11 novembre 2019

Cinemania 2019 | 2/3

Cinemania 2019 | 2/3

Les éblouis (Sarah Suco), présenté dans le cadre du festival Cinemania 2019
Le festival Cinemania bat son plein depuis jeudi dernier. Si l’on se fie aux nombreux spectateurs durant le weekend dernier, cette 25e édition semble être un franc succès jusqu’à présent. Bien qu’il reste encore plusieurs films fort attendus au cours des prochains jours, voici quelques impressions sur les films vus jusqu’à présent.

* Les éblouis (Sarah Suco). Ce premier long métrage à saveur autobiographique de l’actrice française Sarah Suco (AuroreLes invisibles) permet à l’actrice de régler ses comptes et de se pencher sur son passé tumultueux. En abordant avec une certaine forme de distanciation le thème de la communauté religieuse dépeinte ici sous forme de secte, la réalisatrice se moque de ses valeurs tout en dénonçant le mode de vie strict et radical. Entre le pathos et le drame, Les éblouis est un premier film impressionnant et bouleversant.

* Une intime conviction (Antoine Raimbault). Ce drame judiciaire relate le second procès de Jacques Viguier, qui a fait couler beaucoup d’encre il y a près de dix ans en France. Ce premier film dramatique rondement mené décortique de façon méthodique le système judiciaire français. On admire la performance d’Olivier Gourmet dans le rôle de l’avocat de la défense, mais on se demande pourquoi avoir inventé  pour les besoins du film  un personnage (incarnée toutefois avec conviction par Marina Foïs) dont l’acharnement et l’obsession pour cette affaire demeure un peu confus et artificiels.

* Chanson douce (Lucie Bordeleau). Cette adaptation du roman du même nom de Leïla Silmani (récipiendaire du prestigieux prix Goncourt) privilégie le suspense et les non-dits au détriment de la psychologie. La réalisatrice emprunte la formule du suspense à l’américaine et le résultat, qui rappelle étrangement The Hand that Rocks the Cradle (Curtis Hanson), est décevant. 

* Le milieu de l’horizon (Delphine Lehericey). Ce drame familial raconte une histoire classique d’apprentissage d’un garçon renfermé de treize ans, dont la vie familiale éclate sous ses yeux lors d’un été de canicule mémorable en 1976. Il y a de beaux moments de cinéma dans ce film  comme la scène de la pluie torrentielle  mais le regard uniforme tout au long du film du jeune Luc Bruchez nous empêche de nous laisser convaincre pleinement par les événements dramatiques qui se déroulent sous nos yeux.

* La source (Rodolphe Lauga). Pour ses débuts au cinéma le rappeur français Sneazzy West ne manque pas de charisme. Inspiré par le livre Zarla Sunset de Karim Braire, ce récit sur le dépassement de soi ne recèle aucune surprise si ce n’est que le surf soit un exutoire à une vie criminelle. Avec sa voix de plus en plus éraillée, Christophe Lambert amuse dans le rôle du mentor et coach spirituel lui-même obsédé par le culturisme. Bref, c’est un feel good movie avec de très belles scènes de surf qui se laisse regarder sans déplaisir, mais dont on se demande la pertinence d’être présenté dans le cadre d’un festival de cinéma!

7 novembre 2019

Cinemania 2019 | 1/3

Cinemania 2019 | 1/3

L'adieu à la nuit (André Téchiné), présenté dans le cadre du festival Cinemania 2019
Le festival Cinemania fête ses 25 ans cette année ! Du 7 au 17 novembre prochain, pas moins de 51 longs métrages y seront projetés. Le film Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma ouvrira en grand cette nouvelle édition. Le film a notamment remporté le Prix du scénario à Cannes en mai dernier. Donne-moi des ailes de Nicolas Vanier clôturera cette vingt-cinquième édition.
Parmi les films les plus attendus, notons La vérité  le premier film français du brillant réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda  avec Catherine Deneuve et Juliette Binoche, Chambre 212 de Christophe Honoré, Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin ou encore Tu mérites un amour, le premier long métrage de l’actrice Hafsia Herzi.
Cinéfilic sera au rendez-vous et voici un aperçu de quelques films vus avant le début des festivités.

* L'adieu à la nuit (André Téchiné). Cinq ans après L’Homme qu’on aimait trop, le vétéran cinéaste français André Téchiné retrouve son actrice fétiche Catherine Deneuve pour une huitième collaboration. Un très beau rôle que celui de Muriel, une propriétaire d’un centre équestre qui est heureuse d’accueillir son petit-fils (Kacey Mottet-Klein) pour des vacances de courtes durées, car ce dernier à d’autres plans en tête. En collaboration avec Léa Mysius (Ava) à l’écriture, Téchiné continue son exploration du fossé générationnel  un thème récurrent dans ses œuvres  tout en touchant avec doigté le sujet délicat de la radicalisation politique et du terrorisme. Au programme, émotion et suspense dans ce vingt-troisième long métrage et certainement son meilleur depuis Les temps qui changent en 2004.

