9 décembre 2022

★★★★ | Le Lycéen

★★★★ | Le Lycéen

Réalisation : Christophe Honoré | Dans les salles du Québec le 9 décembre 2022 (Axia)
Le Lycéen place Christophe Honoré dans son approche la plus autobiographique de sa carrière. Le drame au centre du film fait référence à la mort du père du réalisateur et c’est lui-même qui, ici, joue le rôle du parent disparu trop tôt. Si, formellement, le cinéaste agit toujours en élève de la Nouvelle Vague, cette proximité au sujet lui permet d’afficher une nouvelle vulnérabilité. Le deuil y est évoqué de manière foncièrement sentit, dans ses douleurs et ses injustices, mais aussi dans ses fréquentes absurdités, avec une justesse de ton rare.
Le réalisateur réussi à trouver une juste alternance entre une approche frontale, par la voix off presque défiante de son personnage principal, et l’une distanciée, plus observatrice. Il devient en quelque sorte en phase avec son protagoniste adolescent qui, à la suite du drame, doit composer avec son deuil alors même que sa propre identité était en questionnement, voir chancelante. Si l’on reconnaît les pensées d’un jeune Honoré au centre, Paul Kircher, dans le rôle principal, s’acquitte de la tâche improbable de porter un film si personnel sur ses épaules. Sa performance, à l’image du travail de mise en scène, est souvent détachée mais toujours prêtes à s’envoler dans des élans d’émotions. Elle traduit l’immaturité émotionnelle et l’incertitude d’un personnage appelé à grandir trop vite.
Par la profonde tendresse qu’Honoré porte sur ses personnages, le film évite de devenir trop sombre malgré son sujet. Malgré l’état de crise, le récit du cinéaste reste foncièrement bienveillant et, cette fois-ci, avec une vulnérabilité renouvelée pour le cinéaste. Son approche porte fruit, tant Le Lycéen se place comme un de ses meilleurs films à ce jour.

2 décembre 2022

★★★½ | Petite nature

★★★½ | Petite nature


Huit ans après Party Girl (réalisé conjointement avec Marie Amachoukeli et Claire Burger), Samuel Theis retourne dans sa Lorraine natale pour son premier film en solo avec Petite nature. Présenté en séance spéciale à la 60e semaine de la Critique à Cannes en 2021, ce drame d’apprentissage est une plongée bouleversante dans le monde de l’enfance. La caméra suit à hauteur d’enfant le parcours initiatique de Johnny, un jeune garçon de 10 ans très androgyne aux cheveux longs blonds et au regard d’ange qui, pour fuir à sa famille toxique, va se lier d’amitié avec son nouvel enseignant auprès de qui il se sent plus à l’aise et mieux compris. Avec intelligence et sensibilité, le réalisateur s’inspire de sa propre expérience et propose un parcours en forme de lutte personnelle et émotionnelle de ce jeune protagoniste en quête d’identité sociale et sexuelle.
Dans le rôle de Johnny, le jeune Aliocha Reinert crève l’écran avec son mélange de fragilité et de pulsions de rage qui éclate par à-coups (mémorable lors de la scène d’un dîner familial). Malgré quelques petites longueurs et certaines scènes répétitives, ce qui démarque Petite nature des autres drames sociaux familiaux plus manichéens des récentes années (Un monde) est cette manière de dépeindre la transcendance que cet enfant trouve dans de nombreux aspects qui peuvent sembler superflus aux yeux des adultes. C’est par son processus d’apprentissage qu’il traverse les difficultés reliées à la banlieue, à la pauvreté et à une famille dysfonctionnelle. Le film évite habilement les pièges du misérabilisme et se concentre sur l’origine de sa passion et de son désir pour un professeur attentif, qui coïncide avec le moment le plus douloureux de sa vie. C’est dans cette distinction entre la réalité et le désir que le film trouve son équilibre, que le jeune Johnny arrive à un point de convergence et que le drame grandit sous nos yeux.

