22 mars 2019

★★ |  Us (Nous)

★★ | Us (Nous)

Réalisation : Jordan Peele | Dans les salles du Québec le 22 mars 2019 (Universal)
Une mère de famille hantée par un traumatisme enfoui de son enfance est la pierre angulaire du second long métrage du réalisateur américain Jordan Peele (Get Out). Tout comme dans son film précédent, le réalisateur parvient à instaurer avec aisance une atmosphère inquiétante où se côtoient habilement l’étrange et l’humour. Peele nous présente une famille qui nous semblera sans histoires. Le père insouciant (Winston Duke), la mère anxieuse (Lupita Nyong’o) ainsi que leurs deux enfants passent des vacances au bord de la mer.
C’est dans cet espace idyllique que le réalisateur (également scénariste) introduit ses personnages pour ensuite mieux les confronter à l’horreur. Cette horreur prend une forme peu commune : la leur. Jordan Peele offre ainsi l’une des scènes les plus troublantes de son film : celle de la rencontre entre la famille et ses doubles. La suite, sanglante et illustrative, perd rapidement en intérêt. Les explications détaillées nous ramènent malgré nous à l’enfance de la mère où toutes les zones d’ombre seront mises en lumière. Il aurait certainement été souhaitable de nuancer les monologues loquaces livrés par la matriarche du groupe des doubles aux ciseaux d’or. Finalement, le plan pour la domination du monde des humains est assez simpliste. On ne peut toutefois pas blâmer Peele d’avoir cherché à clarifier son récit. La faiblesse de l’ensemble tient principalement dans la manière dont il a tenté de l’accomplir.
Heureusement, la mise en scène solide combinée à la direction photographique parvient à nous garder en haleine malgré le ridicule des situations qui se déroulent sous nos yeux. De plus, les comédiens se donnent corps et âmes afin d’élever le scénario qui s’embourbe dans son dénouement. Us peut être vu dans son ensemble comme une réflexion plus ou moins réussie sur l'Amérique qui se doit de combattre un ennemi intime avant de pouvoir réellement avancer.

21 mars 2019

★★★★ | Les éternels / Ash Is Purest White (Jiang hu er nü)

★★★★ | Les éternels / Ash Is Purest White (Jiang hu er nü)

Réalisé par Jia Zhangke | Dans les salles du Québec le 22 mars 2019 (EyeSteelFilm)
Figure de proue de la sixième génération du cinéma chinois, le réalisateur Jia Zhangke confirme sa place importante parmi les grands du cinéma contemporain avec Les éternels, son neuvième long métrage de fiction. De film en film, il continue son exploration de sa Chine natale à travers son évolution et ses nombreux changements sociétaux. Présenté en compétition à Cannes l’an dernier, Les éternels est une longue fresque d’amour s’échelonnant sur plus de 15 ans entre une danseuse et un gangster, membre des triades. Bâti sous la forme d’un polar dont l’action est divisée en trois segments se déroulant entre 2001 et 2017, le film permet à Zhangke de dépeindre une nouvelle fois une société dans laquelle l'économie connait une croissance, au même titre que la pauvreté et le crime.
C’est dans la ville de Datong de la province de Shanxi que la grande majorité de l’action se situe. Le cinéaste raconte l’histoire d’un amour éternel à travers le destin de ses deux personnages principaux. Dans le rôle de Qiao, Zhangke retrouve son actrice fétiche Zhao Tao (qui fait partie de la distribution de tous ses films depuis Platform, son deuxième). Elle incarne avec une justesse d’émotion peu commune cette femme qui va tout sacrifier pour sauver l’homme de sa vie lors d’une violente et sauvage scène de bagarre. Liao Fan (la révélation de Black Coal Thin Ice, Ours d’argent du meilleur acteur à Berlin en 2014) est tout aussi épatant dans le rôle de Bin, ce gangster qui n’a pas froid aux yeux et qui se prend pour un puissant caïd des triades de sa région.
Entre le drame social et le polar romantique, Les éternels fait mouche et se transforme en fable émouvante sur un amour éternel et impossible dans un monde capitaliste.

