21 octobre 2021

★★★ | Il n’y a pas de faux métier

★★★ | Il n’y a pas de faux métier

Réalisation : Olivier Godin | À la cinémathèque québécoise du 23 au 26 octobre 2021.

Critique publiée dans le cadre du FNC 2020

Ceux qui ne connaissent pas le cinéma d’Olivier Godin risquent d’être surpris, tant ses films ne ressemblent à rien de connu (même si certaines influences sont évidentes!). En ce qui nous concerne, nous faisons partie des amateurs du cinéaste, même si nous devons avouer que, de film en film, nous avons toujours un peu peur que Godin ne finisse par transformer sa créativité en système, et son inventivité en procédé.
Une nouvelle fois, avec Il n’y a pas de faux métier, le cinéaste n’est jamais bien loin de tomber dans son propre piège… mais une nouvelle fois, il parvient à éviter la chute. Certes, il reste adepte de ce cinéma où se côtoient avec une assurance presque insolente la poésie, la vulgarité assumée, l’érudition, la philo-pop, les références multiples, l’humour très personnel, l'absence de véritable enjeu dramatique et la musique aux accents jazzy. Mais le côté parfois brouillon des précédentes œuvres laisse la place à une plus grande maîtrise : rarement en effet un bordel cinématographique aura été aussi bien organisé. De plus, la photo, pas toujours irréprochable dans ses longs métrages passés (à l’exception de Nouvelles, Nouvelles) est ici en phase totale avec les évidentes velléités graphiques du cinéaste. Cadre précis, noirs profonds, rouges obsédants, jeux de lumières soignés… certains plans sont particulièrement beaux et viennent apporter une évidente valeur ajoutée à l’ensemble.
Alors si vous ne connaissez pas encore le cinéma de Godin, Il n’y a pas de faux métier est probablement la porte d’entrée idéale dans l’univers insolite du cinéaste.
Et pour les autres, une question s’impose. À quoi ressemblera le prochain Godin ? Réussira-t-il à se renouveler ? Finira-t-il par faire évoluer son cinéma avant de se prendre les pieds dans son propre système ! Réponse au prochain épisode… 

15 octobre 2021

★★★½ | Bergman Island

★★★½ | Bergman Island

Réalisation: Mia Hansen-Løve | Dans les salles du Québec le 15 octobre 2021 (Cinéma Du Parc)

Deux cinéastes américains s’échappent à l’île de Fårö, où Ingmar Bergman résidait, en espérant y trouver l’inspiration nécessaire pour leur scénario respectif. Dans les mains de tout autre cinéaste, Bergman Island aurait probablement été un exercice métatextuel lourd, mais Mia Hansen-Løve approche son sujet avec une touche légère, parfois amusée et parfois sincère, qui lui permet d’éviter de faire son film une œuvre outrancièrement révérente.
Évidemment, l’omniprésence de Bergman dans le film permet à Hansen-Løve d’explorer quelques de ses ruminations sur la figure de l’artiste. Souvent, cette figure est ici confrontée à sa vie personnelle avec laquelle il peut, ou pas, être en adéquation. Dans ses pires moments, Bergman Island devient l’objet redouté : un objet cinéphile hermétique et qui se contente paresseusement de commenter sur sa propre nature. Toutefois, la réalisatrice tombe rarement dans le piège. Les références au maître suédois sont plus souvent anecdotiques et servent à remettre en jeu les conflits qui habitent les personnages, plutôt que de dicter strictement les aboutissants du scénario.
C’est donc, avec raison, la dynamique entre ses deux personnages qu’explore Hansen-Løve ici. Si, étant donné leur statut social, ils paraissent foncièrement privilégiés, la réalisatrice n’exagère jamais leur drame et se prive d’élan mélodramatique. Qui plus est, elle infuse à ses personnages assez de vécu  elle aurait été inspirée par le même parcours sur l’île de Fårö  et de sincérité pour les rendre crédibles, à défaut d’être vraiment sympathiques à l’audience. La mélancolie qui les habite est aussi triste que rêveuse. Loin de se lover dans une misère insoutenable, Bergman Island trouve un confort dans la possibilité d’être habité par ses souvenirs, aussi douloureux soient-ils. L’île de Fårö, autant par ses décors de fin d’été tranquille que par son importance dans l’histoire du cinéma, devient un lieu fécond pour les souvenirs imaginées par Mia Hansen-Løve.

