1 mars 2019

★★½ | Climax

★★½ | Climax

Réalisation: Gaspard Noé. Dans les salles du Québec le 1 mars 2019 (AZ Films)
Critique rédigée dans le cadre du FNC 2018

Des danseuses et danseurs réunis dans un lieu clos participent à une soirée. Au programme: danse, discussions et sangria… Malheureusement, cette dernière ne comporte pas que du vin et des fruits, mais également une substance qui a pour effet d'éliminer toute inhibition. Progressivement, chacun va prendre le chemin qui va le conduire vers une soif de sexe ou de violence…
Les premières scènes sont remarquables, en raison notamment de ces acteurs / danseurs particulièrement à l’aise avec leurs corps. Le plan-séquence inaugural, ainsi qu’une séquence tournée en plongée extrême sont les grandes réussites du film. La suite (des discussions en petits groupes permettant à chacun de se dévoiler) ressemble à un passage obligé pour présenter les personnages de manière un peu laborieuse, mais nécessaire pour la suite. Malheureusement, c’est après que les choses se gâtent.
Plus la soirée avance, plus les gens perdent les pédales, et plus Noé cherche à choquer ou à déstabiliser le spectateur, avec un résultat rarement convaincant, et parfois ridicule à force de sombrer dans la facilité. Ainsi, l’enfant présent sur place va mourir de manière traumatisante et la jeune femme qui annonce attendre un enfant va se faire rouer de coups, avec bien évidemment son ventre pour cible! Ces idées ont l’effet d’un pétard mouillé, mais si cette envie de choquer le bourgeois amuse Noé, pourquoi pas! Le plus problématique n’est pas là, mais plutôt au niveau des limites (relatives) de sa mise en scène. Alors que Noé avait sous la main des acteurs capables, de par leur activité de danseurs, de jouer avec leurs corps et d’en faire ressortir de manière presque animale la bestialité destructrice ou sexuelle (ce qu'ils font un peu dans la première partie), il préfère abuser d’effets imparfaitement maîtrisés. Certes, certains moments sont troublants, dérangeants ou oppressants… mais ils sont trop peu nombreux et parfois trop bâclés, comme si Noé s’était contenté d’idées de mise en scène sans chercher à les remettre en question ou à les affiner (peut-être par manque de budget?), et surtout sans utiliser pleinement le potentiel de ses acteurs.
Au final, Climax n'est pas inintéressant, mais pas totalement abouti. Il est également gâché par les habituels défauts de son réalisateur, de l’usage de la facilité dans le désir de choquer aux messages plein écran inutiles. L’un d’eux est toutefois amusant: «Vivre est une impossibilité collective». Lorsqu’on voit à quel point Noé se regarde filmer sans se remettre en question, mais surtout sans exploiter pleinement le potentiel corporel de ses danseurs, on se dit que pour lui, c’est peut-être faire un film qui est une impossibilité collective! C’est bien dommage. Si seulement Noé avait mis un peu moins d’ego dans son trip!

22 février 2019

★★★½ | Doubles vies

★★★½ | Doubles vies

Réalisé par Olivier Assayas. Dans les salles du Québec le 22 février (Axia)
Avec Doubles Vies, Assayas donne d’abord l’impression de faire un exposé sur les débats qui occupent le milieu de la littérature à l’ère du numérique. Chacun des personnages se présente comme porteur d’une thèse sur le sujet et, dans des dialogues très verbeux, prendra le temps d’exposer ses idées dans toutes leurs nuances. A priori, Doubles Vies a tout d'une œuvre théorique d’un cinéaste qui ressent le besoin de faire un discours. Le réalisateur démontre toutefois plus de finesse, les arguments débattus par ses personnages n’étant qu’un prétexte à une comédie de mœurs ludique et plus humaine qu’elle n’y paraît.
Les dialogues incessants permettent aux personnages de cacher leurs réelles intentions. Le titre est alors peut-être trop littéral, mais c’est dans le double discours que le réalisateur trouve l’humour dans son exercice, permettant à la fois de truffer son film de répliques mémorables et de se moquer joyeusement de discours intellectuels qui tournent souvent à vide. Assayas brise en des moments clés le masque qui protège ses personnages pour laisser transparaître leur intériorité. Le cinéaste se permet alors quelques touches sentimentales sans nécessairement nier les défauts de ces personnages qui peuvent être à la fois touchants et ridicules, souvent dans un même moment.
Les acteurs possèdent le niveau d’ironie et de pathétisme nécessaire pour faire fonctionner un tel exercice, sans pourtant sombrer dans la complaisance. Un plaisir certain émane de leurs performances typées. Sans surprise, c’est Juliette Binoche qui se démarque le plus, dans un rôle aux forts accents réflexifs, mais dans les marges du récit, empêchant qu’elle ne fasse ombre à ses collègues.
Le film étant principalement porté par ses textes, Assayas offre alors une mise en scène sans artifice mais qui n’est pas sans idées. Celles-ci se découvrent dans l’agencement absurde de scènes disparates ou, au détour d’une réplique tantôt mordante, tantôt ridicule, dans de petits gestes d’acteur qui traduisent le double discours des personnages. Plus posée que les œuvres récentes du cinéaste, Doubles Vies n’impressionne peut-être pas autant, mais il ne faudrait pas non plus la qualifier d’œuvre mineure, tant Assayas démontre à nouveau ses qualités de metteur en scène et de scénariste.

