4 mars 2021

★★½ | My Salinger Year (Mon année Salinger)

★★½ | My Salinger Year (Mon année Salinger)

Réalisation: Philippe Falardeau | Disponible au Québec en VSD et en salle le 5mars 2021 (Metropole):

Quatre ans après Chuck, le québécois Philippe Falardeau tourne un second drame biographique d’affilée avec My Salinger Year. En adaptant le récit autobiographique de la journaliste indépendante, poète, critique et romancière américaine Joanna Smith Rakoff, Falardeau délaisse les gants de boxe pour la machine à écrire.
On reconnaît la facture de Falardeau dans sa façon un peu pédagogique d’aborder son sujet et les relations de pouvoir et de hiérarchie mises en place. Mais ce qui agace un brin dans cette plongée dans le milieu littéraire est sa formule empruntée à The Devil Wears Prada de David Frankel et cette douceur générale (appuyée par la musique de Martin Léon) qui se dégage, de telle sorte qu’on demeure toujours en surface. Un peu plus de profondeur n’aurait pas nui à l’ensemble, mais on arrive toutefois à saisir les enjeux éthiques de cette agence littéraire prestigieuse déphasée et le fossé générationnel qui sépare notre jeune aspirante écrivaine de la hiérarchie existante. En revanche, la relation amoureuse entre Joanna et son copain est somme toute assez banale alors que le récit d’apprentissage et le cheminement qui s’ensuit le sont encore plus. Ainsi, les embûches qui se dressent sur son chemin forcent notre jeune héroïne à se remettre en question sur son avenir et faire preuve d’audace.
Ceci étant dit, la reconstitution modeste mais efficace du New York du milieu des années 1990 et la lumière de Sara Mishara (La grande noirceur, Tu dors Nicole) sont au diapason avec la mise en scène assurée. Dans le rôle principal, la vedette montante Margaret Qualley est attachante avec son mélange de candeur et de détermination alors qu’à ses côtés Sigourney Weaver excelle dans un rôle toutefois plus stéréotypé de la directrice de l’agence laissant transpirer ses émotions au fil de l’intrigue. Malgré les maladresses, My Salinger Year reste un film agréable qui se veut une ode à la littérature et à la création.

26 février 2021

★★★★ | Minari

★★★★ | Minari

Réalisation : Lee Isaac Chung | Disponible au Québec en VSD et en salle le 26 février 2021 (Entract Films)
Minari, film américain tourné principalement en coréen, profite de la réouverture des cinémas du Québec pour faire son apparition dans nos salles (et en ligne) à quelques jours de la prochaine cérémonie des Golden Globes, où il est finaliste dans la catégorie meilleur film en langue étrangère.
Le film met en scène une famille d’immigrants coréens qui décident de démarrer une ferme dans l’Arkansas dans les années 80. Si on ajoute à ce point de départ d’autres éléments abordés dès le début du film (la maladie du cœur du jeune fils, l’arrivée prochaine de la grand-mère qui vivait en Corée, les difficultés pour entreprendre avec un apport financier limité, les tensions dans le couple), on obtient de nombreux éléments qui auraient facilement pu faire basculer Minari vers le drame familial digne d’un mauvais téléfilm d’une autre époque. Fort heureusement, l’écriture du scénario est d’une délicatesse et d’une intelligence rares. En moins de 2 heures, Lee Isaac Chung, traite judicieusement a minima les sujets attendus en évitant les passages obligés, distille quelques éléments dramatiques moins prévisibles avec subtilité et enchaine le tout sans avoir recours au moindre effet. Cette absence d’effets, associé à un sens de l’observation impressionnant (une scène suffit à nous faire comprendre un enjeu sur lequel il n’est pas utile de revenir par la suite) permet au cinéaste de nous en dire finalement bien plus sur le déracinement et le rêve américain que bien d’autres films qui se voudraient plus éloquents.
La mise en scène et la direction d’acteurs sont à l’avenant et finissent par conférer au film une modestie qui pourrait déstabiliser. Mais c’est justement la force de Minari. C’est cette modestie qui rend ces personnages beaux et attachants et qui nous aide à comprendre leurs craintes, leurs espoirs, leurs motivations et leurs doutes plus ou moins étouffés, mais d’autant plus touchants qu’il n'en est jamais fait étalage.
Minari, ou l’art (pas si fréquent dans le cinéma américain) de la simplicité, est une des très belles surprises cinéphiles de cette année si particulière!
★★★★ | Chers camarades! / Dear Comrades (Дорогие товарищи)

