22 août 2018

★★★½ | Skate Kitchen

★★★½ | Skate Kitchen

Réalisé par Crystal Moselle | Dans les salles du Québec le 24 août 2018 (Métropole Films)
Pour la troisième année consécutive (après American Honey en 2016 et The Florida Project en 2017), les États-Unis nous offrent un magnifique portrait cinématographique d’une frange de sa jeunesse (terme large qui va de l’enfance au début de l’âge adulte). Cette année, Crystal Moselle s'intéresse avec Skate Kitchen à de jeunes skateuses new-yorkaises. En quelques plans, la cinéaste nous présente une jeune adulte (Superbe Rachelle Vinberg, une des nombreuses révélations du film) et nous la rend tout de suite familière. La caméra semble l’aimer, avoir envie de la suivre, sans pour autant l’étouffer. Elle nous fait vivre sa jeunesse, sa maladresse et une détermination que ne parvient pas à étouffer sa timidité. Ainsi, le plus naturellement du monde, sans plus d’explications, nous partageons le quotidien de cette jeune femme, comprenons sa relation avec une mère un peu trop protectrice, son envie de partager sa passion pour le skate avec des amies de son âge, mais également, de manière plus générale, son désir de liberté.
Le reste du développement narratif suit cette même logique. Qu’il s’agisse de l’évolution de ses relations avec ses amies (puis ses amis), avec sa mère, ou de sa situation sentimentale et sociale (travail, logement, etc.), Crystal Moselle préfère nous faire ressentir les enjeux et les sentiments avec un minimum de mots. Elle s’appuie surtout sur l’image (et à travers elle, sur l’interaction des êtres et le déplacement des corps), mais également sur les ambiances sonores de la ville (particulièrement bien restituées) ou sur sa bande-son extra-diégétique on ne peut plus efficace.
Au final, Skate kitchen est le portrait d’une jeune femme qui doit trouver le moyen de découvrir l’indépendance, la liberté mais aussi, à travers elles, une vie pas forcément rêvée ou idéalisée. Par le biais d’une passion pour le skate, c’est donc avant tout le portrait d’une adolescente qui cherche à devenir femme, en tâtonnant un peu… mais en refusant également de se laisser aveugler par des illusions.
Skate Kitchen confirme aussi, après le très remarqué The Wolfpack, le talent de Crystal Moselle, dont la justesse du regard, la sobriété de l’écriture et la capacité à exprimer des sentiments forts par l’image en font d’emblée une cinéaste à suivre de plus en plus près!

16 août 2018

★★½ | Wall (Le mur)

★★½ | Wall (Le mur)

Réalisé par Cam Christiansen | Dans les salles du Québec le 17 août 2018 (ONF)
Documentaire d’animation réalisé par Cam Christiansen, Wall suit le parcours (physique et réflexif) de l’écrivain et dramaturge David Hare (The Hours, The Reader) qui le mènera au Moyen-orient. Sur un chemin de croix, le réalisateur accompagne son sujet alors qu’il se questionne sur la construction du mur qui sépare Israël des territoires palestiniens. Au fil de rencontres et de ses propres réflexions, Hare tentera lui-même de déterminer la légitimité du mur. Qualifié de mur de la honte par certains ou de barrière de sécurité par d’autres, les conséquences reliées à sa construction se font toujours sentir. Si le film frappe par la pertinence de son sujet ainsi que par la narration mélancolique de Hare, l’animation (pourtant réussie) ne sert pas vraiment son propos.
L’utilisation d’un noir et blanc très contrasté ajoute à la tension dramatique qui est palpable. Cependant, on ne peut s’empêcher de remarquer une distance entre la voix des sujets et leur représentation à l’écran, surtout dans la représentation des corps et des visages. L’animation leur donne des traits réalistes mais il y a toutefois un manque de finesse pour les détails (expressions et mouvement). Ce choix artistique est peut-être intentionnel de la part du réalisateur. Ainsi, lorsque le personnage animé d’Hare (ou un des sujets interrogés) s’exprime à l’écran, les nuances et richesses des expressions humaines ne sont pas magnifiées par les dessins. Sans dénigrer les techniques d’animation privilégiées par Christiansen, une certaine austérité (quasi-robotique) se dégage de l’ensemble. De plus, cette froideur de l’image entre en contraste avec la voix envoûtante du narrateur (David Hare). La représentation des corps et des visages aurait gagné à être plus impressionniste comme lorsqu’il est question des villes et les paysages affectés par le mur.
On pourra également questionner la notion de l’homme occidental fasciné par le Moyen-Orient qui se rend en zone de conflit afin de commenter la situation. D’ailleurs, le phénomène est abordé très tôt par le narrateur sans être réellement approfondi. Toutefois, les témoignages d’amis et de connaissance de l’écrivain apportent une profondeur nécessaire aux propos véhiculés par Hare. Les avis divergents et nuancés sur la construction du mur (autant du côté israélien que du côté palestinien) nous permettent de constater la complexité de la situation. Malgré les opinions fortes du narrateur et des intervenants, le film n'impose aucune réponse. Il s’agit probablement de l’une de ses plus belles qualités.

9 août 2018

★★★½ | BlacKkKlansman (Opération infiltration)

★★★½ | BlacKkKlansman (Opération infiltration)

Réalisé par Spike Lee | Dans les salles du Québec le 10 août 2018 (Universal)
Avec BlacKkKlansman (Grand Prix du jury lors du dernier festival de Cannes), Spike Lee nous propose de retourner dans les États-Unis des années 1970 pour mieux constater que les problèmes d’inégalités raciales sont toujours bien présents près d’un demi-siècle plus tard. Pour étayer son constat, il opte pour une approche flirtant avec la comédie et prend bien soin d’éviter d’être trop polémique, et donc de provoquer des tensions au lieu de les apaiser. Le mode léger pour lequel il a opté facilite sa démarche. Non seulement en effet il nous montre une intégration presque idyllique d’un policier noir dans un service de police jusqu’ici 100% blanc (le seul policier raciste sera vite confondu), mais il prend aussi soin de ne pas faire des membres du KKK ce qu’ils sont réellement. Ils sont en effet dans son film plus benêts que vraiment méchants… et d’ailleurs presque sympathiques. Lee poursuit cette même logique pour l’ensemble de son travail d’écriture. Si le film est techniquement irréprochable, l’écriture semble beaucoup plus insouciante que rigoureuse, et de nombreuses incohérences marquent la progression du récit. Mais elles sont si omniprésentes qu’elles sont forcément assumées… et elles représentent paradoxalement une force. Elles désamorcent en effet constamment toute la violence sociale du film et empêchent ce dernier de basculer vers un radicalisme trop virulent. En passant son message sur un mode léger, Lee a probablement plus de chances de toucher une cible plus ou moins conquise d’avance.
On pourrait alors reprocher au cinéaste de ne pas prendre son sujet à bras le corps, mais la fin nous interdit de formuler un tel constat. Lee y ose en effet une pratique souvent maladroite (intégrer des images d’archives avant le générique), mais pour une fois, la pratique fonctionne: ces images d’actualités récentes, et avec elles son constat que la situation raciale aux États-Unis est toujours aussi problématique, viennent contrebalancer le ton léger du film pour nous envoyer une réalité en pleine face et nous dire que si tout est possible dans une fiction (notamment s’amuser de problèmes qui finiront par se résoudre à la fin), la réalité est tout autre.
Ce constat amer donne à rebours encore plus de force au reste du film, qui avait préparé le terrain sur un mode léger en prenant soin de ne surtout pas trop exacerber certaines tensions… pour aider les dernières minutes à faire mouche avec encore plus de force.