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18 octobre 2019

★★★ | Douleur et gloire / Pain & Glory (Dolor y gloria)

★★★ | Douleur et gloire / Pain & Glory (Dolor y gloria)

Réalisation: Pedro Almodóvar | Dans les salles du Québec le 18 octobre 2019 (Métropole)
Almodóvar signe son œuvre la plus réflexive avec Douleur et Gloire. Empruntant directement à Fellini, le cinéaste espagnol propose un récit semi-autobiographique et avoue une certaine faiblesse artistique. Par son alter ego Salvador Mallo, cinéaste vieillissant en manque d’inspiration, il se permet d’exposer ses angoisses tout en faisant le point sur sa propre carrière et les problématiques qui ont occupé son art comme sa vie.
L’intrigue, si l’on peut l’appeler ainsi, est relâchée, laissant lieu à une série d’anecdotes parfois en flash-backs, parfois racontées au présent. L’intérêt de celles-ci est variable, le cinéaste ressassant beaucoup de sujets souvent explorés dans sa carrière. Le film peine, comme son personnage principal, à trouver un nouveau regard sur ses idées et ne semble s’adresser qu’aux cinéphiles déjà investis ou, pire encore, n’exister que pour lui-même.
Almodóvar n’est toutefois pas foncièrement complaisant, annonçant très rapidement ses faiblesses et ses regrets. C’est donc peut-être bien dans la douleur, justement, que son film prend forme. Les réminiscences sont habitées d’immense mélancolie. Le mode de vie solitaire d’un artiste ayant rendu ses relations amoureuses impossibles, la différence de classe ayant effrité le contact avec sa mère, c’est dans ses sujets, bien sûr fréquents chez lui, qu’Almodóvar pose un regard nouveau. Un regard plus calme, moins outrancier qu’à son habitude.
La tranquillité du film permet à Antonio Banderas, dans le rôle d’alter ego, d’imposer sa présence. C’est pour le meilleur, tant l’acteur donne l’une des meilleures performances de sa carrière. L’introspection lui sied, comme à Almodóvar, qui semble amorcer avec Douleur et Gloire un processus d’autoréflexion qui peut donner de belles trouvailles, même si le film n’a pas l’éclat des meilleures œuvres de sa carrière.

8 août 2019

★★½ | Tel Aviv on Fire (Feu à Tel Aviv)

★★½ | Tel Aviv on Fire (Feu à Tel Aviv)

Réalisé par Sameh Zoabi | Dans les salles du Québec le 9 août 2019 (Cinéma Du Parc)
Au visionnement de Tel Aviv on Fire, on ressent l’intention sincère de Sameh Zoabi de réaliser une comédie de situations tranquille et douce sur un sujet aussi difficile, propre à la division, que le conflit israélo-palestinien. D’une part, l’exercice peut sembler autant dangereux que foisonnant en possibilités; d’une autre, le résultat que le réalisateur présente est trop frileux pour faire marque. Si la sincérité du discours est sentie, Tel Aviv on Fire donne l’impression de n'explorer sa prémisse qu’à moitié.
Le film s’intéresse au destin d’un paumé qui, par pur hasard, se trouve à scénariser un téléroman à l’eau de rose. La mise en abyme elle-même permet à Zoabi de jouer d’humour à deux niveaux : dans le téléroman, il peut se permettre de verser dans la caricature alors que son film reste retenu. Cela étant dit, Tel Aviv on Fire fait sourire surtout par le simple fait de rassembler des personnages aux idéologies opposées sans jamais rechercher à faire des gags grotesques.
Ce caractère posé de la comédie serait à encenser si Zoabi offrait plus que celle-ci dans son film. Ce qui déçoit, c’est à quel point les conflits sociaux sont abandonnés en dernier tiers au profit d’une romance sous-développée et, en fin de compte, très peu satisfaisante. Le personnage féminin est à peine esquissé et ne propose aucune des possibilités que permettait l’opposition entre ses autres personnages. Alors que Zoabi, sans tomber dans la lourdeur, avait des idées graves qui lui travaillaient l’esprit, il semble incapable de les résoudre et se contente d’un dénouement facile, nous laissant avec l’impression que Tel Aviv on Fire est, malgré ses intentions, une comédie bien comme les autres.