* Sibyl (Justine Triet), porté à bout de bras par Virginie Efira qui crève l’écran dans le rôle-titre. Sibyl vaut le détour pour sa magnifique prestance. Mise à nue, elle est habitée par ce personnage d’une psychothérapeute qui se remet à l’écriture et dont la vie est chamboulée par la vie tumultueuse d’une nouvelle patiente (Adèle Exarchopoulos, très bien) et ravivant en elle d’intenses souvenirs. Avec son intrigue fragmentée et ses nombreux aller-retour entre le présent et le passé, on ne peut pas dire que la cinéaste manque d’ambition. Dommage toutefois que les rapports entre Sibyl et sa patiente empruntent certains clichés associés au film de psychanalyse, au dénouement somme toute prévisible.

* Convoi exceptionnel (Bertrand Blier). On ne l’attendait plus, mais Blier l’iconoclaste est de retour avec un nouvel exercice décalé et postmoderniste sur la fabrication d’un film. Une réflexion très «méta» comportant quelques moments savoureux avant de s’essouffler à mi-chemin. À voir surtout pour les farouches admirateurs du cinéaste ou pour ceux qui ont envie de voir ce cabot de Christian Clavier dans l’univers Blieresque.

* Rebelles (Allan Mauduit). L’accent est mis sur un humour noir féroce dans ce premier film efficace et jubilatoire d’un cinéaste à suivre. L’intrigue est menée à vive allure et est secondée par un chouette trio de comédiennes (Cécile de France, Audrey Lamy et Yolande Moreau). Si on oublie quelques coquetteries visuelles, on passe un bon moment dans cette fiction pulpeuse et son hymne à la solidarité féminine.

1 novembre 2019

★★★ | Le daim

★★★ | Le daim

Réalisation : Quentin Dupieux | Dans les salles du Québec le 1 novembre (AZ films)
Georges (Jean Dujardin) semble vivre le plus beau jour de sa vie en achetant la veste en daim de ses rêves pour une coquette somme d’argent. En prime, il gagne même en cadeau un caméscope. Ces deux objets l’entraineront dans une spirale de destruction que personne ne pourrait imaginer (forcément, nous sommes chez Dupieux). Portant, même si l’enchaînement des événements est fortement improbable, la force de Dupieux est de lui donner ici une certaine logique. Cependant, que les amateurs se rassurent, le cinéaste ne transforme pas sa dernière œuvre un mauvais film psychologique où tout doit avoir une origine précise et une conséquence implacable. Il dose, nous en fait comprendre le minimum, nous égare vers des éléments improbables, tout en gardant assez pied dans le plausible (certes très faiblement, mais tout de même) pour que son film soit plus troublant (malgré son humour omniprésent) que juste une succession habile d’excès mal contrôlés. Il confirme ainsi la tendance entamée avec son film précédent : en s’éloignant de l’Amérique, son cinéma se teinte d’une grande touche de Blier, même s’il reste suffisamment personnel pour éviter la faute de goût.
D’ailleurs, comme le cinéma de Blier, le Dupieux nouvelle période (nous verrons par la suite si la tendance se maintient) est avant tout un cinéma dont l’absurde des situations sert à traduire une angoisse face au monde qui nous entoure. Dans ce cas précis, il traduirait même une angoisse vers ce que deviennent à la fois ce monde et ceux qui le peuplent. Le héros jette son dévolu sur une veste démodée; il conduit une voiture d’un modèle qui ne se fait plus depuis quelques décennies; le peu de chose que l’on en sait nous confirme que sa vie a été une désillusion (mariage raté); il choisit de s’isoler dans un village hors du temps, doit tout payer en liquide en raison d’un blocage de sa carte bancaire, dit avoir reçu un message d'un autre siècle (un fax). En bref, il refuse de regarder devant et se réfugie dans le passé. Cette régression, nous le comprendrons vite, est à l’origine du début de sa psychose… tout en devenant petit à petit également sa conséquence.
Plus le film avance, plus il nous donne l’impression que sa progression narrative est minutieuse et implacable mais que le cinéaste/scénariste a tout fait pour gommer les détails signifiants afin de lui donner des allures d’un grand n’importe quoi dont il est en réalité fort loin. C’est probablement ce brouillage des cartes qui en fait la force, qui lui donne des airs de fable cruelle anxiogène dans laquelle aucune personne n’est qui elle semble être. Alors certes, Dupieux respecte tellement sa propre logique que son film s’égare un peu en chemin et menace de nous perdre. Fort heureusement, il peut compter sur un duo de comédiens talentueux (Dujardin / Haenel, tous les deux tout en retenue) et sur une durée suffisamment modeste (1 h 17) pour nous garder à ses côtés tout au long de ce voyage vers notre seule et funeste certitude.

