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17 février 2023

★★★½ | Un beau matin

★★★½ | Un beau matin

Réalisatrice: Mia Hansen-Løve | Dans les salles du Québec le 17 février 2023 (Métropole Films)
Dans son quotidien, Sandra s’efface pour laisser la place aux autres. Mère monoparentale, elle gagne sa vie en tant que traductrice-interprète et utilise le temps qui lui reste à s’occuper de son père atteint d’une maladie neurodégénérative. Lorsqu’elle entame une relation avec un homme marié — vieille connaissance revue par hasard — elle se permet un seul ilot de désirs personnels. Si Mia Hansen-Løve est une cinéaste de la vie intérieure, Sandra en est alors une figure aussi simple qu’emblématique, elle qui semble a priori n’exister que pour rendre service aux autres. La réalisatrice est à ses aises avec Un Beau Matin.
À la manière du personnage, le récit alterne entre l’intime — lorsque Sandra se permet d’être vraiment elle-même — et les apparences qu’elle garde en public. Hansen-Løve jongle habilement entre les deux registres de son personnage et esquisse d’elle un portrait tranquille. Ainsi, les façons dont les deux existences de Sandra s’influencent apparaissent dans des soubresauts émotionnels subtils mais habilement observés par la cinéaste. La figure étant effacée, une grande partie de la réussite d’Un Beau Matin tient aussi à la performance de Léa Seydoux qui réussit à transmettre l’intériorité d’un personnage qui vit silencieusement les aléas de sa vie.
Alors que le récit avance, les tristesses et les petits bonheurs de la vie de Sandra s’amplifient pour devenir des événements majeurs : la dégénérescence de son père annonce sa mort prochaine, une relation débutée par hasard doit se solder par une séparation, à chaque geste de vie s’associe des défaites. Mia Hansen-Løve garde sa touche légère malgré tout : les drames de Sandra sont aussi normaux que profondément humain. Alors que, dans sa figure de briseuse de couple, le personnage peut inspirer le mépris, la réalisatrice cherche l’empathie, soulignant la valeur de l’affection et du contact humain où que l’on puisse le trouver.

9 décembre 2022

★★★★ | Le Lycéen

★★★★ | Le Lycéen

Réalisation : Christophe Honoré | Dans les salles du Québec le 9 décembre 2022 (Axia)
Le Lycéen place Christophe Honoré dans son approche la plus autobiographique de sa carrière. Le drame au centre du film fait référence à la mort du père du réalisateur et c’est lui-même qui, ici, joue le rôle du parent disparu trop tôt. Si, formellement, le cinéaste agit toujours en élève de la Nouvelle Vague, cette proximité au sujet lui permet d’afficher une nouvelle vulnérabilité. Le deuil y est évoqué de manière foncièrement sentit, dans ses douleurs et ses injustices, mais aussi dans ses fréquentes absurdités, avec une justesse de ton rare.
Le réalisateur réussi à trouver une juste alternance entre une approche frontale, par la voix off presque défiante de son personnage principal, et l’une distanciée, plus observatrice. Il devient en quelque sorte en phase avec son protagoniste adolescent qui, à la suite du drame, doit composer avec son deuil alors même que sa propre identité était en questionnement, voir chancelante. Si l’on reconnaît les pensées d’un jeune Honoré au centre, Paul Kircher, dans le rôle principal, s’acquitte de la tâche improbable de porter un film si personnel sur ses épaules. Sa performance, à l’image du travail de mise en scène, est souvent détachée mais toujours prêtes à s’envoler dans des élans d’émotions. Elle traduit l’immaturité émotionnelle et l’incertitude d’un personnage appelé à grandir trop vite.
Par la profonde tendresse qu’Honoré porte sur ses personnages, le film évite de devenir trop sombre malgré son sujet. Malgré l’état de crise, le récit du cinéaste reste foncièrement bienveillant et, cette fois-ci, avec une vulnérabilité renouvelée pour le cinéaste. Son approche porte fruit, tant Le Lycéen se place comme un de ses meilleurs films à ce jour.