30 mai 2019

★★★½  | Peterloo

★★★½ | Peterloo

Réalisé par Mike Leigh | Dans les salles du Québec le 31 mai 2019 (Métropole)
En s’intéressant au massacre de Peterloo, où les autorités chargèrent à l’occasion d’un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de manifestants, Mike Leigh donne à la fois un cours d’histoire et une leçon sur la politique contemporaine. Le réalisateur est clair et direct dans son propos, mais la densité historique de Peterloo en fait aussi l’un des films les plus difficiles d’approche du cinéaste.
Leigh ouvre son film sur une victoire de l’État (la bataille de Waterloo) mais se concentre sur son coût humain. En un seul plan, il s’attarde sur un soldat qui, faisant pourtant partie des gagnants, se trouve complètement désemparé sur le champ de bataille. Il rentre chez lui traumatisé dans un milieu extrêmement pauvre et incapable de se trouver du travail. Pourtant artisan de la victoire, le peuple n'en verra jamais les fruits, les années qui suivent étant marquées par des crises économiques poussant la baisse des salaires et la hausse du prix des biens.
C’est dans ces années, celles qui séparent la victoire de Waterloo du massacre de Peterloo, que la grande partie du film prend place. Leigh dresse un tableau complet de toutes les personnes dont les actions culmineront à la manifestation et au massacre. Ainsi le film enchaîne des séries de discours politiques pour un effet assommant. Pendant deux heures, Leigh s’intéresse aux argumentaires verbeux de révolutionnaires et à la politicaille d’hommes qui cherchent à avilir le peuple. Le cinéaste demande beaucoup de concentration au spectateur, mais cela lui permet de ne pas présenter les mouvements populaires comme une idée unique. Leigh fait preuve d’une habilité incroyable à étoffer des personnages qui se perdraient dans la foule dans un film plus retenu.
Ainsi, le réalisateur présente le mouvement populaire dans sa multiplicité, autant par ses orateurs éduqués que par les travailleurs. Il note l’implication des groupes féministes, fait état des conflits internes et même s’il se place à ses côtés, il ne dépeint pas le mouvement comme le geste d’une idéologie parfaitement formée, mais comme un rassemblement d’individus épars. À l’opposé, il méprise ouvertement la classe dominante et ne cache rien de sa grotesquerie, mais il ne se permet tout de même pas de prendre des raccourcis. Ses personnages, même les plus vils, sont étoffés autant par les détails historiques que par le jeu naturaliste encouragé par le réalisateur. Ne serait-ce que pour la profondeur et la variété des personnages historiques, Peterloo est une réussite.
Si Peterloo est souvent assommant par la densité de son discours politique, Leigh termine sur un autre ton. Il filme le massacre avec énergie tout en recréant habilement la confusion du peuple sur le terrain. La scène est éprouvante sans être gratuite. Encore une fois, Leigh ne perd pas le coût humain des échecs du gouvernement et il partage avec aplomb sa colère avec le spectateur. Le dénouement crée une charge émotionnelle dans une œuvre auparavant très austère, mais dont les observations sur l’histoire forment une perspective contemporaine nécessaire.

14 mai 2019

★★★★ | Asako I & II (Netemo sametemo)

★★★★ | Asako I & II (Netemo sametemo)

