d’atteindre sa pleine profondeur en le limitant à son épreuve.
Senez n’est pas parfaitement transparent dans sa façon de montrer les enfants à l’écran. Il réussit à sortir des performances crédibles des deux jeunes acteurs, ce qui est déjà un accomplissement considérable, mais plusieurs de leurs interactions forcent l’affect. Certaines scènes ont un aspect voyeuriste, le cinéaste cherchant à tout prix à provoquer chez le spectateur un sentiment d’empathie pour cette famille engluée dans une situation insoutenable.
Malgré toutes ses fautes, Nos batailles réussit à communiquer avec puissance comment la précarité d’emploi a des effets ravageurs sur la vie personnelle, les deux éléments ne sont pas traités comme des entités disparates et le film angoisse, cultivant une incertitude constante face au futur sur ces deux niveaux. Senez se permet aussi de déroger avec intelligence aux codes du cinéma social par quelques fulgurances et, du même coup, évite de faire de son film un misérable exercice de pitié. Le film n’est pas sans recherche d’affect forcée ou facile, mais le cinéaste trouve dans son conflit central une inquiétude évocatrice et bien réelle qu’il est impossible d’ignorer.