8 octobre 2021

★★★½ | No Time to Die (Mourir peut attendre)

★★★½ | No Time to Die (Mourir peut attendre)

Réalisation: Cary Joji Fukunaga | Dans les salles du Québec le 8 octobre 2021 (MGM)

Après le décevant Spectre sorti en 2015, Daniel Craig termine en beauté sa pentalogie sous les traits du célèbre agent 007 dans ce nouvel opus, le 25e de la franchise du personnage de fiction créé en 1953 par Ian Fleming et dont les exploits cinématographiques ont débuté il y a près 50 ans en 1962 avec Dr. No.
Sous la direction de Cary Joji Fukunaga (Beasts of No Nation), No Time to Die est un film plein de surprises qui ose s’aventurer dans des recoins personnels, dramatiques et sentimentaux. Avec l’assurance qu’on lui connaît, Craig incarne à nouveau un Bond fragile qui ne maîtrise pas toujours ses émotions. Un personnage souvent tourmenté, replié sur lui-même, qui se sent plus préoccupé par ses problèmes passés et personnels que par la lutte contre les ennemis du monde libre. À cet effet, sa relation avec le personnage de Léa Seydoux (qui incarne à nouveau la psychologue Madeleine déjà présente dans Spectre) prend une certaine ampleur et ajoute un arc émotionnel qui fonctionne à différents degrés et constitue un des points forts du film.
Autre aspect intéressant: l’atmosphère crépusculaire, accentuée par la lumière de Linus Sandgren (La La Land), présente tout au long du film, qui contribue à faire de ce dernier opus l’épisode le plus sombre à ce jour. Mais nous sommes tout de même dans un film de James Bond et qui dit James Bond dit film d’action. Le film regorge donc de fusillades et de poursuites pour la plupart filmées de façon relativement efficace, mais parfois redondante. D’une durée de 163 minutes  le plus long de la série  le film souffre aussi de quelques longueurs et d’un méchant peu mémorable (Rami Malek, peu inspiré, qui incarne un agent de guerre biologique menaçant le monde entier).
Malgré ces bémols, No Time to Die est un Bond de très bonne facture, un des meilleurs de la série, qui est surtout rehaussé par un dernier tiers fort en émotions qui nous en dit plus sur l'interchangeabilité que n'importe quel James Bond auparavant.

1 octobre 2021

★★½ | Titane

★★½ | Titane

Réalisation: Julia Ducournau | Dans les salles du Québec le 1 octobre 2021 (Entract Films)
La Palme d’or cannoise a rarement été attribuée à du cinéma de genre, encore plus rarement à un film réalisé par une femme. Spike Lee, qui a oublié d’être un grand cinéaste depuis bien longtemps, nous prouve qu’il n’est pas non plus un grand président de jury. Par soucis probablement partagé de marquer l’histoire et de bousculer l’ordre établi, son jury a donné le prix suprême à un film plus prétentieux que réussi.
La première demi-heure de Titane a les qualités requises pour en faire un petit film d’exploitation bien fichu, évoquant bon nombre de films des années soixante-dix, notamment la première période de David Cronenberg. Par la suite, Titane suit un peu l’évolution de la carrière du cinéaste canadien susmentionné en optant pour une approche beaucoup plus cérébrale. Malheureusement, Ducournau n’est pas Cronenberg et au lieu de transcender le genre, elle le transforme maladroitement en vecteur d’une réflexion sur la filiation, la paternité, le besoin d’amour et la rédemption. Si ces sujets avaient été bien traités, nous en aurions été ravis mais malheureusement, elle le fait avec une telle volonté lourdingue d’être prise au sérieux et un goût si puéril de choquer le bourgeois qu'elle passe à côté d’un peu tout ce qui aurait pu faire la force de son film (ce que nous lui reprochions déjà un peu avec Grave). Nous reconnaissons cependant une nouvelle fois qu’elle n’est pas dénuée de talent (bien au contraire) mais son discours est d’une banalité si confondante que nous avons bien du mal à y voir autre chose qu’un film de genre mineur aux ambitions bien trop fortes pour un développement si faible.
Pas assez assumé pour divertir, pas assez subtil pour sublimer le genre, Titane nous laisse donc sur notre faim. Nous allons toutefois continuer à croire en Julia Ducournau. Peut-être qu’avec cette Palme d’or, elle sera libérée d’un poids et pourra élaguer son écriture de ses afféteries pseudo-intello-provocatrices pour aller à l’essentiel, en s’appuyant sur un sens de la mise en scène qui ne laisse planer aucun doute. 
À moins que sa Palme ne l’incite à persister sur cette voie! Plus que jamais : à suivre, donc!

