1 novembre 2019

★★★ | Le daim

★★★ | Le daim

Réalisation : Quentin Dupieux | Dans les salles du Québec le 1 novembre (AZ films)
Georges (Jean Dujardin) semble vivre le plus beau jour de sa vie en achetant la veste en daim de ses rêves pour une coquette somme d’argent. En prime, il gagne même en cadeau un caméscope. Ces deux objets l’entraineront dans une spirale de destruction que personne ne pourrait imaginer (forcément, nous sommes chez Dupieux). Portant, même si l’enchaînement des événements est fortement improbable, la force de Dupieux est de lui donner ici une certaine logique. Cependant, que les amateurs se rassurent, le cinéaste ne transforme pas sa dernière œuvre un mauvais film psychologique où tout doit avoir une origine précise et une conséquence implacable. Il dose, nous en fait comprendre le minimum, nous égare vers des éléments improbables, tout en gardant assez pied dans le plausible (certes très faiblement, mais tout de même) pour que son film soit plus troublant (malgré son humour omniprésent) que juste une succession habile d’excès mal contrôlés. Il confirme ainsi la tendance entamée avec son film précédent : en s’éloignant de l’Amérique, son cinéma se teinte d’une grande touche de Blier, même s’il reste suffisamment personnel pour éviter la faute de goût.
D’ailleurs, comme le cinéma de Blier, le Dupieux nouvelle période (nous verrons par la suite si la tendance se maintient) est avant tout un cinéma dont l’absurde des situations sert à traduire une angoisse face au monde qui nous entoure. Dans ce cas précis, il traduirait même une angoisse vers ce que deviennent à la fois ce monde et ceux qui le peuplent. Le héros jette son dévolu sur une veste démodée; il conduit une voiture d’un modèle qui ne se fait plus depuis quelques décennies; le peu de chose que l’on en sait nous confirme que sa vie a été une désillusion (mariage raté); il choisit de s’isoler dans un village hors du temps, doit tout payer en liquide en raison d’un blocage de sa carte bancaire, dit avoir reçu un message d'un autre siècle (un fax). En bref, il refuse de regarder devant et se réfugie dans le passé. Cette régression, nous le comprendrons vite, est à l’origine du début de sa psychose… tout en devenant petit à petit également sa conséquence.
Plus le film avance, plus il nous donne l’impression que sa progression narrative est minutieuse et implacable mais que le cinéaste/scénariste a tout fait pour gommer les détails signifiants afin de lui donner des allures d’un grand n’importe quoi dont il est en réalité fort loin. C’est probablement ce brouillage des cartes qui en fait la force, qui lui donne des airs de fable cruelle anxiogène dans laquelle aucune personne n’est qui elle semble être. Alors certes, Dupieux respecte tellement sa propre logique que son film s’égare un peu en chemin et menace de nous perdre. Fort heureusement, il peut compter sur un duo de comédiens talentueux (Dujardin / Haenel, tous les deux tout en retenue) et sur une durée suffisamment modeste (1 h 17) pour nous garder à ses côtés tout au long de ce voyage vers notre seule et funeste certitude.

25 octobre 2019

★★★★ | Parasite (기생충)

★★★★ | Parasite (기생충)