★★★★ | Chers camarades! / Dear Comrades (Дорогие товарищи)

Réalisation : Andreï Konchalovski | Disponible au Québec en VSD et en salle le 26 février 2021 (EyeSteelFilm)

Le cinéma russe ne cesse de puiser à même son histoire afin d'exposer les failles d'un système austère et gangrené. Ce fut le cas récemment de l'hallucinant Leto de Kirill Serebrennikov, du puissant Conference d'Ivan Tverdovsky et maintenant de l'excellent Chers camarades! de l'expérimenté Andreï Konchalovski, récompensé à la Mostra de Venise et qui pourrait très bien se retrouver aux Oscars.
Se déroulant à l'été 1962 dans une ville de l'URSS, le récit plonge dans le quotidien d'une bureaucrate prête à vilipender tout sentiment anticommuniste. Elle finit toutefois par désenchanter lorsqu'une séance de protestation tourne au massacre et que sa propre fille disparaît dans la foulée...
C'est la fin des illusions pour l'héroïne, incarnée royalement par la sublime et impériale Julia Vysotskaya, dont le personnage fait d'abord l'effet d'une mégère avant d'être confirmé comme victime. Manipulée à l'image de ses semblables par un système implacable, elle est en perpétuelle quête de liberté. Mais cela paraît impossible tant les mains invisibles se dressent pour l'arrêter et l'attraper. L'absurdité règne et si elle n'est pas aussi caustique que dans The Death of Stalin, un certain humour noir en émane... jusqu'au moment où la tragédie sonne.
S'attendre alors à une variation du chef-d'œuvre La grève d'Eisenstein serait bien mal connaître le cinéaste à la feuille de route complétement imprévisible, qui a écrit les scénarios des premières fresques d'Andreï Tarkovski et dirigé Sylvester Stallone! À 83 ans, Konchalovski adhère plutôt au calme méthodique, faisant beaucoup avec un budget limité. Sa mise en scène quelque peu statique se veut réfléchie et minutieuse, alors que ses exposés rhétoriques demeurent empreints de considérations morales et, ultimement, émotionnelles.
Sur une belle lancée depuis Les nuits blanches du facteur, le réalisateur tranche avec le côté âpre de son précédent Michel-Ange en renouant avec une superbe photographie en noir et blanc déjà exploitée dans Paradise. Mais son utilisation est ici beaucoup plus ingénieuse. Le cinéphile assiste à un combat permanent entre l'ombre et la lumière, cette dernière tentant de lever le voile opaque du silence et des mensonges. Puis il y a l'élaboration du cadre de l'image, plus serré que d'habitude, qui semble continuellement étouffer les êtres et même aspirer leur âme.
À l'image de Dostoïevski avec le bagne et de Soljenitsyne avec les goulags, Konchalovski tente avec ce qui est l'un de ses plus grands opus en carrière de faire œuvre utile en révélant ce qui fut longtemps tût. Porté par son titre ironique, Chers camarades! devient ainsi un important effort de mémoire qui éclaire autant hier qu'aujourd'hui et qui rappelle que le septième art russe est en pleine vitalité, entre la vision de ses maîtres (Sokourov, Zvyagintsev) et celle d'élèves ultra doués qui proposent des œuvres fortes comme Beanpole et DAU. Natasha.