21 février 2019

★★★ | Tout le monde le sait / Everybody Knows (Todos lo saben)

★★★ | Tout le monde le sait / Everybody Knows (Todos lo saben)

Réalisé par Asghar Farhadi. Dans les salles du Québec le 22 février (Séville)
Tout le monde le sait a laissé plein de gens indifférents lorsqu'il a été présenté en ouverture du dernier Festival de Cannes et ce n'est pas un hasard. Il s'agit de la création la plus ordinaire d'Asghar Farhadi depuis des lustres. Cela ne l'empêche pas de passionner avec parcimonie.
Comme dans son brillant À propos d'Elly qui l'a révélé à l'échelle planétaire en 2009, ce huitième long métrage naît à nouveau d'une disparition (L'avventura d'Antonioni a dû le marquer en bas âge). Une adolescente a été kidnappée et sa mère (Penélope Cruz) demande à son ancien amoureux (Jarvier Bardem) de l'aider à la retrouver.
Des fausses pistes à la multiplication des suspects, en passant par des retournements de situations attendus, le cinéaste iranien joue la carte du polar à la Hitchcock. Malheureusement, le suspense est complètement inopérant. 
Le film est surtout  comme toujours chez lui — un portrait de famille tendu et une étude des rapports entre les classes sociales. Le spectre de Chabrol n'est jamais bien loin, humour en prime (involontaire ou pas), avec ce combat psychologique et économique entre riches et pauvres, qui aura des conséquences désastreuses. À cet effet, la conclusion moralement douteuse — une autre marque de commerce après celle du Client — ne manquera pas d'ébranler.
Le scénario à tiroirs, où le manque de communication et les bonnes intentions compliquent la situation, commence à ressembler à une recette éprouvée et Farhadi ne surprend plus. Il a beau changer de pays — ici l'Espagne après la France du beaucoup plus accompli Le passé —, il sera toujours question d'échanges verbaux et de dilemmes moraux entre barbus.
Au moins les paysages sont différents, et le réalisateur s'applique à tirer profit de ce lieu en jouant justement sur sa lumière et les possibilités de ses ingénieux angles de caméra. Cela se fait ressentir dans la première partie, plus cinématographique que la seconde. Dommage que son symbolisme sur le passage du temps ne soit pas plus subtil.
Le constat s'applique également à l'interprétation. Cruz et Bardem en font parfois des tonnes, ce qui est moins dommageable pour le second. Ils sont heureusement entourés de solides comédiens, dont Ricardo Darin en père éploré.
Sans être un mauvais film, Tout le monde le sait manque de cette finesse unique qui faisait des précédentes offrandes d'Asghar Farhadi des objets d'exception. Peut-être est-il venu le temps pour lui de se remettre en danger.
RVQC 2019

