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9 février 2024

★★★½ | Le règne animal

★★★½ | Le règne animal

Réalisateur : Thomas Cailley | Dans les salles du Québec le 9 février 2024 (Métropole Films Distribution)
À la fin des Combattants, les personnages du premier film de Thomas Cailley nous avaient prévenu: « On reste à l’affût, sur nos gardes ». Leur avertissement résonne avec justesse dès le début du Règne animal, où l’incertitude règne, sauf en ce qui concerne une évidence : le pire est toujours possible.
Pour ses débuts, le réalisateur avait imaginé une comédie romantique qui, vers la fin, prenait des allures de film post-apocalyptique. Dans Le règne animal, son second opus, il explore un tout autre territoire : celui de la famille (le sujet central), ébranlée par des mutations. Ces êtres humains, qui se transforment progressivement en animaux, deviennent les vecteurs d’une réflexion profonde sur deux formes d’altérité. D’un côté, le malade incurable (symbolisée par la mère) qui s’éloigne inexorablement de la vie et de ses semblables. De l’autre, l’étranger (symbolisé par les autres mutants), incompris, qui peine à trouver sa place.
Sous couvert de fantastique, Thomas Cailley aborde ces thèmes passionnants avec finesse. Il n’oublie pas non plus le cœur du récit : la relation père-fils, un sujet trop souvent négligé au cinéma et ici traité avec brio. Les qualités déjà évidentes dans son premier film — une écriture habile, une mise en scène sobre et précise, une direction d’acteurs délicate et juste — sont encore présentes ici et contribuent à la réussite du long-métrage.
Pourtant, on pourrait presque regretter, de manière paradoxale, un excès de maîtrise. Thomas Cailley étouffe parfois son film sous le poids de sa volonté de bien faire, nous laissant nostalgiques du charme brut des Combattants.
Malgré cette petite réserve, il nous entraîne dans un univers très troublant car parfois si crédible (la battue finale aux allures de ratonade). Surtout, il suscite notre impatience : nous voulons le voir évoluer, et découvrir son troisième film sans attendre dix nouvelles années.

22 janvier 2024

★★★★½ | Les filles d'Olfa

★★★★½ | Les filles d'Olfa

Réalisation : Kaouther Ben Amid | Dans les salles du Québec le 19 janvier 2024 (Métropole Films distribution)
Classer Les filles d’Olfa dans la section documentaire serait de réduire le film à sa plus simple expression. Récompensé de l’Œil d’or du meilleur documentaire au dernier Festival de Cannes, ce sixième long métrage de la Tunisienne Kaouther Ben Hania relate le parcours difficile d’une femme qui a acquis une notoriété internationale en 2016 lorsqu’elle a rendu publique la radicalisation de ses deux filles aînées. Le film est interprété par la mère elle-même (Olfa Hamrouni) et par deux de ses filles, mais également par des actrices professionnelles (dont l’actrice célèbre Hend Sabri) qui incarnent ces trois personnages pour les scènes plus difficiles. Avec cette proposition, la réalisatrice nous offre une expérience inoubliable d’une rare puissance émotionnelle. Ce film inclassable et très original se présente à la fois comme un processus de psychanalyse familiale et une réflexion sur le deuil.
Le film cherche à recréer  la dynamique familiale au moment où les deux filles aînées ont quitté le foyer pour aller combattre aux côtés de Daech en Libye. Cette expérience cathartique et profondément humaine permet un voyage intime et bouleversant rempli de souvenirs aussi heureux que douloureux. La réalisatrice utilise intelligemment tout le potentiel formel et narratif à sa disposition afin de livrer une réflexion sur les relations mère/fille dans une société patriarcale et son engrenage infernal qui musèle toute forme de liberté. Avec son mélange d’improvisation, de répétitions, d’images d’archives, de making-of et grâce à la puissance du cadre, on atteint ici le summum de ce que peut être l’essence même du cinéma et son pouvoir de transcender la réalité. Les protagonistes se révèlent tous à la fois émouvantes et attachantes. Leur complicité et leur sororité rehaussent l’intensité émotionnelle à la hauteur de l’intensité dramatique du récit. En raison de la situation actuelle au Moyen-Orient et des nombreux conflits dans le monde, ce film essentiel et déchirant risque d’être ancré dans vos mémoires pendant longtemps.

12 janvier 2024

★★★ | La petite

★★★ | La petite

Réalisateur: Guillaume Nicloux | Dans les salles du Québec le 12 janvier 2024 (AZ Films)
Guillaume Nicloux, réalisateur à la fois fascinant et imprévisible, est connu pour son aptitude à naviguer entre un cinéma radical et un cinéma plus accessible et commercial. Son film, La petite s’inscrit dans cette dernière catégorie, bien que son point de départ — le deuil d’un fils — soit identique à celui de son meilleur film, Valley Of Love, qui appartient clairement à la première catégorie.
Il est captivant de constater comment ces deux films de Nicloux évoluent vers des propositions diamétralement opposées. Dans La petite, le deuil se transforme progressivement en une obsession de la part du protagoniste, interprété de manière sobre et rarement vue par Fabrice Luchini : retrouver la mère porteuse de l’enfant de son fils. Le film devient alors une réflexion sur la gestation pour autrui, les liens filiaux, la transmission, mais aussi sur la réparation d’un échec car le père, qui s’est éloigné de son propre fils, voit dans cette naissance à venir l’opportunité de repartir à zéro.
Nicloux traite ces sujets de manière relativement légère, voire distante, oscillant entre laconisme et superficialité, comme si le véritable thème de son film se trouvait ailleurs. Il construit d’ailleurs La petite la manière d’une comédie romantique classique : deux êtres que tout oppose finissent par s’apprécier malgré les apparences. Qu’on se rassure cependant. La relation ne débouche pas sur une romance entre le père du défunt et la mère porteuse, mais sur l’idée qu’un rapprochement peut exister en dehors des schémas traditionnels des relations humaines, et en dehors des apparences.
C’est cette impression de voir un film aux allures commerciales, qui ne l’est peut-être pas tout à fait vraiment, qui donne son charme à La petite. Le talent exceptionnel de Nicloux pour obtenir le meilleur de ses interprètes (nommons également Mara Taquin, magnifique) finit de nous convaincre. Bien que le film soit relativement mineur, il est particulièrement agréable et trouve parfaitement sa place dans la filmographie de ce réalisateur décidément unique.

