14 juin 2019

★★½ | The Dead Don’t Die (Les morts ne meurent pas)

★★½ | The Dead Don’t Die (Les morts ne meurent pas)

Réalisé par Jim Jarmusch | Dans les salles du Québec le 14 juin 2019 (Universal Pictures)
Quelques années après les vampires du magnifique Only Lovers Left ALive, ce sont maintenant les zombies qui sont au centre du tout nouveau Jarmusch, présenté il y a quelques semaines en ouverture du festival de Cannes. Autant le dire tout de suite: cette nouvelle incursion dans l'univers du fantastique ne se fait pas avec la même réussite.
Certes, Jarmusch soigne sa mise en scène (précise), sa distribution des rôles (avec notamment Bill Murray et Adam Driver, irréprochables dans les rôles principaux), ses références cinématographiques (avec bien sûr des références aux films de zombies de Romero, mais pas que!)...
Certes, Jarmucsh reste fidèle à lui même, en marquant une nouvelle fois son amour pour une certaine lenteur (très adaptée aux zombies à la Romero) et pour un humour très pince-sans-rire, parfois proche du burlesque (tout ce qui tourne autour de Tilda Swinton, elle aussi parfaite).
Mais en fin de compte, même si le réalisateur et ses acteurs semblent s'amuser, si toute l'équipe du film fait un travail sérieux, si Jarmusch tente avec notre plus grand respect de faire découvrir un univers d'auteur à un public populaire (ou s'il tente de faire découvrir un univers de zombies à un public snob)... le tout est beaucoup trop long. L'excès de lenteur est parfois laborieux, les tentatives de remplir le vide tombent souvent à plat, et le spectateur s'ennuie quelque peu.
The Dead Don’t Die est loin d'être mauvais, mais avec la multiplication des films disponibles en salle et ailleurs, il est franchement dispensable!

6 juin 2019

★★★ | La femme de mon frère

★★★ | La femme de mon frère

Réalisé par Monia Chokri | Dans les salles du Québec le 7 juin 2019 (Séville)
Auréolé d’un Prix Coup de cœur du jury de la section «Un Certain Regard» obtenu à Cannes, le premier long métrage réalisé par Monia Chokri arrive dans nos salles. Si quelques tics dolaniens (il est vrai édulcorés) peuvent un peu agacer, et si certains gags (voire quelques scènes) ne sont pas totalement maîtrisés, nous devons reconnaitre que La femme de mon frère possède également de belles qualités.
Le charme n'est pas la moindre de ces qualités. Il  provient en grande partie des comédiens (soutenus par quelques dialogues bien sentis et par une belle galerie de personnages). Certaines s’en sortent bien malgré des rôles ingrats (Anne-Élisabeth Bossé, omniprésente, qui joue à la perfection la trentenaire exaspérante; Evelyne Brochu qui excelle dans le rôle de la beauté froide), mais nous retiendrons surtout les performances du reste de la famille, incarnée par Patrick Hivon (une nouvelle fois irréprochable), Sasson Gabai et Micheline Bernard. Ils permettent tous les trois à leurs personnages respectifs, même dans leurs excès, de constituer le noyau actif d’une cellule familiale tendue, mais paradoxalement presque apaisante grâce à un débordement d’amour jamais destructeur (ce qui permet d'ailleurs à Chokri de prendre le contre-pied du cinéma dolanien). Ici en effet, si la famille est au centre du récit, c’est surtout parce que ses liens sont plus forts que tout (et principalement les liens frères/sœurs) et qu’ils permettent à tous ses membres de s’enrichir mutuellement sans se phagocyter. La manière dont Chokri passe de la comédie pure pour aller vers plus de sobriété à mesure qu'elle développe sa thèse lui permet de gommer progressivement quelques défauts liés à sa maitrise imparfaite du burlesque et représente une belle réussite. Son film se termine d'ailleurs par une scène finale très sobre mais belle, où naviguent dans des barques des « couples » formés (à en croire quelques indices subtils) par des (vrais?) frères et sœurs.
Parmi les autres réussites discrètes, notons également sa vision d'une société québécoise plus métissée que voudrait nous le faire croire le reste de la production locale grand public. L’ascendance tunisienne de Chokri n’y est probablement pas pour rien... mais il faut admettre que ce petit détail fait plaisir à voir (et permet à la réalisatrice de nous glisser au passage une simple et belle scène mettant en vedette des nouveaux arrivants en cours de francisation).
Ce premier long signé Chokri est donc une relative réussite pleine de promesses. Il est également, après Avant qu'on explose, la seconde comédie québécoise de l’année digne d'intérêt. Non seulement, nous sommes peut-être en train de découvrir une cinéaste, mais nous sommes peut-être en train d'assister à l'avènement de la comédie québécoise de qualité. Voilà deux bonnes raisons d'espérer pour l'avenir!

