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26 avril 2024

★★★★ | Linda veut du poulet !

★★★★ | Linda veut du poulet !

Réalisation: Sébastien Laudenbach et Chiara Malta | Dans les salles du Québec le 26 avril 2024 (Cinéma du Parc)
Sébastien Laudenbach nous avait éblouis en 2016 avec La jeune fille sans main, une animation qui sortait largement des sentiers battus par ses dessins uniques qui semblaient littéralement vivre à l’écran. Pour son délirant nouveau projet Linda veut du poulet !, César du meilleur film d’animation plus tôt cette année, il s’adjoint les services de la réalisatrice italienne Chiara Malta (Simple Women) qui décuple sa folie.
Débutant sur des sujets sombres et balisés (le deuil de père, la difficulté d’une mère de se rapprocher de sa fille), le récit ne tarde pas à trouver sa lumière et sa vitesse de croisière en empruntant des chemins de traverse. L’intrigue extrêmement simple — difficile de trouver un poulet un jour de grève — est propice à des gags hilarants. Comme dans Zazie dans le métro de Louis Malle, l’obsession de la jeune héroïne est source de comédie et elle fera la rencontre de personnages colorés qui rappellent la force du collectif. Et à l’image des chefs-d’œuvre de Buster Keaton, les situations incroyables se succèdent, jusqu’à faire boule de neige. On ajoute à cela une satire de la société façon Jacques Tati et des chansons à la Jacques Demy et on obtient un opus intemporel qui résiste aux modes.
L’anarchie mène le bal et elle s’exprime autant dans cette façon des protagonistes de résister à l’ordre établi (la police en prend pour son rhume) que dans ce désir de s’échapper des diktats de l’industrie. Loin des standards des Disney, Pixar et compagnie, l’animation peut évoluer autrement. Tout ce dont elle a besoin, c’est de l’imagination, de la poésie et de l’émotion. Cela tombe bien, ces ingrédients sont partout dans Linda veut du poulet !, un projet familial qui plaira autant aux jeunes enfants qu’aux adultes en quête d’émerveillement.

19 avril 2024

★★★★ | La bête

★★★★ | La bête

Réalisation : Bertrand Bonello | Dans les salles du Québec le 19 avril 2024 (Maison 4:3)

Nous avons le droit de penser que le cinéma de Bertrand Bonello est prétentieux, froid, ennuyeux et très surcoté. D’ailleurs, il faut bien admettre que c’est souvent le cas. Tout était d’ailleurs réuni pour qu’il en soit de même ici, et pourtant, comme l'indiquent les quatre étoiles ci-dessus, un miracle se produit.
Le cinéaste nous propose un puzzle dans lequel les pièces de trois blocs temporels s’emboîtent avec une précision chirurgicale, unis par deux mêmes personnages. Entre le Paris de 1910, le Los Angeles de 2014 et le monde de 2044 où règne l’IA, Gabrielle (Léa Seydoux) est confrontée au sentiment amoureux, mais également aux émotions et principalement à la peur. Le film semble d'ailleurs être une lutte entre la peur et l’amour, ou peut-être une tentative impossible de séparer ces deux sentiments. Paradoxalement, le film, qui place le refus de la perte des émotions au centre de sa réflexion, est tout sauf émotif. Il est précis, cérébral, ne laissant aucune place au hasard ou à l’imprévu, mais c’est justement ce qui fait sa force, ce qui rend encore plus émouvante cette lutte du personnage pour conserver à tout prix sa capacité à vivre des émotions, même si elles doivent lui être fatales. Ceci dit, ce n’est pas la seule force du film. Le mélange des genres, parfaitement orchestré et d’une fluidité impressionnante en est aussi une. Bertrand Bonello évolue avec une égale maîtrise dans le film d’époque que dans le thriller quasi horrifique ou dans la SF cérébrale. Et que dire de Léa Seydoux? Autre élément essentiel de la réussite de La bête. Présente dans presque tous les plans, elle incarne avec force la difficulté de vivre, comme si elle était perpétuellement hantée par la peur de son propre devenir.
Alors une nouvelle fois, Bertrand Bonello prend le risque d’agacer et de perdre son spectateur en route, à force de le saturer avec sa soif de perfection glaciale. Mais ici, elle ne nous écœure pas, mais bien au contraire nous nourrit de son regard désabusé sur un monde décidément bien trop complexe pour qu’il soit réduit à des fadaises. D'ailleurs, en sortant de la salle, nous n'avons qu'une envie: laisser décanter quelques jours, et y retourner.