Réalisation: Bong Joon Ho | Dans les salles du Québec le 25 octobre 2019 (MK2│Mile End)
Depuis l’an dernier, le cinéma asiatique a le vent en poupe à Cannes. Après l'excellent Une affaire de famille, c’est en effet Parasite qui a remporté la distinction suprême cette année.
La comparaison ne s’arrête d'ailleurs pas là. Les deux films prennent comme point de départ une famille qui peine à se faire une place dans ce monde de plus en plus inégalitaire et qui vit dans un véritable taudis. Cependant, les approche diffèrent ensuite rapidement. Si les héros de Shoplifter pratiquaient le vol à l'étalage, ceux de Parasite travaillent comme ils peuvent (ils plient des boîtes de pizza avec une compétence limitée). Les choses changent lorsqu’on propose au fils une place de professeur particulier auprès d'une étudiante de bonne famille. Il manipulera ses employeurs pour faire engager toute sa famille sur des emplois divers... mais chacun travaillera dur et sera compétent à son poste ! Nous sommes donc dans un premier temps loin du parasite du titre : la famille n’est pas oisive... elle n’a au contraire jamais autant travaillé au contact des nantis. Mais où, alors, est le parasite du titre ? Cette petite question n’est pas anodine ; elle nous entraîne d’emblée dans la logique narrative du film, qui prend toujours le spectateur à contre-pied de ses propres attentes. Mais son sens du timing est si impressionnant que ce qui aurait pu passer pour des petites manipulations scénaristiques un peu trop faciles se transforme en petits cadeaux aux spectateurs, qui deviennent plus les complices amusées d'un cinéaste cynique que des dindons de la farce.
Parasite nous parle certes de notre société, de ses inégalités, de l’envie des plus démunis de s’en sortir comme ils peuvent, des humiliations (même involontaires) qu'ils doivent subir, de l’implacable poids de leur condition... mais l'art du contre-pied de Bong Joon Ho lui permet d’éviter de sombrer dans la bonne conscience simpliste, tout en lui donnant des allures de film de genre particulièrement jouissif.
Après le formidable Joker, sorti il y a peu, Bong Joon ho fait lui aussi le portrait de notre époque avec un film à la fois truffé de qualités et accessible à un public très large. On aime ça !
★★★ | The Lighthouse / Le phare

★★★ | The Lighthouse / Le phare

Réalisation: Robert Eggers | Dans les salles du Québec le 25 octobre 2019 (VVS Films)
Il y a un peu plus de trois ans, The Witch avait été une incroyable révélation, en même temps qu’un film visuellement splendide! Le tout premier plan de The Lighthouse en est digne : une image grise, avec des formes en mouvement dans le bas de l’écran, qui prend des allures de toile qui s’anime. Lorsque progressivement les formes abstraites deviennent des vagues et qu’un bateau vient percer le brouillard, Eggers trouve la transition parfaite pour nous faire passer de la forêt de The Witch à l’univers marin de The Lighthouse. La suite du film est visuellement à l’avenant. Tout simplement splendide! The Witch avait des allures de toile de maître, The Lighthouse ressemble à un hommage au cinéma d’antan, rendu par un faiseur d’images hors pair. La bande-son, avec corne de brune et bruits des vagues omniprésents, vient ajouter une touche anxiogène à des images à la fois inquiétantes, fascinantes, ou tout simplement sublime au-delà de ce qu’il est possible d’imaginer.
Et pourtant...
Et pourtant, ce qui avait tout pour devenir un chef-d’œuvre tombe à plat. Alors qu’on aurait aimé embarquer dans un film qui génère des émotions par les sens et par la maîtrise de l’association de l’image animée et du son, Eggers semble hésiter entre deux directions: celle-ci d’une part, et, d'autre part, un affrontement psychologique entre deux hommes chargés de faire fonctionner un phare sur une île isolée. Malheureusement, jamais les deux orientations ne se rejoignent ou ne s’enrichissent mutuellement. Au contraire, elles se phagocytent en permanence, laissant au spectateur impressionné par tant de beauté l’amère sensation d’être passé à côté de ce qui avait tout pour être une œuvre majeure.
Mais ce que nous pensions d’Eggers tient toujours. Son talent est impressionnant. Souhaitons-lui d’en faire bon usage la prochaine fois. Nous n’attendons que ça!

18 octobre 2019

★★★ | Douleur et gloire / Pain & Glory (Dolor y gloria)

★★★ | Douleur et gloire / Pain & Glory (Dolor y gloria)