24 septembre 2021

★★★¾ | Maria Chapdelaine

★★★¾ | Maria Chapdelaine

Réalisation: Sébastien Pilote | Dans les salles du Québec le 24 septembre (MK2 | Mile End)
Après une longue attente et des reports covidiens, il est enfin temps d'accueillir sur nos écrans le très attendu Maria Chapdelaine. Trois ans ont passé depuis La disparition des lucioles, et Sébastien Pilote nous revient avec l'adaptation d'un livre marquant de notre littérature, qui est également une œuvre ayant traversé la filmographie du cinéaste depuis ses débuts (pour en avoir le cœur net, lire à ce sujet Voir disparaître).
Dès les premières images, on comprend que Pilote est ici dans son élément. Aidé par la magnifique photo de Michel La Veaux, il restitue la vie de la ferme dans le Québec du début du XXe siècle avec un beau sens du détail et une force impressionnante.
Au rythme des saisons, il observe les travaux des champs, les petits plaisirs (de la cueillette des bleuets aux veillées avec le voisinage), les inquiétudes (les proches qui partent de longs mois pour effectuer des tâches difficiles et dangereuses), les drames (la mort de ceux qu’on aime), les espoirs (les promesses de la vie moderne aux États) et finalement l’attachement au sol et aux traditions.
En plus de nous livrer tout cela avec un sens de la mise en scène qu'on lui connaissait peu, Pilote livre surtout un superbe portrait d'une jeune femme volontaire, réfléchie et réservée, parfaitement incarnée avec un mélange de force et de la maladresse propre à l'adolescence par Sara Montpetit. Sa prestation donne une force à sa Maria, qui, même si elle est effacée et parle peu, devient un des plus beaux personnages féminins du cinéma québécois de ces dernières années.
Alors certes, l'idéalisation de la vie des champs et le discours conservateur parfois un peu trop insistant peuvent agacer... mais d'une part, il était difficile de s'en passer en raison du sujet (quand on adapte Maria Chapdelaine, on assume), mais surtout la maîtrise de Pilote est si parfaite qu'on peut aisément décider de faire fi de ces sources (mineures) d'agacement.
★★★½ | Petite fille

★★★½ | Petite fille

Réalisation: Sébastien Lifshitz | Dans les salles du Québec le 24 septembre 2021 (Cinéma du Parc)

Un an après Adolescentes, Sébastien Lifshitz revient avec un nouveau documentaire: Petite fille. Cependant, le titre est (à première vue) trompeur et le film n'est pas à l'enfance ce que le précédent était à l'adolescence. Sasha est en effet née garçon, mais du haut de ses huit ans, et depuis déjà de longues années, elle se sent fille plus que garçon. La force de Lifshitz est de tirer profit de son précédent film pour trouver d'emblée le bon angle, la bonne distance, la bonne approche. Cela lui permet, avec une grande sensibilité, de restituer le désir (et les craintes) d'une enfant, l'amour (et l'inquiétude, voire le sentiment de culpabilité) des proches, mais aussi l'incompréhension de l'entourage (principalement scolaire).
Très beau film sur l'amour d'une famille pour un de ses membres "différent" des autres, Petite fille aborde aussi un sujet de plus en plus souvent traité au cinéma (voir à ce sujet Girl, par exemple), mais le fait en traitant "l'avant", c’est-à-dire avant le début du traitement hormonal ou de la possibilité d'une chirurgie. Pour Sasha, l'autorisation finalement reçue d'aller à l'école avec des vêtements de fille est vue comme un aboutissement. De son côté, la mère sait que ce n'est que le début d'un parcours du combattant à venir. Cette opposition entre la joie enfin rencontrée par l'enfant (qui vit dans le moment présent) et l'inquiétude d'une mère (qui se projette déjà dans l'avenir) est bouleversante.
Il faut rendre grâce à Sébastien Lifshitz d'avoir su nous donner suffisamment d'éléments, dans un respect permanent pour les protagonistes, pour nous aider à comprendre un peu mieux ce phénomène complexe et l’importance du rôle à jouer par l’entourage des personnes concernées.