24 novembre 2023

★★★½ | L'amour et les forêts

★★★½ | L'amour et les forêts

Réalisation: Valérie Donzelli | Dans les salles du Québec le 24 novembre 2023 (Axia Films)
L’amour et les forêts aborde un sujet très lourd : celui de la violence conjugale. Filmé comme un thriller, le film nous fait découvrir une enseignante magnifiquement interprétée par Virginie Efira, qui tombe sous l’emprise d’un pervers narcissique.
Blanche Renard, professeur de français, s’éprend de Grégoire Lamoureux, un nom prédestiné pour une histoire qui commence bien, faite de belles promesses d’un avenir heureux. Pourtant, cette femme deviendra une épouse prisonnière de la jalousie de son mari.
La mise en scène de Valérie Donzelli, associée à direction photo de Laurent Tangy confère au film un aspect irréel, comme si cette relation toxique projetait l’héroïne pourtant éduquée et équilibrée en dehors de la réalité. Plus le film avance, moins Blanche maîtrise les événements et plus elle est enfermée dans une relation qui ressemble à un cauchemar.
Elle décide de s’échapper de sa vie d’épouse rangée en faisant une rencontre de passage. Cette scène permet à Donzelli de prolonger intelligemment l’univers irréel dans lequel elle nous plonge. Mais ici, ce qui pourrait ressembler à un cauchemar forestier prend progressivement des allures de rêve éveillé, notamment grâce à la photo qui se fait beaucoup plus lumineuse. Est-ce cette petite parenthèse qui permettra à Blanche d’avoir le courage de confronter son mari ?
La réalisatrice réussie ensuite, de manière intelligente et délicate, à nous faire ressentir la nouvelle réalité de sa protagoniste. Des gros plans sur son visage l’isolent enfin symboliquement de l’emprise de son mari, réduit à l’état de voix hors champ, voué à disparaître.
Au-delà de tout cela, la force principale du film est de nous montrer comment une relation toxique peut isoler un individu qui croit avoir une vie sociale mais dont l’omniprésence du conjoint l’isole et l’étouffe. Rien que pour cela, ce film est à ne pas manquer.

17 novembre 2023

★★★½ | Je verrai toujours vos visages

★★★½ | Je verrai toujours vos visages

Réalisation : Jeanne Herry | Dans les salles du Québec le 17 novembre 2023 (AZ FIlms)
Cinq ans après Pupille, Jeanne Herry continue de s’intéresser à certaines composantes méconnues de l’appareil sociojuridique français. Avec Je verrai toujours vos visages, elle prend comme point de départ la Justice Restaurative. Créée en France en 2014, elle permet aux personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles. Le sujet en soi est passionnant, et la cinéaste en a fait une fiction qui cherche à assumer à la fois son statut fictif et son approche didactique. Elle passe donc par une phase d’introduction qui met en place aussi bien les enjeux que les intervenants, puis propose en parallèle deux exemples : d’une part un groupe de victimes de vols avec violences confrontées à des agresseurs qu’ils ne connaissent pas ; et d’autre part une victime d’agression sexuelle confrontée a son grand frère agresseur.
Malheureusement, les deux histoires parallèles donnent dans un premier temps l’impression d’être utilisées pas soucis de relative exhaustivité (et donc, pour donner deux types d’exemples concrets : permettre aux victimes de rencontrer UN bourreau d’une part et SON bourreau de l’autre). On a alors souvent le sentiment que ces deux arcs narratifs auraient pu engendrer deux films distincts qui auraient semblé moins illustratifs. Cependant, malgré cette supposée faiblesse, l’ensemble reste à conseiller fortement. Au-delà de l’interprétation exemplaire, la qualité des dialogues fait la force du film et nous permet d’atténuer la critique précédente. Délicats, justes, respectueux de chacun, ils entraînent le spectateur dans des rencontres improbables et parfois bouleversantes. Surtout, ils permettent aux personnages de dépasser le statut de cas juridiques (l’agresseur et l’agressé) pour devenir humains avant tout, avec ce que cela implique de bon et de moins bon. À ce sujet, l’intrigue liée au viol vient contrebalancer celle des vols avec violences. Leurs deux conclusions distinctes viennent alors atténuer notre sentiment initial et justifier l’usage des deux arcs narratifs. En effet, même si cette Justice Restaurative est une belle idée, elle ne certifie en rien la réussite des démarches. Elle est une tentative pour faire avancer les choses… sans garantie, justement car elle implique l'humain, avec ses lueurs d’espoirs et ses failles.