30 mai 2019

★★★½  | Peterloo

★★★½ | Peterloo

Réalisé par Mike Leigh | Dans les salles du Québec le 31 mai 2019 (Métropole)
En s’intéressant au massacre de Peterloo, où les autorités chargèrent à l’occasion d’un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de manifestants, Mike Leigh donne à la fois un cours d’histoire et une leçon sur la politique contemporaine. Le réalisateur est clair et direct dans son propos, mais la densité historique de Peterloo en fait aussi l’un des films les plus difficiles d’approche du cinéaste.
Leigh ouvre son film sur une victoire de l’État (la bataille de Waterloo) mais se concentre sur son coût humain. En un seul plan, il s’attarde sur un soldat qui, faisant pourtant partie des gagnants, se trouve complètement désemparé sur le champ de bataille. Il rentre chez lui traumatisé dans un milieu extrêmement pauvre et incapable de se trouver du travail. Pourtant artisan de la victoire, le peuple n'en verra jamais les fruits, les années qui suivent étant marquées par des crises économiques poussant la baisse des salaires et la hausse du prix des biens.
C’est dans ces années, celles qui séparent la victoire de Waterloo du massacre de Peterloo, que la grande partie du film prend place. Leigh dresse un tableau complet de toutes les personnes dont les actions culmineront à la manifestation et au massacre. Ainsi le film enchaîne des séries de discours politiques pour un effet assommant. Pendant deux heures, Leigh s’intéresse aux argumentaires verbeux de révolutionnaires et à la politicaille d’hommes qui cherchent à avilir le peuple. Le cinéaste demande beaucoup de concentration au spectateur, mais cela lui permet de ne pas présenter les mouvements populaires comme une idée unique. Leigh fait preuve d’une habilité incroyable à étoffer des personnages qui se perdraient dans la foule dans un film plus retenu.
Ainsi, le réalisateur présente le mouvement populaire dans sa multiplicité, autant par ses orateurs éduqués que par les travailleurs. Il note l’implication des groupes féministes, fait état des conflits internes et même s’il se place à ses côtés, il ne dépeint pas le mouvement comme le geste d’une idéologie parfaitement formée, mais comme un rassemblement d’individus épars. À l’opposé, il méprise ouvertement la classe dominante et ne cache rien de sa grotesquerie, mais il ne se permet tout de même pas de prendre des raccourcis. Ses personnages, même les plus vils, sont étoffés autant par les détails historiques que par le jeu naturaliste encouragé par le réalisateur. Ne serait-ce que pour la profondeur et la variété des personnages historiques, Peterloo est une réussite.
Si Peterloo est souvent assommant par la densité de son discours politique, Leigh termine sur un autre ton. Il filme le massacre avec énergie tout en recréant habilement la confusion du peuple sur le terrain. La scène est éprouvante sans être gratuite. Encore une fois, Leigh ne perd pas le coût humain des échecs du gouvernement et il partage avec aplomb sa colère avec le spectateur. Le dénouement crée une charge émotionnelle dans une œuvre auparavant très austère, mais dont les observations sur l’histoire forment une perspective contemporaine nécessaire.

17 mai 2019

★★★★ | Leto (L’été)

★★★★ | Leto (L’été)

