4 août 2023

★★★ | Shortcomings

★★★ | Shortcomings

Réalisation : Randall Park | Dans les salles du Québec le 4 août 2023 (Métropole Films Distribution)
Shortcomings est un petit film indépendant américain qui ressemble à beaucoup d'autres et qui dépeint les pérégrinations sentimentalo-identitaire de jeunes actifs. Nous devons cependant admettre qu'il est qualitativement bien plus intéressant que la moyenne du genre, le cœur du problème (l'appartenance à la communauté asiatique) étant plutôt bien traité, avec un mélange de pertinence et d'humour. Le héros, asiatique, est en effet pris entre les représentants de sa communauté (pour qui tout ce qui asiatique est forcément un peu mieux), sa cinéphilie (et donc l'ouverture sur le monde qu'elle représente)... et son fantasme de la femme blanche, qui vient transformer son ouverture sur le monde (qui pourrait laisser supposer une indifférence face à la couleur de l'autre) en un fantasme qui tourne à l'obsession. Cela permet au film de traiter des enjeux de société avec sérieux, sans pour autant dédaigner la comédie, qui va jusqu'à flirter avec l'absurde lorsque le protagoniste s'aperçoit que sa fiancée fréquente un blanc (mais d'ailleurs, l’est-il vraiment ?).
Le traitement du sujet, aussi pertinent qu'agréable, est renforcé par l'observation incisive de notre société dans laquelle chaque personne semble avoir du mal à accepter sa propre existence. (Problématique traitée toujours avec un humour bienvenu, comme c'est le cas pour cette sympathique actrice/chanteuse/performeuse/etc. qui n’embrasse pas car elle a peur des germes mais qui expose les photos de ses pipis du matin et qui vit avec un coloc se promenant perpétuellement nu).
Tous ces éléments sont intelligemment mis en forme pour dresser un portrait d'une société ou chacun semble confronté à des problèmes en tous genres. Mais nous pouvons regretter que la mise en scène ne soit pas à la hauteur de l'écriture. Même si le héros visionne chez lui des films d'Ozu et de Truffaut, le cinéaste ne leur arrive pas à la cheville. Les deux modèles étaient adeptes d'une mise en scène sobre, qui parvenait toutefois à donner du souffle à ses personnages et à générer des émotions. Randall Park, pour sa part, doit se contenter d'une esthétique de série télé bas de gamme (j'exagère à peine), et donc ne parvient pas à faire de son film une œuvre mémorable, malgré son caractère bien sympathique. Nous oublierons donc bien vite ce Shortcomings. Mais au moins, nous aurons eu le plaisir de passer 1 h 30 à le regarder, ce qui n'est déjà pas si mal.

28 juillet 2023

★★ | Le parfum vert

★★ | Le parfum vert

Réalisation: Nicolas Pariser | Dans les salles du Québec le 28 juillet 2023 (K-Films Amérique)
Quelques années après son très réussi Alice et le maire, Nicolas Pariser nous revient avec un film d’espionnage pour rire, truffé de références hitchocko-tintinesques, qui nous déçoit cependant rapidement. Les intentions avaient pourtant tout pour nous plaire et le mélange référentiel avait tout pour nous séduire, mais la mise en scène et le scénario de Pariser ne sont pas à la hauteur. Jamais en effet il n’arrive à insuffler à l’ensemble assez de fantaisie et de légèreté pour nous donner envie de partir à ses côtés dans un univers improbable, et donc… rien de ce qui nous est proposé n’est jamais plausible, ce qui nous éloigne du film, des enjeux, des personnages, de la proposition. Pire, Pariser se permet des incartades totalement hors-sujet (le dialogue autour d’Israël) et une histoire d’amour sans charme (n’est pas Hitchckock qui veut… ce que semblait savoir Hergé ; Pariser aurait dû suivre l’exemple belge). Même le dénouement, dont la petite fantaisie naive avait tout pour plaire, tombe à plat en raison de l’incapacité du cinéaste à voir su nous plonger dans l'état d’esprit d'un jeune de 7 à 77 ans heureux d’avoir vu un couple de sympathiques paumés sauver le monde grâce à un mélange de persévérance et de hasard éolien.
Heureusement, il reste le souvenir de deux acteurs que l’on aime beaucoup (Kiberlain / Lacoste), dont le talent n’a rien à voir avec l’improbabilité du couple fictif qu’ils forment.
Mais lorsqu'un cinéaste veut faire retourner le spectateur en enfance, il faut du talent. Sinon, ledit spectateur risque de se transformer en gamin capricieux, le jour de Noël, à la fois triste et boudeur après avoir découvert que le paquet tant convoité enfermait un cadeau qui ne lui convenait pas.