25 novembre 2022

★★★½ | Les Fableman (The Fablemans)

★★★½ | Les Fableman (The Fablemans)

Réalisation: Steven Spielberg | Dans les salles du Québec depuis le 23 novembre 2022 (Universal)
Est-ce possible de comprendre ce qui donne naissance à un cinéaste ? Avec The Fablemans, Stephen Spielberg nous présente une semi-autobiographie qui raconte la jeunesse de Sam (Sammy) Fableman. Un Sammy qui, comme lui, découvre le cinéma, enfant, jusqu’à devenir un adulte enregistrant cinématographiquement le monde autour de lui afin de donner un sens à la pellicule.
L’enfance de Sammy est douce. Une enfance avec une famille omniprésente, importante, soudée. Spielberg nous fait découvrir peu à peu la vie de cette famille aussi dysfonctionnelle dont les parents joueront un rôle déterminant dans l’avenir de Sam. D’une part, un père qui vit dans le désaveu, absorbé par son travail d’ingénieur. Qui accepte les promotions et qui amèneront la famille à travers le pays, en Arizona puis en Californie. D’autre part, une mère absorbée par sa musique et son monde imaginaire. Une mère et épouse, magnifiquement interprétée par Michelle Williams, qui n’entre pas dans le rôle conventionnel de la femme américaine des années 60. Ce sera elle qui ouvrira la voie à son fils, c’est elle qui lui offre sa première camera…
À partir de ce moment Sammy filme tout. Les jeux avec ses sœurs, les sorties avec les scouts, les vacances familiales au camping. Ce sera lors de ces vacances qu’il filmera sa mère danser sous la lumière des phares avec sa robe transparente. Malgré lui, Sammy devient témoin de l’idylle de sa mère avec son prétendu oncle. Dès lors, on découvre comment le cinéma est un prisme qui permet de cacher ou encore de révéler les secrets, les émotions. Est-ce le film de Sammy qui donnera le courage à sa mère de quitter la famille ? Peut-être le montage fait par son fils lui dévoile-t-elle ce qu’elle ne voulait pas voir, l’amour naissant qu’elle porte à son amant. Peu importe, ici encore ce sont les émotions qui comptent. Finalement, on aime la scène du bal de graduation où Sammy présente ses camarades de classe dans un montage touchant. À travers celui-ci, ses camarades embrasent la vie. On découvre le pouvoir du cinéma de Sammy et on pleure. Sammy sait maintenant mettre en valeur, cacher, ridiculiser... Réels ou imaginaires, ses personnages font alors partie intégrante de son art. Les Fableman est un hommage à la famille mais aussi au cinéma qui nous permet de rêver et, de se souvenir…

18 novembre 2022

★★★ | Bardo, Fausse chronique de quelques vérités / Bardo, False Chronicle of a Handful of Truths (Bardo, falsa crónica de unas cuantas verdades)

★★★ | Bardo, Fausse chronique de quelques vérités / Bardo, False Chronicle of a Handful of Truths (Bardo, falsa crónica de unas cuantas verdades)

Réalisation: Alejandro Gonzalez Inarritu | Dans les salles du Québec le 18 novembre 2022 (Netflix)
Ce n'est un secret pour personne: ce n’est pas la modestie qui étouffe l’œuvre d'Alejandro Gonzalez Inarritu. Parfois pour le meilleur et parfois pour un résultat qui laisse dubitatif. Avec Bardo, le cinéaste suit le voyage introspectif d'un journaliste devenu documentariste à succès, et se questionne en même temps que lui sur le passé et le présent, la vie professionnelle et la vie familiale, la paternité et la filiation, la vie et la mort... et j'en passe (notamment : son identité mexicaine, au centre de sa réflexion).
Malheureusement, le cinéaste finit vite par ne plus savoir sur quel pied danser, à tel point que Bardo ressemble à une suite de scènes tournant chacune autour d'un sujet, mais sans le liant nécessaire à la cohérence de l'œuvre.
Fort heureusement, si l'ambition (certains diront la prétention) d'Inarritu n'est plus à démontrer, son talent de faiseur d'images non plus. Ainsi, il nous offre quelques instants remarquables, parfois d'une beauté à couper le souffle, parfois d'une inventivité folle, parfois générateurs d'une émotion poignante... si bien que l'on est perpétuellement partagé entre l'admiration, l'agacement et la contrariété devant autant de talent mis au service d'un égo qui ne laisse jamais place à la poésie macabre d'un Alejandro Jodorowsky (auquel on pense trop souvent, mais pas que. Beaucoup d'autres ont réussi là où Inarritu s’est pris les pieds dans le tapis).
Alors oui, le film est parfois très beau et certaines scènes méritent d’être vues sur grand écran, mais on ne peut s'empêcher de se demander s’il ne serait pas préférable d’attendre la sortie Netflix pour le regarder à petites doses, à raison de 30 minutes par jour. La proposition peut sembler sacrilège pour un cinéphile... mais pas si extravagante après l'avoir visionné! Il deviendrait ainsi probablement beaucoup plus digeste!