Réalisé par Kiril Serebrennikov | Dans les salles du Québec le 17 mai 2019 (MK2│Mile End)
Inspiré de la carrière Viktor Tsoï et de son entrée dans la scène musicale underground russe des années 80, Leto se libère avec aisance du film autobiographique classique. Dès l’entrée en matière, la mise en scène fluide se calque sur la nature de ses personnages, des situations vécues ou des émotions ressenties. La musique, point central du récit, nous porte tout au long du film. Les chansons (en russe, sous-titrées pour le spectateur), se greffent parfaitement à la structure narrative de l’histoire.
Au centre de celle-ci, un triangle amoureux entre Viktor (Teo Yoo), un jeune chanteur talentueux, Natalia (Irina Starshenbaum), femme de Mike (Roma Zver), idole et mentor de Viktor. Malgré la tension ou l’aspect dramatique qui pourrait ressortir du triangle amoureux, le film fait le pari de l’aborder avec nuance. Ici, pas de crises, pas de scènes explosives. Tout passe par la musique, les chansons et la mise en scène assumée. Dans le cadre qui nous transporte au gré des situations, on aura souvent l’impression d’un chaos contrôlé. On bouge, on danse, on boit, on joue ou on écoute de la musique. Le besoin de liberté qui fait vibrer les personnages à travers leur musique est en contradiction totale avec l’austérité du régime soviétique de l’époque. Dans la salle de spectacle où se produisent les musiciens, les spectateurs sont gentiment assis en rang. Ils n’ont pas le droit de se mettre debout, de danser ou de se laisser emporter par la mélodie. Calmement et avec retenue, ils tapent des pieds en signe d’appréciation. Le film échappe à cette austérité par des scènes ludiques où le temps d’une chanson, la ville et ses habitants chantent et dansent au rythme de la musique.
Viktor et Mike sont des amoureux de musique. Les références à des groupes ou à des compositeurs connus internationalement parsèment le film (Blondie, Lou Reed, The Beatles, etc.). Malgré ces influences, le film propose de nous faire découvrir avec fierté un groupe russe qui aura marqué son époque. La distance de langue ou de culture n’est pas un obstacle car en dernier lieu, la musique dépasse toutes les frontières. Leto est une œuvre puissante, qu’il faut écouter et regarder avec attention.

14 mai 2019

★★★★ | Asako I & II (Netemo sametemo)

★★★★ | Asako I & II (Netemo sametemo)

Réalisé par Ryûsuke Hamaguchi | Dans les salles du Québec le 17 mai 2019 (MK2│Mile End)
Quelle étrange suite au monumental Happy Hour qu’est Asako I & II! Au carrefour des genres, évoquant tour à tour la fable et les comédies romantiques, le nouveau film de Ryûsuke Hamaguchi est une œuvre singulière qui dépasse la caractérisation et surprend à chaque tournant.
Deux années après avoir été abandonnée inopinément par son amant qui lui promettait pourtant de revenir, Asako rencontre un homme physiquement identique. À partir d’une prémisse qui évoque directement Vertigo, le réalisateur place au premier plan l’absurdité et l’irrationalité de nos relations amoureuses sans jamais moquer le sentiment ou en ignorer la beauté.
Ce qui étonne de prime abord est l’apparente passivité, voire la naïveté, affichée par le personnage d’Asako. La protagoniste fait longtemps l’effet d’une coquille vide, tant elle reste silencieuse et semble se laisser aller dans les événements sans vraiment y prendre part. Tranquillement toutefois, Hamaguchi explore les sentiments de son personnage, tout en subtilité, par tous les moyens disponibles, usant par exemple du discours que les personnages secondaires ont envers elle. Il prouve alors que l’impression donnée dans un premier temps était faussée. Il réussit la tâche difficile d’étoffer un personnage réservé, sans raccourcis de mise en scène qui permettraient des représentations littérales d’un univers intérieur à l’écran.
Si Hamaguchi est avare en effet de style, sa mise en scène est loin d’être impersonnelle. Asako I & II alterne sans effort un réalisme retenu laissant toute la place aux acteurs et des envolées fantaisistes. Un passage au centre du film réconcilie admirablement ces deux tons, le spectre d’une vie routinière se confrontant habilement à des coïncidences presque improbables. Le récit réserve des surprises qui forcent le spectateur à réévaluer ce qui lui est présenté jusqu’au tout dernier plan, sans que le réalisateur ne manipule son auditoire dans un jeu de faux-semblants. Il prend simplement le temps d’établir son discours avec soin.
Autant Asako I & II explore clairement le deuil des relations amoureuses et l’impossibilité de complètement laisser le passé derrière soi face à l’avenir, autant le nouveau film d’Hamaguchi reste toujours imprévisible dans ses idées et ses développements. C’est sa grande force, tant chaque nouvelle surprise ajoute à la profondeur de l’œuvre, faisant d’Asako I & II l’un des films les plus surprenants et les plus touchants sur un thème aussi souvent exploré que l’amour.