Réalisé par Ryûsuke Hamaguchi | Dans les salles du Québec le 17 mai 2019 (MK2│Mile End)
Quelle étrange suite au monumental Happy Hour qu’est Asako I & II! Au carrefour des genres, évoquant tour à tour la fable et les comédies romantiques, le nouveau film de Ryûsuke Hamaguchi est une œuvre singulière qui dépasse la caractérisation et surprend à chaque tournant.
Deux années après avoir été abandonnée inopinément par son amant qui lui promettait pourtant de revenir, Asako rencontre un homme physiquement identique. À partir d’une prémisse qui évoque directement Vertigo, le réalisateur place au premier plan l’absurdité et l’irrationalité de nos relations amoureuses sans jamais moquer le sentiment ou en ignorer la beauté.
Ce qui étonne de prime abord est l’apparente passivité, voire la naïveté, affichée par le personnage d’Asako. La protagoniste fait longtemps l’effet d’une coquille vide, tant elle reste silencieuse et semble se laisser aller dans les événements sans vraiment y prendre part. Tranquillement toutefois, Hamaguchi explore les sentiments de son personnage, tout en subtilité, par tous les moyens disponibles, usant par exemple du discours que les personnages secondaires ont envers elle. Il prouve alors que l’impression donnée dans un premier temps était faussée. Il réussit la tâche difficile d’étoffer un personnage réservé, sans raccourcis de mise en scène qui permettraient des représentations littérales d’un univers intérieur à l’écran.
Si Hamaguchi est avare en effet de style, sa mise en scène est loin d’être impersonnelle. Asako I & II alterne sans effort un réalisme retenu laissant toute la place aux acteurs et des envolées fantaisistes. Un passage au centre du film réconcilie admirablement ces deux tons, le spectre d’une vie routinière se confrontant habilement à des coïncidences presque improbables. Le récit réserve des surprises qui forcent le spectateur à réévaluer ce qui lui est présenté jusqu’au tout dernier plan, sans que le réalisateur ne manipule son auditoire dans un jeu de faux-semblants. Il prend simplement le temps d’établir son discours avec soin.
Autant Asako I & II explore clairement le deuil des relations amoureuses et l’impossibilité de complètement laisser le passé derrière soi face à l’avenir, autant le nouveau film d’Hamaguchi reste toujours imprévisible dans ses idées et ses développements. C’est sa grande force, tant chaque nouvelle surprise ajoute à la profondeur de l’œuvre, faisant d’Asako I & II l’un des films les plus surprenants et les plus touchants sur un thème aussi souvent exploré que l’amour.

22 février 2019

★★★½ | Doubles vies

★★★½ | Doubles vies

Réalisé par Olivier Assayas. Dans les salles du Québec le 22 février (Axia)
Avec Doubles Vies, Assayas donne d’abord l’impression de faire un exposé sur les débats qui occupent le milieu de la littérature à l’ère du numérique. Chacun des personnages se présente comme porteur d’une thèse sur le sujet et, dans des dialogues très verbeux, prendra le temps d’exposer ses idées dans toutes leurs nuances. A priori, Doubles Vies a tout d'une œuvre théorique d’un cinéaste qui ressent le besoin de faire un discours. Le réalisateur démontre toutefois plus de finesse, les arguments débattus par ses personnages n’étant qu’un prétexte à une comédie de mœurs ludique et plus humaine qu’elle n’y paraît.
Les dialogues incessants permettent aux personnages de cacher leurs réelles intentions. Le titre est alors peut-être trop littéral, mais c’est dans le double discours que le réalisateur trouve l’humour dans son exercice, permettant à la fois de truffer son film de répliques mémorables et de se moquer joyeusement de discours intellectuels qui tournent souvent à vide. Assayas brise en des moments clés le masque qui protège ses personnages pour laisser transparaître leur intériorité. Le cinéaste se permet alors quelques touches sentimentales sans nécessairement nier les défauts de ces personnages qui peuvent être à la fois touchants et ridicules, souvent dans un même moment.
Les acteurs possèdent le niveau d’ironie et de pathétisme nécessaire pour faire fonctionner un tel exercice, sans pourtant sombrer dans la complaisance. Un plaisir certain émane de leurs performances typées. Sans surprise, c’est Juliette Binoche qui se démarque le plus, dans un rôle aux forts accents réflexifs, mais dans les marges du récit, empêchant qu’elle ne fasse ombre à ses collègues.
Le film étant principalement porté par ses textes, Assayas offre alors une mise en scène sans artifice mais qui n’est pas sans idées. Celles-ci se découvrent dans l’agencement absurde de scènes disparates ou, au détour d’une réplique tantôt mordante, tantôt ridicule, dans de petits gestes d’acteur qui traduisent le double discours des personnages. Plus posée que les œuvres récentes du cinéaste, Doubles Vies n’impressionne peut-être pas autant, mais il ne faudrait pas non plus la qualifier d’œuvre mineure, tant Assayas démontre à nouveau ses qualités de metteur en scène et de scénariste.