RVQC 2019

Fauve (réalisé par Jérémy Comte)
Une nouvelle fois cette année, Québec cinéma vous donne Rendez-vous et vous propose de découvrir un nombre considérable de films québécois récents, allant du court au long, de la fiction au documentaire, du cinéma populaire au cinéma d'auteur. Seront également au programme divers événements, allant des 5 à 7 (comme la rencontre annuelle entre les créateurs des cinq films finalistes du prix collégial du cinéma québécois et des cégépiens de partout au Québec | Samedi 22 février à 17 h) aux leçons de cinéma (comme celle de Sara Mishara animée par Daniel Racine | Mercredi 27 février à 19 h 30).
Toute la programmation est disponible sur le site internet de l’événement, mais nous vous donnerons tout de même quelques conseils.
Le premier est bien évidemment de profiter de cette superbe occasion pour voir sur grand écran les films que vous avez manqués lors de leurs sorties en salle. Parmi les plus réussis, signalons Chien de garde, La grande noirceur ou encore Une colonie.
Les rendez-vous seront aussi l’occasion de découvrir des nouveautés. Nous reviendrons d’ailleurs très bientôt sur le film d’ouverture (Avant qu’on explose de Rémi St-Michel, vu hier et particulièrement réjouissant) et sur le film de clôture (La fin des terres de Loïc Darses, dont nous avions adoré l’excellent court métrage Elle pis son char). Parmi les inédits, le film autofinancé Speak Love d’Emmanuel Gendron-Tardif est, d'après certaines personnes bien informées, à suivre de près. Signalons également la présence de Cassy de Noël Mitrani, qui est devenu une figure de proue de l’hyperindépendance.
Les RVQC seront aussi l’occasion de découvrir un très grand nombre de documentaires, qu’ils soient inédits ou en reprise comme La part du diable, finaliste du Prix Luc-Perreault/AQCC du meilleur film québécois 2018 (dont la remise aura justement lieu pendant les Rendez-vous).
Enfin, les Rendez-vous feront une fois de plus le bonheur des amoureux de courts métrages. En plus des deux finalistes aux Oscars (Fauve de Jérémy Comte et Marguerite de Marianne Farley), les amateurs pourront voir des films d’une grande variété, notamment ceux réalisés par deux cinéastes que nous suivons depuis plusieurs années comme David Latreille (qui réussit avec Rachel à aller vers le documentaire tout en restant fidèle à son univers très personnel) ou notre rédactrice en chef adjointe Miryam Charles (qui nous offre avec Drei Atlas un petit joyau poétique dans lequel l’allemand et le créole s’unissent à merveille).
Vous l’aurez compris… comme tous les ans, il y en aura pour tout le monde ! Alors profitez-en !

15 février 2019

★★★ | Répertoire des villes disparues

★★★ | Répertoire des villes disparues

Réalisé par Denis Côté Dans les salles du Québec le 15 février 2019 (Maison 4:3)
Avec ce onzième long métrage en quinze ans, le cinéaste indépendant Denis Côté persiste dans la singularité avec Répertoire des villes disparues, l’un de ses plus réussis à ce jour. Adaptée librement du roman de Laurence Olivier, l’action se situe dans le village fictif d’Irénée-les-Neiges, perturbé par l’apparent suicide d’un jeune homme de 21 ans. Dès les premiers instants, alors que des enfants aux masques étranges jouent dans le froid et la neige, le spectateur est plongé dans un climat mystérieux et inquiétant; un peu comme dans le Twin Peaks de David Lynch.
Flirtant avec le drame psychologique (la difficulté et l’acceptation du deuil), le drame de mœurs et le film choral, tout en métissant le tout d’une bonne dose de fantastique, le dernier essai cinématographique de cet ex-critique de cinéma nous emmène sur plusieurs pistes et dans des directions différentes. Féru de cinéma d’horreur dans sa jeunesse, Côté témoigne d’un savoir-faire indéniable lors des moments plus tendus où le film bifurque légèrement vers le cinéma d’épouvante. C’est d’ailleurs la première fois qu’il flirte avec les codes du cinéma d’horreur (espérons qu'il le revisite dans des films à venir). Avec son montage abrupt, des images tournées en 16 mm qui confèrent au film un look dénaturé aux couleurs désaturées et une bande sonore souvent angoissante, la réalisation fait montre d’une maîtrise indéniable.
Le thème principal qui ressort sous forme de métaphore, en filigrane au début mais de façon plus explicite lors d’un dernier tiers (moins réussi et plus explicatif), est la peur de l’étranger et la désertion des habitants des villages québécois vers les grandes villes... qui renvoient aussi au titre du film. Même si Côté nous conduit sur différentes pistes de réflexions et d’interprétations, l'évolution du traitement fait perdre au film un peu de son charme vers la fin :  Répertoire des villes disparues aurait peut-être gagné au change en assumant un peu plus sa part de mystère ou d’étrange.