27 juillet 2018

Fantasia 2018 selon Pascal Grenier | 2/3

Fantasia 2018 selon Pascal Grenier | 2/3

Chained for life
Après une vingtaine de films visionnés au cours de la dernière semaine et près d’une quarantaine jusqu’à présent, l’on constate qu’il n’est pas facile de réussir de l’excellent cinéma de genre. Bien entendu, certains films livrent la marchandise, mais ils sont de moins en moins nombreux à proposer un souffle original ou un vent de fraîcheur parmi l’afflux de films proposés dans cette 22e édition du festival.

De passage à Montréal pour venir y présenter ses deux dernières créations, le coréen Park Hoon-jung (scénariste de l’extraordinaire I Saw the Devil et réalisateur du solide New World) propose avec V.I.P. un film de tueur en série qui flirte aussi avec le film politique et le drame d’espionnage. Si le scénario est plus alambiqué que complexe, une seconde partie riche en rebondissements et une finale satisfaisante vient en partie racheter les failles et les invraisemblances du scénario. 
The Witch Part 1: The Subversion souffre des mêmes problèmes d’écriture et d’un rythme léthargique qui emprunte fortement au cinéma hollywoodien des récentes années, avec notamment cette fascination pour des personnages aux pouvoirs surhumains. Heureusement, le film offre une finale percutante et ultra violente qui permet au réalisateur de prouver son habileté à filmer des scènes de carnage très jouissives.

Avec Wilderness part 1 and 2, le réalisateur Yoshiyuki Kishi adapte à l’écran l’unique roman écrit par le célèbre artiste multidisciplinaire et cinéaste iconoclaste Shūji Terayama (L’empereur Tomato Ketchup, Pastoral) décédé en 1983. Ce film-fleuve tourné en deux parties et d’une durée combinée d’un peu plus de cinq heures est un drame sportif très ambitieux sur l’émancipation de la jeunesse au Japon à travers la boxe. La première partie fascine par sa construction dramatique, ses allusions politiques et son rythme enlevé. En revanche, la seconde partie n’évite pas les pièges du mélodrame lorsque les liens se créent. Le dénouement prévisible vient un tantinet gâcher une première partie nettement supérieure. Dommage.

Après avoir donné une bouffée d’air frais au film de zombie avec I Am a Hero (voir le compte-rendu de la semaine dernière), Shinsuke Sato s’attaque au mythe du film de superhéros avec Inuyashiki. Ce qui détonne dans ce film est la présence singulière de l’humoriste Noritake Kinashi dans le rôle-titre d’un père âgé qui se transforme en robot mutant après le bref passage d’une entité extraterrestre. son personnage se découvre des miraculeux dons de guérisseur, alors qu’un jeune collégien aux tendances psychopathes a subi le même sort que lui. Il en résulte une superproduction haute en couleur qui étonne par son mélange de violence et de profondeur. La dernière partie n’a rien à envier aux productions hollywoodiennes du genre avec cette volonté d’en mettre plein la vue. La démesure est parfois excessive, mais le film demeure un bon divertissement où le bien l’emporte sur le mal ultime.

Enfin dans Chained for Life, le réalisateur indépendant Aaron Schimberg offre un très curieux second métrage bourré de références cinématographiques. Dans cette sorte de version post-moderne de La nuit américaine revue et corrigée par Werner Herzog et Jim Jarmusch, l’action se déroule lors d’un tournage de film dont les similarités renvoient à un classique de Franju. Mais au-delà du jeu des références, le réalisateur offre une réflexion intéressante sur le mythe de la perception et la présentation de personnes handicapées au cinéma. En y introduisant un groupe de personne souffrant de vrais handicaps, dont le touchant Adam Pearson dans le rôle de Rosenthal qui tombe amoureux de son héroïne (la divine Jess Weixler), Chained for Life propose aussi un portrait doux-amer doté d'un humour pince-sans-rire qui jongle entre l’irréel, l’onirisme et la cruelle réalité.