11 novembre 2022

★★ | Chien Blanc

★★ | Chien Blanc

Réalisation: Anaïs Barbeau-Lavalette | Dans les salles du Québec depuis le 9 novembre 2022 (Sphère Films)
Au moment de la sortie de La déesse des mouches à feu, nous écrivions le plus grand bien du film, mais également notre (bonne) surprise de voir Anaïs Barbeau-Lavalette (la cinéaste, pas l'autrice) abandonner sa fâcheuse tendance à se laisser étouffer par des sujets inattaquables et des bons sentiments. Malheureusement, le film n'était à l'évidence qu'un heureux accident de parcours, probablement lié à l'intelligence du scénario écrit par Catherine Léger (d'après Geneviève Pettersen), qui laissait à la cinéaste la possibilité de s'exprimer par l'image.
Avec Chien blanc, elle semble se souvenir de son talent de cinéaste et parvient parfois à faire naître l'émotion d'un plan, d'une image, d'une idée de mise en scène. Mais ces petits instants ne sont que des brèves réminiscences de son précédent film. Bien sûr, le principal sujet traité est important (le racisme, vu à travers la situation des Noirs dans l'Amérique des années 60) et la cinéaste se penche sur lui avec application et respect. Mais elle n'est pas la première à le faire, d'autres l'ayant fait avec plus de finesse, et surtout avec une qualité essentielle qu'elle n'a visiblement pas: faire douter ceux qui ne pensent pas comme elle.
Ce n'est pas tout. Un autre défaut majeur est cette volonté de traiter trop de thèmes à la fois. En plus du premier trop lourd à porter, Barbeau-Lavalette se penche sur deux sujets qui apparaissent comme inutiles tant ils sont bâclés: la relation Romain Gary / Jean Seberg (qui avait pourtant tout pour être passionnante) et l'histoire de ce chien blanc, adorable avec les Blancs mais dressé pour s'attaquer aux Noirs (sujet tout aussi passionnant mais encore plus bâclé que le précédent). Dans son adaptation de 1982 (White Dog), Fuller avait fait un choix très différent et beaucoup plus judicieux, malgré le caractère mineur de son film.
Au final, la cinéaste nous livre donc trois films en un... sans en réussir un seul. Heureusement, son talent parvient à sauver l'ensemble par intermittences grâce à quelques propositions de mise en scène. Mais c'est bien trop peu par rapport à toutes ces attentes déçues.

3 novembre 2022

★★★★ | Armageddon Time (Le Temps de l'Armageddon)

★★★★ | Armageddon Time (Le Temps de l'Armageddon)

Réalisation: James Gray | Dans les salles du Québec le 4 novembre 2022 (Focus Features)
On connaît la place prépondérante qu’occupe la famille dans le cinéma de James Gray. Pour son huitième long-métrage, le réalisateur de We Own the Night se replonge dans son enfance avec Armageddon Time, drame très personnel à saveur autobiographique. Le film se déroule dans le Queens à New York en 1980, où le cinéaste a grandi. La trame narrative suit le parcours d’un jeune garçon de 12 ans dont l’avenir prend une tournure morose et inattendue qui coïncide étrangement avec la campagne présidentielle de Ronald Reagan et la transformation du rêve américain en cauchemar.
Avec ce récit d’apprentissage, Gray évite les pièges de la nostalgie en optant pour un ton mélancolique, didactique et sombre où le thème de la désillusion se trouve au cœur du propos. À travers une histoire en apparence simple, Gray se concentre d'abord sur les relations familiales, puis sur la relation d'amitié entre deux garçons.
Cette chronique aux ramifications complexes nous montrent des situations familières faussement banales — les scènes de repas chaotiques — où les attitudes peuvent changer au fil du temps, impliquant une meilleure compréhension. Cette dernière se manifeste aussi dans l’éducation scolaire avec cette opposition entre l’école publique et l’enseignement privé capitaliste financé par nul autre que Fred Trump, père de Donald.
À travers son savoir-faire ludique habituel et sa qualité d’interprétation (Anthony Hopkins et Jeremy Strong, excellents), Gray propose une chronique douce-amère qui se transforme petit à petit en une profonde méditation sur l’Amérique du début des années 1980. Une œuvre mélancolique où il nous fait part de l’importance de comprendre le passé familial, d’y réfléchir et de le transmettre à nos enfants, car au bout du compte, on finit tous par en sortir un peu. Et pour Gray, le cinéma est le plus beau moyen d’y parvenir.