21 juillet 2023

★★★¼ | Oppenheimer

★★★¼ | Oppenheimer

Réalisation: Christopher Nolan | Dans les salles du Québec le 21 juillet 2023 (Universal)
Quelques années après Tenet, qui nous plongeait dans un grand n’importe quoi avec un immense talent, Christopher Nolan nous entraîne maintenant dans un épisode de notre histoire, mais également dans son film le plus bavard, aux côtés de l’inventeur de la bombe atomique. Cela lui permet d’aborder de manière frontale bon nombre de sujets passionnants. Parmi eux, celui qui occupe la première partie du film est principalement l’obsession scientifique qui pousse à résoudre un problème qui devient plus importante que les conséquences de la résolution dudit problème. S’ensuit alors, après deux heures, un des moments les plus marquants de l’œuvre de Nolan. On y voit Oppenheimer confronté aux conséquences de sa réussite scientifique, seul face à une foule en délire, mais incapable d’en partager la ferveur, enfin conscient du caractère destructeur de son exploit. La suite, composée d’un mélange de culpabilité, de convoitises et de scènes de procès vient compléter le tout. Le talent du cinéaste permet à l’ensemble d’être passionnant et parfois impressionnant. Il est toutefois regrettable que Nolan se laisse prendre à son propre jeu en abusant de certains de ces effets préférés, qui ne semblent pas toujours ici à leur place. Parmi les plus préjudiciables, notons les effets sonores pas toujours maîtrisés (dans le genre, Nolan était clairement plus à l’aise avec Dunkirk) et la structure du récit qui aurait probablement gagné à être plus sobre, et donc un peu plus linéaire (nous ne sommes pas dans Tenet, et la partie de ping-pong temporelle n’est pas toujours pertinente).
Donc, beaucoup de talent (on le savait), parfois un peu trop envie d’en faire l’étalage (on le savait aussi), mais le sujet passionnant finit par prendre le dessus sur la tendance de Nolan à se prendre les pieds dans un excès d’ambition. Par contre, pour ce qui est du constat et de ce que l’avenir peut nous réserver, il faut avouer que le délire Kubricko-Folamourien avait au final plus de force. Comme quoi la farce est parfois plus glaçante que la prétention.

14 juillet 2023

Entrevue avec Thomas Salvador (La montagne)

Entrevue avec Thomas Salvador (La montagne)

 La montagne, dans les salles du Québec le 14 juillet 2023 (Axia Films)

Thomas Salvador, réalisateur et acteur de La Montagne

L’acteur et cinéaste Thomas Salvador avait séduit les cinéphiles en 2014 avec Vincent n’a pas d’écailles, un film de super-héros qui sortait largement des sentiers battus. Le voici de retour avec La montagne, un nouvel ovni où il incarne un homme qui plaque tout pour s’installer à flanc de montagne. Rencontre avec son réalisateur.

Qu’est-ce qui vous a amené vers La montagne ?
Adolescent, je voulais être cinéaste et guide de hautes montagnes. J’ai depuis très longtemps une idée d’un personnage qui va en montagne et qui ne veut plus en redescendre.

On sent dans la première partie du film une sorte de clivage entre la nature et la civilisation, avec ce héros qui se transforme au contact de la montagne.
Pierre redécouvre son rapport au temps. Il redevient curieux et il regarde les choses autrement, tout en douceur. Je tenais à ce que ça soit une forme de révolution pour lui. C’est parce qu’il fait tout ce chemin qu’il peut aller plus loin et à un moment, quand il est prêt, il y a la dimension fantastique qui arrive.