16 septembre 2022

★★★½ | Le rêve et la radio

★★★½ | Le rêve et la radio

Réalisation: Ana Tapia Rousiouk et Renaud Després-Larose | Dans les salles du Québec le 16 septembre 2022 (La distributruce de films)
Le rêve et la radio affiche d’emblée sa différence. Premier long métrage réalisé conjointement par Renaud Després-Larose et Ana Tapia Rousiouk, Le rêve et la radio opère à la fois avec calme (explorant son récit à partir de voix chuchotées et par scènes intimes) et avec des intentions maximalistes : les formes esthétiques changent à une vitesse ahurissante, laissant peu de temps de répit au spectateur.
Sur ses deux heures et quart, le film se perd et se retrouve constamment. La liberté créatrice déployée surprend, enchante, essouffle; les idées qui s’enchaînent sont tour à tour convenues et émouvantes, sans apparent discernement, sans intention de limiter le geste créatif, et s’orchestrent sur un nombre considérable de trouvailles esthétiques. Le récit, très simple, n’est qu’un support aux envies des réalisateurs. La ligne directrice, elle, se trouve dans l’imbroglio de concepts avancés. Avec le temps, certains thèmes s’esquissent, refont surface et affichent plus clairement les préoccupations des cinéastes : la difficulté de créer un art moral, honnête avec lui-même, voire de vivre une vie en phase avec ses valeurs personnelles dans un monde qui réduit les êtres à leur productivité.
Le rêve et la radio ne manque certainement pas d’aplomb. Si son ensemble est parfois vaporeux, voire donne l’impression d’être quelque peu aléatoire, il s’y trouve une œuvre d’une grande beauté qui traduit, à sa manière idiosyncrasique, de sincères préoccupations. Un OVNI, forcément, mais un qui émeut autant qu’il intrigue.

26 mai 2022

★★★ | Gabor

★★★ | Gabor

Réalisation: Joannie Lafrenière | Dans les salles du Québec le 27 avril 2022 (Maison 4:3)
D’emblée, la réalisatrice Joannie Lafrenière annonce sa complicité avec son sujet: elle se place dans des mises en scènes amusées avec Gabor Szilasi, photographe d’origine hongroise installé à Montréal dont la carrière parcourt plus de six décennies. Au premier abord, c’est le rapport que la réalisatrice entretient avec le sujet, voire leur filiation artistique, qui semble porter le film. Lentement toutefois, Lafrenière s’efface pour laisser place au photographe et, si le film reste méritant et fascinant, elle se contente d’une approche plus simple, mais aussi moins féconde, pour faire hommage à l’artiste.
Le documentaire s’amorce en revisitant avec le photographe les lieux où celui-ci a pris ses clichés. L’exercice est au fond anecdotique et sert surtout à laisser le sujet s’exprimer sur ses thèmes et son approche artistique. L’idée s’effrite vite et c’est en fin de compte le charisme et l’œil de Gabor qui soutiennent le film. La valeur à la fois historique et artistique de son travail est indéniable, et le film, à son meilleur, réussit à en transmettre la force.
Plusieurs intervenants énonceront alors ce qui deviendra une des faiblesses du film : Gabor lui-même est plutôt discret, peu enclin à s’ouvrir sur sa vie et son parcours, préférant laisser son travail de photographe parler. Lafrenière le présente avec beaucoup d’affection tout en gardant une distance respectueuse avec lui. Limité ainsi, mais peu intéressé à explorer des histoires parallèles à son sujet, Gabor, le film, fait office de gentil hommage, de présentation de l’œuvre d’un artiste, mais peine à devenir une œuvre en elle-même.

15 octobre 2021

★★★½ | Bergman Island

★★★½ | Bergman Island

Réalisation: Mia Hansen-Løve | Dans les salles du Québec le 15 octobre 2021 (Cinéma Du Parc)

Deux cinéastes américains s’échappent à l’île de Fårö, où Ingmar Bergman résidait, en espérant y trouver l’inspiration nécessaire pour leur scénario respectif. Dans les mains de tout autre cinéaste, Bergman Island aurait probablement été un exercice métatextuel lourd, mais Mia Hansen-Løve approche son sujet avec une touche légère, parfois amusée et parfois sincère, qui lui permet d’éviter de faire son film une œuvre outrancièrement révérente.
Évidemment, l’omniprésence de Bergman dans le film permet à Hansen-Løve d’explorer quelques de ses ruminations sur la figure de l’artiste. Souvent, cette figure est ici confrontée à sa vie personnelle avec laquelle il peut, ou pas, être en adéquation. Dans ses pires moments, Bergman Island devient l’objet redouté : un objet cinéphile hermétique et qui se contente paresseusement de commenter sur sa propre nature. Toutefois, la réalisatrice tombe rarement dans le piège. Les références au maître suédois sont plus souvent anecdotiques et servent à remettre en jeu les conflits qui habitent les personnages, plutôt que de dicter strictement les aboutissants du scénario.
C’est donc, avec raison, la dynamique entre ses deux personnages qu’explore Hansen-Løve ici. Si, étant donné leur statut social, ils paraissent foncièrement privilégiés, la réalisatrice n’exagère jamais leur drame et se prive d’élan mélodramatique. Qui plus est, elle infuse à ses personnages assez de vécu  elle aurait été inspirée par le même parcours sur l’île de Fårö  et de sincérité pour les rendre crédibles, à défaut d’être vraiment sympathiques à l’audience. La mélancolie qui les habite est aussi triste que rêveuse. Loin de se lover dans une misère insoutenable, Bergman Island trouve un confort dans la possibilité d’être habité par ses souvenirs, aussi douloureux soient-ils. L’île de Fårö, autant par ses décors de fin d’été tranquille que par son importance dans l’histoire du cinéma, devient un lieu fécond pour les souvenirs imaginées par Mia Hansen-Løve.