25 février 2021

★★★½ | La déesse des mouches à feu

★★★½ | La déesse des mouches à feu


Réalisation: Anaïs Barbeau-Lavalette | Dans les salles du Québec le 25 septembre 2020, puis le 25 février 2021 (Entract Films)

Soyons honnêtes. Jusqu’ici, les longs métrages de fiction d’Anaïs Barbeau-Lavalette ne nous avaient pas convaincus. Certes, la cinéaste avait le grand mérite de regarder aussi bien ici (Le ring) qu’ailleurs (Inch'Allah), mais son écriture scénaristique laissait grandement à désirer et confondait trop souvent qualités artistiques et bons sentiments. (Nous précisons scénaristique... il n’est bien évidemment pas question des autres formes d’écriture qu’affectionne Barbeau-Lavalette.)
Autant dire qu’avec La déesse des mouches à feu, nous avions quelques inquiétudes puisqu’elle ajoutait à nos craintes passées de possibles écueils où plus d’un·e·s ont échoué (adaptation d’une œuvre littéraire aux qualités reconnues; film sur l’adolescence nous confrontant à la sainte trinité à haut risque (phase rebelle; découverte des substances illicites; conflits avec des parents qui sont eux-mêmes en conflit entre eux).
Et pourtant... pour notre plus grand plaisir, Barbeau-Lavalette évite un grand nombre de pièges potentiels et nous livre un bon film. Le scénario de Catherine Léger y est pour beaucoup. Délaissant les lourdeurs trop souvent imposées (explications psycho-socio-généalogico-jenesaisquoi de chaque action), il va à l’essentiel, élimine le superflu, et parvient aussi bien à dresser le portrait d’une jeune femme qui se cherche et d’un groupe d’amis (qui ne sait pas trop non plus où il va!) qu’à traiter des sujets d’un simple plan (une amie d’hier qui sort de sa vie, parce que la vie est ainsi faite) ou avec une intelligence rare (a-t-on déjà aussi bien parlé de suicide au cinéma en si peu de mots et d’images?). En osmose parfaite avec sa scénariste, Anaïs Barbeau-Lavalette nous offre une mise en scène qui possède à la fois la fougue de la jeunesse, la délicatesse de la cinéaste et de vraies propositions jamais affectées. Le sens de l’observation de Barbeau-Lavalette (évident depuis son premier film) peut alors s’exprimer pleinement.
Grâce à la parfaite union de ces deux talents, mais également aux talents de l’ensemble des comédien·ne·s (impeccables), La déesse des mouches à feu fait figure de grande réussite. À ce jour, LE film québécois à voir en 2020... sans le moindre doute!
★★★ | Alcootest / Another Round  (Druk)

★★★ | Alcootest / Another Round (Druk)