Réalisation: Pedro Almodóvar | Dans les salles du Québec le 18 octobre 2019 (Métropole)
Almodóvar signe son œuvre la plus réflexive avec Douleur et Gloire. Empruntant directement à Fellini, le cinéaste espagnol propose un récit semi-autobiographique et avoue une certaine faiblesse artistique. Par son alter ego Salvador Mallo, cinéaste vieillissant en manque d’inspiration, il se permet d’exposer ses angoisses tout en faisant le point sur sa propre carrière et les problématiques qui ont occupé son art comme sa vie.
L’intrigue, si l’on peut l’appeler ainsi, est relâchée, laissant lieu à une série d’anecdotes parfois en flash-backs, parfois racontées au présent. L’intérêt de celles-ci est variable, le cinéaste ressassant beaucoup de sujets souvent explorés dans sa carrière. Le film peine, comme son personnage principal, à trouver un nouveau regard sur ses idées et ne semble s’adresser qu’aux cinéphiles déjà investis ou, pire encore, n’exister que pour lui-même.
Almodóvar n’est toutefois pas foncièrement complaisant, annonçant très rapidement ses faiblesses et ses regrets. C’est donc peut-être bien dans la douleur, justement, que son film prend forme. Les réminiscences sont habitées d’immense mélancolie. Le mode de vie solitaire d’un artiste ayant rendu ses relations amoureuses impossibles, la différence de classe ayant effrité le contact avec sa mère, c’est dans ses sujets, bien sûr fréquents chez lui, qu’Almodóvar pose un regard nouveau. Un regard plus calme, moins outrancier qu’à son habitude.
La tranquillité du film permet à Antonio Banderas, dans le rôle d’alter ego, d’imposer sa présence. C’est pour le meilleur, tant l’acteur donne l’une des meilleures performances de sa carrière. L’introspection lui sied, comme à Almodóvar, qui semble amorcer avec Douleur et Gloire un processus d’autoréflexion qui peut donner de belles trouvailles, même si le film n’a pas l’éclat des meilleures œuvres de sa carrière.

9 octobre 2019

★★ | Matthias et Maxime

★★ | Matthias et Maxime

Réalisation: Xavier Dolan | Dans les salles du Québec le 9 octobre 2019 (Séville)

Rien ne va plus pour Xavier Dolan! Après un ambitieux film anglophone mal maitrisé, le talentueux cinéaste québécois revient au Québec avec un film d’apparence plus modeste... mais malheureusement tout aussi peu maîtrisé à force d’en mettre toujours plus, toujours trop!
Il est dommage que son film n’ait pas suivi la voie que semblait vouloir tracer son propre titre (Matthias et Maxime): deux amis d’enfance aux parcours très différents voient leurs vies bouleversées par le tournage d’un petit film amateur dans lequel ils doivent s’embrasser! D’un seul coup, tout bascule. Alors que leur hétérosexualité semblaient être pour eux une évidence, ce baiser anodin vient ébranler leurs certitudes.
Le sujet est intéressant. Son traitement l’est beaucoup moins tant Dolan semble attiré par des chemins détournés censés nous en dire plus sur les personnages principaux, mais qui en réalité viennent faire de l’ombre de manière stérile à l’évolution d’une relation et aux doutes qu’elle génère. Il essaie en effet dans le même temps de faire un film d'amis en donnant naissance à de nombreux personnages qu’il n’arrive jamais à faire exister vraiment. Pire encore, il nous en remet une couche sur la relation mère-fils. Si le thème lui a permis de faire de très belles choses par le passé, il n’est que survolé ici et commence à prendre des allures de réchauffé. Les scènes entre les personnages incarnés par Dolan (le fils) et Dorval (la mère) sont pénibles et viennent témoigner de l’incapacité du cinéaste à nous faire comprendre une situation sans la jeter à la face du spectateur en grossissant ses aspects les plus dramatiques. Signalons également que les relations avec les autres personnages féminins (dans ce film, une femme est soit «la mère de», soit «la sœur de», soit «la conjointe de») ne sont pas beaucoup plus subtiles ou pertinentes.
Finalement, d'un sujet potentiellement passionnant, Dolan ne fait rien. Il ne nous dit rien de cette relation trouble entre deux amis d’enfance ni des doutes sur leur orientation sexuelle. Il ne tire pas profit de ses détours et ne nous dit rien non plus de ce groupe d’amis ou des relations familiales difficiles. Il se contente de faire une caricature de lui-même. Cependant, reconnaissons que certains des petits tics dolaniens semblent commencer à s’estomper. Serait-ce la transition vers un renouveau? On le souhaite.