15 mars 2019

★★★★ | Genèse

★★★★ | Genèse

Réalisé par Philippe Lesage | Dans les salles du Québec le 15 mars 2019 (Funfilm Distribution)
D'emblée, Genèse ne fait rien pour se rendre sympathique: personnage principal masculin arrogant, cassant et antipathique (Théodore Pellerin, une fois de plus parfait); personnage principal féminin un peu bébête (Noée Abita, superbe révélation d'Ava, qui confirme son talent);  mise en scène à la fois un peu rigide et prétentieuse, etc. Heureusement, le film évolue progressivement. Plus le temps passe, plus les personnages nous dévoilent leur complexité, leurs failles, leurs fragilités. Jamais Lesage ne les étouffe sous un alibi narratif. Il préfère les filmer au jour le jour, aux prises avec des problèmes qui peuvent sembler anodins avant de s'imposer comme essentiels: tous les deux doivent faire face au passage à  l'âge adulte, et avec lui, à la découverte de l'amour… ou plutôt de la difficulté d'aimer. L'alternance de ces deux parties, a priori contradictoires mais finalement très proches, est une grande réussite. En plus des qualités déjà évoquées, soulignons l'importance des choix musicaux, qui aident l'ensemble à trouver sa cohérence, mais également les acteurs (tous aussi talentueux que les deux principaux rôles) qui parviennent sous l'oeil de Lesage (au scénario et à  l'écriture) à trouver une épaisseur et une vérité, même lorsqu'ils ne sont que secondaires… voir tertiaires.
La fin de ce dyptique pourrait être celle d'un film réussi, mais Lesage ajoute une troisième partie,  cette fois totalement indépendante, qui rend le film encore meilleur: plus libre, plus lumineuse, plus apaisée,  plus volontairement naïve, elle nous entraîne vers la même problématique, mais à un âge différent (les presque adultes laissent la place au début de l'adolescence).
Avec cette dernière partie qui vient boucler la boucle, il n’y a plus de doutes possibles: malgré  des allures de cinéaste parfois hautain, Lesage sait se montrer sensible et délicat.

13 mars 2019

★★★ | La fin des terres

★★★ | La fin des terres

Réalisé par Loïc Darses | Dans les salles du Québec le 12 mars 2019 (ONF)
Vu dans le cadre des RVQC 2019

Après avoir fait une entrée remarquée dans le milieu du cinéma québécois avec le court métrage elle pis son char, Loïc Darses signe avec La fin des terres un premier long métrage qui avait l’honneur de faire la clôture des derniers RVQC.
D’emblée, au-delà de son intérêt pour des sujets de société forts, Darses confirme son intérêt pour la forme cinématographique. Sa proposition est ici ambitieuse: s’il laisse la parole à plusieurs jeunes afin qu’ils expriment leurs visions du Québec actuel, il ne les montre jamais, préférant laisser déambuler lentement sa caméra dans des paysages, urbains ou naturels, en lien plus ou moins direct avec les sujets évoqués. Lorsque le procédé commence à s'essouffler, Darses témoigne de son sens du rythme en lui redonnant un nouveau souffle: toujours en phase avec les propos, l’image se brouille de plus en plus, pour devenir abstraite, avant de revenir ensuite plus apaisée.
La maîtrise de Darses n’est pas la seule force du film. Alors qu’il parle du Québec, il donne la parole à une diversité souvent oubliée dans le cinéma québécois (certaines personnes ont des origines anglophones ou amérindiennes, d’autres trouvent leurs origines au-delà du Canada). Cependant, cette ouverture à l’autre est contrebalancée par une faiblesse qu’il est difficile de passer sous silence pour un film qui semble vouloir faire le portrait de son époque. Contrairement à ce que faisait Matthieu Bareyre dans l’excellent documentaire français justement intitulé L’époque (présenté à Locarno l’an dernier, malheureusement toujours inédit au Québec), Darses semble ne pas s’intéresser à l’ensemble de la jeunesse québécoise, mais seulement aux plus lettrés. Si on apprécie que le réalisateur donne la parole à ceux qui viennent d'ailleurs, on regrette qu’il ne la donne pas aux exclus ou aux oubliés du système éducatif... c'est à dire justement à ceux qu'on entend rarement. 
Ce choix, qui permet au film d’être plus agréable (de jeunes personnes intelligentes qui ont tout compris sur tout s’expriment sur de belles images filmées par un jeune homme talentueux) lui nuit un peu sur le plan idéologique… Mais lorsqu’on voit à quel point Darses maîtrise son sujet, on se dit que ce choix est probablement assumé. Tant pis pour nous! Surtout, cela n’enlève rien aux promesses que fait naître ce cinéaste que nous avons hâte de continuer à voir grandir dans nos salles de cinéma.