Réalisation: Thomas Vinterberg | Disponible au Québec en VSD à partir du 18 décembre 2020 et en salle à partir du 26 février 2021 (Métropole)
Avec Alcootest, Thomas Vinterberg retrouve Mads Mikkelsen quelques années après le très réussi La chasse. Le résultat, un peu moins maîtrisé, est également beaucoup moins désabusé.
Avec le passage du temps et l’installation du petit traintrain de la vie (professionnelle et domestique), la lassitude peut prendre le dessus. Quatre profs vivent cette triste réalité, jusqu’à ce qu’ils décident de tester la théorie d’un chercheur danois dont l'affirmation peut surprendre: nous naissons avec un déficit d’alcool dans le sang et le taux d’alcool idéal est de 0,5 g. Avec une volonté scientifique digne de leur statut d’enseignants, ils vont donc opter pour une consommation raisonnée, et leur vie va changer pour le mieux. Du moins pour un temps... l’augmentation des doses au delà du raisonnable ne correspondant pas à une hausse de bien-être!
Malheureusement, Vinterberg se laisse un peu enfermer dans son idée de départ et ne parvient jamais vraiment à faire sortir son film de sa morale: boire un peu, c’est bien, mais boire trop, c’est dangereux. Certes, il parvient à donner vie à d’attachants personnages et à créer de véritables interactions avec leurs entourages (famille, élève, collègues), mais le tout, trop théorique, peu incarné et surtout trop illustratif, ne convainc pas totalement. Fort heureusement, les lourdeurs d’écriture sont contrebalancées par la capacité de Thomas Vinterberg à filmer la vie, et principalement trois de ses composantes: la lassitude, les espoirs et les excès. Sa collaboration avec Mads Mikkelsen fait une nouvelle fois mouche, et au delà du discours, c’est surtout le portrait de son personnage que l’on retiendra.
Lors de la toute dernière scène, il peut avec sérénité trouver ce qu’il n’avait alors jamais vraiment trouvé : l’état (réellement) festif. Le prof se libère alors et nous offre une séquence dans laquelle l’envie de vivre en toute liberté explose enfin, de manière plus spontanée et moins calculée qu’à l’occasion des expérimentations éthyliques mal contrôlées. Parfois, une fin est si belle qu’elle fait oublier quasi instantanément les faiblesses d’un film. C’est le cas avec la dernière scène d'Alcootest!
★★★ | Deux

★★★ | Deux

Réalisation: Filippo Meneghetti | Disponible en VSD au Québec à partir du 5 février, et en salle à partir du 25 février 2021 (Métropole Films Distribution)
Deux, premier long métrage du réalisateur Filippo Meneghetti, aura l’honneur de représenter la France aux prochains Oscar. Également récipiendaire de deux Prix Lumière (dont celui de la meilleure première œuvre), le film arrive maintenant en VSD au Québec.
Très rapidement, Deux attire l’attention par son esthétique qui se rapproche de celle du thriller: la photo assez sombre d’Aurélien Marra évoque en effet instantanément ce genre. À l’évidence délibéré, le choix est confirmé durant tout le film par certains aspects de mise en scène (le plan de la femme qui rend visite, le soir, aux enfants de sa maitresse, par exemple) ou/et de scénario (les visites nocturnes dans l’appartement d’en face, pour ne citer qu’elles). En raison de cet univers, le spectateur qui assiste à cette histoire d’amour entre deux femmes âgées ressent le poids d’une fatalité: les choses ne se passeront pas simplement, et ce lesbianisme du troisième âge ne se fera à l’évidence pas sans heurts, ce que confirme vite la suite. Même en apparence ouverte d’esprit, une fille d’une quarantaine d’années n’accepte pas si facilement le fait que sa mère aime une autre femme, et cela en cachette depuis des décennies.
Le sujet, qui fut probablement tabou par le passé, a indéniablement sa place à notre époque, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. La volonté du cinéaste de faire glisser son cinéma vers le cinéma de genre pour aborder un sujet social, même si Meneghetti n’est pas le premier à le faire, est également réjouissante. Il lui permet d’éviter certains pièges du drame en attirant l’attention vers d’autres enjeux, ce qu’il parvient à faire. Malheureusement, il pousse le bouchon un peu trop loin. En grossissant certains traits (pour ne retenir que l’exemple le plus flagrant, les relations avec la garde-malade, de la destruction de la voiture à la séance d’intimidation et de saccage de l’appartement), le cinéaste jette un si gros voile sur son drame humain qu’il finit par étouffer totalement son enjeu sociétal (l’histoire d’amour contrariée par la maladie de la femme aimée et par l’étroitesse d’esprit de la société).
Cette ambition mal maitrisée est regrettable car l’idée n’était pas mauvaise et le cinéaste ne manque pas de talent (il sait filmer et diriger ses actrices et acteurs, créer un univers singulier, prendre des risques).
Le film demeure à voir pour toutes ces raisons, et malgré ses faiblesses. De son côté, Filippo Meneghetti fait indéniablement son apparition sur la longue liste des cinéastes à suivre de près !