25 octobre 2019

★★★★ | Parasite (기생충)

★★★★ | Parasite (기생충)

Réalisation: Bong Joon Ho | Dans les salles du Québec le 25 octobre 2019 (MK2│Mile End)
Depuis l’an dernier, le cinéma asiatique a le vent en poupe à Cannes. Après l'excellent Une affaire de famille, c’est en effet Parasite qui a remporté la distinction suprême cette année.
La comparaison ne s’arrête d'ailleurs pas là. Les deux films prennent comme point de départ une famille qui peine à se faire une place dans ce monde de plus en plus inégalitaire et qui vit dans un véritable taudis. Cependant, les approche diffèrent ensuite rapidement. Si les héros de Shoplifter pratiquaient le vol à l'étalage, ceux de Parasite travaillent comme ils peuvent (ils plient des boîtes de pizza avec une compétence limitée). Les choses changent lorsqu’on propose au fils une place de professeur particulier auprès d'une étudiante de bonne famille. Il manipulera ses employeurs pour faire engager toute sa famille sur des emplois divers... mais chacun travaillera dur et sera compétent à son poste ! Nous sommes donc dans un premier temps loin du parasite du titre : la famille n’est pas oisive... elle n’a au contraire jamais autant travaillé au contact des nantis. Mais où, alors, est le parasite du titre ? Cette petite question n’est pas anodine ; elle nous entraîne d’emblée dans la logique narrative du film, qui prend toujours le spectateur à contre-pied de ses propres attentes. Mais son sens du timing est si impressionnant que ce qui aurait pu passer pour des petites manipulations scénaristiques un peu trop faciles se transforme en petits cadeaux aux spectateurs, qui deviennent plus les complices amusées d'un cinéaste cynique que des dindons de la farce.
Parasite nous parle certes de notre société, de ses inégalités, de l’envie des plus démunis de s’en sortir comme ils peuvent, des humiliations (même involontaires) qu'ils doivent subir, de l’implacable poids de leur condition... mais l'art du contre-pied de Bong Joon Ho lui permet d’éviter de sombrer dans la bonne conscience simpliste, tout en lui donnant des allures de film de genre particulièrement jouissif.
Après le formidable Joker, sorti il y a peu, Bong Joon ho fait lui aussi le portrait de notre époque avec un film à la fois truffé de qualités et accessible à un public très large. On aime ça !
★★★ | The Lighthouse / Le phare

★★★ | The Lighthouse / Le phare

Réalisation: Robert Eggers | Dans les salles du Québec le 25 octobre 2019 (VVS Films)
Il y a un peu plus de trois ans, The Witch avait été une incroyable révélation, en même temps qu’un film visuellement splendide! Le tout premier plan de The Lighthouse en est digne : une image grise, avec des formes en mouvement dans le bas de l’écran, qui prend des allures de toile qui s’anime. Lorsque progressivement les formes abstraites deviennent des vagues et qu’un bateau vient percer le brouillard, Eggers trouve la transition parfaite pour nous faire passer de la forêt de The Witch à l’univers marin de The Lighthouse. La suite du film est visuellement à l’avenant. Tout simplement splendide! The Witch avait des allures de toile de maître, The Lighthouse ressemble à un hommage au cinéma d’antan, rendu par un faiseur d’images hors pair. La bande-son, avec corne de brune et bruits des vagues omniprésents, vient ajouter une touche anxiogène à des images à la fois inquiétantes, fascinantes, ou tout simplement sublime au-delà de ce qu’il est possible d’imaginer.
Et pourtant...
Et pourtant, ce qui avait tout pour devenir un chef-d’œuvre tombe à plat. Alors qu’on aurait aimé embarquer dans un film qui génère des émotions par les sens et par la maîtrise de l’association de l’image animée et du son, Eggers semble hésiter entre deux directions: celle-ci d’une part, et, d'autre part, un affrontement psychologique entre deux hommes chargés de faire fonctionner un phare sur une île isolée. Malheureusement, jamais les deux orientations ne se rejoignent ou ne s’enrichissent mutuellement. Au contraire, elles se phagocytent en permanence, laissant au spectateur impressionné par tant de beauté l’amère sensation d’être passé à côté de ce qui avait tout pour être une œuvre majeure.
Mais ce que nous pensions d’Eggers tient toujours. Son talent est impressionnant. Souhaitons-lui d’en faire bon usage la prochaine fois. Nous n’attendons que ça!