Un fantastique qui prend une dimension minimaliste.
Oui. J’ai envie que l’aspect un peu surnaturel arrive de manière la plus naturelle et organique possible.

À l’instar de votre précédent long métrage Vincent n’a pas d’écailles, vous abordez le genre pour mieux le détourner…
J’essaye de faire des choses que je ressens profondément. C’est pour ça aussi que je mets du temps à faire des films et que je joue dans mes films. J’ai besoin de trouver une justesse, d’éprouver physiquement le pourquoi. Parce que je fais des films comme des aventures, comme des rencontres.

La conclusion laisse plusieurs questions en suspens.
Ce qui m’intéresse, c’est que les spectateurs ressentent des choses et des sensations. Mon rêve, c’est que les gens soient traversés et nourris par le film, mais sans qu’ils ne sachent trop pourquoi… Je ne sais pas tout du film que je fais. Il y a plein de choses sur sa signification profonde qui m’échappent et que je découvre après. Je fais en sorte d’en savoir le moins possible d’un point de vue philosophique, sociologique. C’est ce qui fait qu’il y a une forme de naïveté ou de fraîcheur et que le spectateur vit avec le personnage.

Un humour particulier baigne vos créations et il peut rappeler le cinéma d’Aki Kaurismäki ou d’Elia Suleiman.
Je ne m’interdis pas des gags ou des choses drôles. Mais à condition que ce soit logique ou cohérent avec ce que le personnage traverse. La dimension fantastique et la simplicité des dialogues finissent aussi par créer un décalage… Dans la vie, les choses se mélangent tout le temps. Il n’y a pas une journée où l’on ne fait que rire, où l’on n’a que peur ou l’on n’est que triste. Sinon, ça ne va pas. Mais au cinéma, on a un peu tendance à vouloir que le film soit d’un seul registre. Les cinéastes que j’adore, c’est ceux où l’on retrouve tout, comme chez Bong Joon-ho.

Entrevue réalisée par Martin Gignac à Paris le 17 janvier 2023 dans le cadre des Rendez-vous d’Unifrance.

17 juin 2023

★★★½ | Les enfants des autres

★★★½ | Les enfants des autres

Réalisation: Rebecca Zlotowski | Dans les salles du Québec le 16 juin 2023 (Sphère Films)
Rebecca Zlotowski est une cinéaste que l’on aime, notamment pour sa propension à prendre certains risques. On pourrait donc presque être déçu par son dernier film, celui qui a rencontré le plus grand succès dans les salles françaises… et pour cause : bien écrit et bon techniquement, il est dans un premier temps très convenu et pourrait presque nous décevoir en raison de ce seau « qualité France » qui semble lui coller à la peau.
Heureusement, même si Les enfants des autres a des apparences de films français vu et revu, il sait aborder un sujet rarement traité : le statut des conjoints, qui vivent avec les enfants des autres, les aiment, s’y attachent, jouent un rôle dans leur quotidien… et disparaissent de la circulation malgré eux lorsque l’histoire d’amour avec l’autre prend fin. Certes, on pourrait reprocher à Rebecca Zlotowski d’avoir concentré la narration sur une trop courte période (les enjeux auraient été plus forts si l’histoire d’amour, et donc la relation avec l’enfant de l’autre, avait plus duré). Mais la délicatesse de son traitement et de l’interprétation de Virginie Efira atténuent fortement ce reproche. De plus,  progressivement, le film élargit sa réflexion à un sujet plus vaste, le rôle que l’on peut jouer dans la vie des autres en général et pas uniquement en tant que beau-parent de quelques mois. C’est en ce sens que le film de Zlotowski sort du film convenu auquel on croit assister pendant une heure. La fonction de son héroïne n’est en effet pas limitée au statut de belle-mère fugace qui ne peut pas avoir d’enfants. Elle est aussi la grande sœur qui accompagne sa cadette depuis la mort lointaine de leur mère ou la prof attentive qui cherche à aider un élève dont les parents sont trop absents.
Au-delà de son sujet apparent, Zlotowski nous livre un film sur le rôle que peuvent prendre tous ses gens qui, parfois sans le savoir, ont contribué à être qui nous sommes. Comme quoi, même sans en avoir l’air, la cinéaste réussit tout de même à nous surprendre !