1 mars 2019

★★★ | Les oiseaux de passage / Birds of Passage (Pájaros de verano)

★★★ | Les oiseaux de passage / Birds of Passage (Pájaros de verano)

Réalisé par Ciro Guerra et Cristina Gallego. Dans les salles du Québec le 1 mars 2019
Après son superbe et trop méconnu deuxième film Los Viajes del Viento et le plus médiatisé El abrazo de la serpiente, Ciro Guerra (associé ici à la mise en scène à Cristina Gallego, qui a produit ses films précédents), nous revient avec un film certes moins réussi, mais non dénué de qualités. Parmi elles, celle qui nous intéresse le plus est paradoxalement aussi la principale faiblesse du film, liée au rapport à l'Autre, d'ailleurs très différent de celle décrite dans Abrazo. Dans ce dernier, l'étranger essayait de comprendre et d'infiltrer un milieu qui lui était hostile et qu'il ne comprenait pas. Dans ce nouveau film, dont l'action se déroule plusieurs décennies après le précédent, les étrangers (des Américains qui font de la propagande anticommuniste) se sentent (logiquement?) d'emblée chez eux. Le film, qui semble d'abord se dérouler hors du temps avec la description des traditions autour d'un mariage devient tout autre lorsque les blancs font leur apparition. En plus de prôner le capitalisme, l'étranger recherche de la marijuana… et le film devient un film d'une époque précise. Avec l'arrivée de l'Autre, synonyme d'ancrage dans une époque (et de perversion des traditions), un monde s'écroule, ce qui mènera la Colombie au désastre lié au narcotrafic.
Si certains aspects du film sont passionnants (principalement la place de la femme, le lien de plus en plus trouble entre traditions et crime organisé, certains aspects de l'ellipse narrative), d'autres laissent perplexe: si l'Autre vient pervertir les personnages, l'autre cinéma (le cinéma américain) vient en effet aussi pervertir celui de Guerra. Contrairement à ce qu'il faisait dans Abrazo, le cinéaste ne reste pas fidèle à sa culture, mais accepte celle de l'Autre en introduisant des éléments typiquement américains (un rythme plus soutenu, de l'action, des codes du film de gangsters) dans son cinéma. De manière troublante, il illustre ici de par l'exemple l'erreur fatale (c'est du moins le message que semble véhiculer le film) qui consiste à accepter ce qui vient d'ailleurs et qui pervertit (car soyons clairs, Guerra est plus à l'aise avec un film au rythme très lent comme Viajes).
Puisque le monde extérieur semble représenter un danger, souhaitons à Guerra de se focaliser à l'avenir sur ce qu'il connaît. Nous n'entrerons pas dans un débat idéologique à ce sujet… mais cela permettra peut-être au cinéaste de refaire des films qui ne sont pas avant tout intéressants pour leurs faiblesses!