9 février 2024

★★★½ | Le règne animal

★★★½ | Le règne animal

Réalisateur : Thomas Cailley | Dans les salles du Québec le 9 février 2024 (Métropole Films Distribution)
À la fin des Combattants, les personnages du premier film de Thomas Cailley nous avaient prévenu: « On reste à l’affût, sur nos gardes ». Leur avertissement résonne avec justesse dès le début du Règne animal, où l’incertitude règne, sauf en ce qui concerne une évidence : le pire est toujours possible.
Pour ses débuts, le réalisateur avait imaginé une comédie romantique qui, vers la fin, prenait des allures de film post-apocalyptique. Dans Le règne animal, son second opus, il explore un tout autre territoire : celui de la famille (le sujet central), ébranlée par des mutations. Ces êtres humains, qui se transforment progressivement en animaux, deviennent les vecteurs d’une réflexion profonde sur deux formes d’altérité. D’un côté, le malade incurable (symbolisée par la mère) qui s’éloigne inexorablement de la vie et de ses semblables. De l’autre, l’étranger (symbolisé par les autres mutants), incompris, qui peine à trouver sa place.
Sous couvert de fantastique, Thomas Cailley aborde ces thèmes passionnants avec finesse. Il n’oublie pas non plus le cœur du récit : la relation père-fils, un sujet trop souvent négligé au cinéma et ici traité avec brio. Les qualités déjà évidentes dans son premier film — une écriture habile, une mise en scène sobre et précise, une direction d’acteurs délicate et juste — sont encore présentes ici et contribuent à la réussite du long-métrage.
Pourtant, on pourrait presque regretter, de manière paradoxale, un excès de maîtrise. Thomas Cailley étouffe parfois son film sous le poids de sa volonté de bien faire, nous laissant nostalgiques du charme brut des Combattants.
Malgré cette petite réserve, il nous entraîne dans un univers très troublant car parfois si crédible (la battue finale aux allures de ratonade). Surtout, il suscite notre impatience : nous voulons le voir évoluer, et découvrir son troisième film sans attendre dix nouvelles années.

22 janvier 2024

★★★★½ | Les filles d'Olfa

★★★★½ | Les filles d'Olfa

Réalisation : Kaouther Ben Amid | Dans les salles du Québec le 19 janvier 2024 (Métropole Films distribution)
Classer Les filles d’Olfa dans la section documentaire serait de réduire le film à sa plus simple expression. Récompensé de l’Œil d’or du meilleur documentaire au dernier Festival de Cannes, ce sixième long métrage de la Tunisienne Kaouther Ben Hania relate le parcours difficile d’une femme qui a acquis une notoriété internationale en 2016 lorsqu’elle a rendu publique la radicalisation de ses deux filles aînées. Le film est interprété par la mère elle-même (Olfa Hamrouni) et par deux de ses filles, mais également par des actrices professionnelles (dont l’actrice célèbre Hend Sabri) qui incarnent ces trois personnages pour les scènes plus difficiles. Avec cette proposition, la réalisatrice nous offre une expérience inoubliable d’une rare puissance émotionnelle. Ce film inclassable et très original se présente à la fois comme un processus de psychanalyse familiale et une réflexion sur le deuil.
Le film cherche à recréer  la dynamique familiale au moment où les deux filles aînées ont quitté le foyer pour aller combattre aux côtés de Daech en Libye. Cette expérience cathartique et profondément humaine permet un voyage intime et bouleversant rempli de souvenirs aussi heureux que douloureux. La réalisatrice utilise intelligemment tout le potentiel formel et narratif à sa disposition afin de livrer une réflexion sur les relations mère/fille dans une société patriarcale et son engrenage infernal qui musèle toute forme de liberté. Avec son mélange d’improvisation, de répétitions, d’images d’archives, de making-of et grâce à la puissance du cadre, on atteint ici le summum de ce que peut être l’essence même du cinéma et son pouvoir de transcender la réalité. Les protagonistes se révèlent tous à la fois émouvantes et attachantes. Leur complicité et leur sororité rehaussent l’intensité émotionnelle à la hauteur de l’intensité dramatique du récit. En raison de la situation actuelle au Moyen-Orient et des nombreux conflits dans le monde, ce film essentiel et déchirant risque d’être ancré dans vos mémoires pendant longtemps.

12 janvier 2024

★★★ | La petite

★★★ | La petite

Réalisateur: Guillaume Nicloux | Dans les salles du Québec le 12 janvier 2024 (AZ Films)
Guillaume Nicloux, réalisateur à la fois fascinant et imprévisible, est connu pour son aptitude à naviguer entre un cinéma radical et un cinéma plus accessible et commercial. Son film, La petite s’inscrit dans cette dernière catégorie, bien que son point de départ — le deuil d’un fils — soit identique à celui de son meilleur film, Valley Of Love, qui appartient clairement à la première catégorie.
Il est captivant de constater comment ces deux films de Nicloux évoluent vers des propositions diamétralement opposées. Dans La petite, le deuil se transforme progressivement en une obsession de la part du protagoniste, interprété de manière sobre et rarement vue par Fabrice Luchini : retrouver la mère porteuse de l’enfant de son fils. Le film devient alors une réflexion sur la gestation pour autrui, les liens filiaux, la transmission, mais aussi sur la réparation d’un échec car le père, qui s’est éloigné de son propre fils, voit dans cette naissance à venir l’opportunité de repartir à zéro.
Nicloux traite ces sujets de manière relativement légère, voire distante, oscillant entre laconisme et superficialité, comme si le véritable thème de son film se trouvait ailleurs. Il construit d’ailleurs La petite la manière d’une comédie romantique classique : deux êtres que tout oppose finissent par s’apprécier malgré les apparences. Qu’on se rassure cependant. La relation ne débouche pas sur une romance entre le père du défunt et la mère porteuse, mais sur l’idée qu’un rapprochement peut exister en dehors des schémas traditionnels des relations humaines, et en dehors des apparences.
C’est cette impression de voir un film aux allures commerciales, qui ne l’est peut-être pas tout à fait vraiment, qui donne son charme à La petite. Le talent exceptionnel de Nicloux pour obtenir le meilleur de ses interprètes (nommons également Mara Taquin, magnifique) finit de nous convaincre. Bien que le film soit relativement mineur, il est particulièrement agréable et trouve parfaitement sa place dans la filmographie de ce réalisateur décidément unique.