25 juillet 2018

Fantasia 2018 | ★★★ | Blue My Mind

Fantasia 2018 | ★★★ | Blue My Mind

Réalisé par Lisa Brühlmann
Avec Blue My Mind, la réalisatrice suisse Lisa Brühlmann aborde un sujet dont il est régulièrement question à Fantasia: l’adolescente féminine. Son héroïne, Mia, 15 ans, déménage et doit se faire une nouvelle vie, acquérir une nouvelle popularité, montrer qu’elle est une jeune femme cool (baiser, voler, se droguer) et accepter les changements de son corps. Le programme est déjà bien chargé, mais ce n’est rien à côté de ce qui attend réellement Mia. Avec les premières règles intervient en effet une réelle mutation: les doigts de pieds se soudent, des ecchymoses se forment sur les jambes qui se noircissent de plus en plus, et l’adolescente devient adepte de la consommation de poissons vivants, à même l’aquarium de ses parents.
À un moment de la vie où chacun change inexorablement, que faire lorsqu’on ne change pas de la même manière que les autres? Faut-il essayer de s’intégrer à tout prix ou plutôt quitter le monde qui nous entoure? D’ailleurs, a-t-on réellement le choix?
Comme on l’aura compris, pour aborder ces thématiques, Brühlmann use de métaphores parfois un peu trop insistantes. Elle aborde également, de manière moins frontale, le thème du suicide adolescent. Pour mener à bien une telle entreprise, une cinéaste sensible semblait indispensable. C’est indéniablement le cas ici. Le regard qu’elle porte sur ses héroïnes est très attentif et respectueux. Elle est de plus servie par un duo d’actrice (Luna Wedler et Zoë Pastelle Holthuizen) irréprochable. Cependant, cette condition nécessaire n’est pas suffisante à la réussite complète du film. Certes, la réalisatrice parvient à faire ressentir une certaine fragilité, un certain flottement, une sensation de perdre pieds avec le monde environnant (l’héroïne se transforme en sirène... métaphore quand tu nous tiens!). Mais malheureusement, l’évolution des relations entres les adolescentes est particulièrement bâclée et peu crédible. Surtout, les intentions de la réalisatrice sont si flagrantes qu’elles finissent par prendre le dessus sur les personnages, mais également les émotions, les sentiments… malgré l’indéniable sensibilité qui émane du film.
Cette envie trop grande et pas assez maîtrisée de bien (et trop) faire empêche finalement le film d’atteindre totalement son objectif et nous laisse un peu sur le bord du chemin malgré une multitude de qualités qui semblent rester en surface... comme pour cacher un manque de matière, malgré des intentions énormes. Mettons ça sur le dos de l'inexpérience de Lisa Brühlmann, qui signe ici son premier long-métrage de fiction, en attendant la suite des événements. Elle a du talent, c’est certain. Il ne lui reste plus qu’à l’affiner!
Fantasia 2018 | ★★★½ | Microhabitat (So-gong-nyeo)

Fantasia 2018 | ★★★½ | Microhabitat (So-gong-nyeo)

Réalisé par Jeon Go-Woon
Microhabitat de la réalisatrice sud-coréenne Jeon Go-Woon transforme habilement une histoire apparemment banale en récit édifiant questionnant les différentes facettes de la vie adulte. En positionnant ses personnages quelques années après la folie de la jeunesse (et de ses rêves et ambitions), elle les confronte à leur vie ainsi qu’à leur contribution à la société.
La réalisatrice concentre l'action autour du personnage de Miso (Esom), une trentenaire qui semble être à la croisée des chemins. Sans revenus stables (elle accumule les petits boulots comme femme de ménage), son futur n'est pas très reluisant. Cette instabilité financière l’empêche de payer la récente augmentation de son loyer. Le climat d’incertitude entourant la vie de Miso, le manque d'argent, le refus de s'intégrer à une vision conformiste de la société, n’est finalement pas ce qu’on pourrait croire. Plus on avance dans le récit, plus on se rend compte que Miso est parfaitement consciente de ses décisions. N'ayant plus les moyens de se loger alors que la nouvelle année débute et que les prix augmentent partout, elle décide de chercher l'appui de ses anciens compagnons d'école avec qui elle avait formé un groupe de musique. La réalisatrice réussit ainsi à concevoir un personnage de femme forte qui s'affirme par ses actions (à la fois respectueuses et remplies de compassion). Les rencontres de Miso avec les anciens membres du groupe la confrontent malgré elle au temps qui passe et nous permet de découvrir des personnages à différents carrefours de leur vie.
Les allers et retours dans le quotidien de Miso varient selon ses rencontres. Elle sera accueillie à bras ouverts, rejetée poliment, retenue de force et à chacune de ses interactions, on ne pourra s'empêcher de constater qu'elle laisse sur son passage un soupçon de bonheur. Dans le rôle de Miso, Esom est tout simplement excellente. Elle parvient à créer un personnage cohérent qui, dès la première scène, ravira le public. Ne vivant pas dans la nostalgie du passé (ce qui est le cas de certains membres du groupe), elle est en paix avec elle-même. Comblée par peu de choses (son prétendant, le whisky et les cigarettes), elle fait le choix de vivre pour ces choses uniquement. Le refus de payer un loyer exorbitant pour un taudis en est un exemple parfait. D’ailleurs, tout au long de son périple, elle comprend que l’habitation peut facilement devenir une prison (émotionnelle et financière).
Vivre à un endroit précis en dit long sur sa position dans la société. Certains de ses amis habitent un appartement, un condo ou une maison. Seuls ou avec des membres de leur famille. Dans tous les cas, le réalisateur expose les conséquences parfois dangereuses liées à l’habitation. Le tout sans juger ses personnages.
Les aventures de Miso forment à la fois un baume pour le cœur et l'esprit. De plus, la mise en scène sans artifices et les dialogues réfléchis font de Microhabitat une œuvre tragi-comique à laquelle il est impossible de résister.