8 juin 2023

Entrevue avec Roschdy Zem (Les miens)

Entrevue avec Roschdy Zem (Les miens)

Les miens, dans les salles du Québec le 9 juin 2023 (Axia Films)
Roschdy Zem, réalisateur du film Les miens
Roschdy Zem n’est pas seulement un excellent acteur. Il est également un réalisateur talentueux, qui signe avec Les miens un sixième long métrage à saveur autobiographique sur deux frères (interprétés par Sami Bouajila et Zem lui-même) qui finissent par se rapprocher après un coup de sort du destin. Rencontre avec son créateur.

Comment est né Les miens ?
Il y a eu une longue réflexion imposée par le confinement. Je me suis demandé quelle suite j’allais donner à ma carrière. Comme cinéaste, je voulais raconter des choses plus intimes, plus personnelles. En y réfléchissant, je me suis dit que ma famille était digne d’être racontée. Mais c’est l’accident de mon frère qui a déclenché tout le processus d’écriture, qui est devenu le prétexte pour raconter l’histoire de ce film.

C’est un long métrage sur les classes sociales au sein d’une même famille.
Il y a la volonté de sortir de cette vision systématique des familles qui se ressemblent. C’était important pour moi de montrer qu’au sein d’une même famille, il y a des parcours différents. Un frère peut avoir une vie publique, l’autre être directeur financier et le troisième chômeur. Des destins sont plus heureux et d’autres plus dramatiques. C’est une sorte de métaphore de la vie aussi. On a beau avoir les mêmes chances au départ, les rencontres qu’on va faire par la suite vont déterminer notre existence. C’est ce facteur qui va faire que notre vie sera une réussite ou parfois un échec. J’aime raconter à travers une famille ces choses-là qu’on ne maîtrise pas forcément.

Comment s’est déroulée la coscénarisation avec Maïwenn ?
Ce fut très simple. J’avais envie de lui raconter cette histoire et qu’elle fasse le tri sur ce qui lui paraissait intéressant ou ce qui devait être écarté. Elle a agi comme un filtre. J’aime sa sensibilité, son rapport à la famille, l’apport organique qu’elle a donné aux scènes. Maïwenn était là essentiellement pour donner ce supplément d’âme qui pouvait manquer au film.

La scène finale dansée est un véritable moment de grâce qui cristallise parfaitement les émotions du film.
Il faut savoir que cette scène n’était pas du tout écrite ou préparée. Elle arrive le dernier jour de tournage. Il faut que je termine mon film et je ne sais pas comment. Le matin du tournage de la scène de déjeuner, j’ai dit : « On va danser ; on va exprimer par le corps et par les yeux tout ce qui est dit, tout ce qu’on n’a pas encore dit ou tout ce qu’on a envie de se dire. » La scène est née spontanément et elle est assez magique. Je l’adore ! Je n’aurais pas pu la penser sur un bureau en écrivant. Elle est née comme ça, forte de ces semaines et de ces émotions qu’on a traversé ensemble. La magie du cinéma donne de la place à l’imprévu.

Que vouliez-vous essayer avec votre mise en scène ?
J’essaye à chaque fois d’adapter ma mise en scène au sujet. Sur Les miens, il y a beaucoup de scènes où les acteurs ont une vraie liberté de mouvements. C’est la première fois que je tournais avec deux caméras. Le sujet s’y prêtait afin que je filme les gens, l’émotion et la part d’humanité des personnages… Après, je ne suis pas non plus un très grand technicien. Je ne suis pas celui qui va tout faire pour donner un côté spectaculaire à mes films. Ce n’est pas mon domaine. Je suis plus porté sur le jeu d’acteur que sur la technique.

Vous avez joué dans plus de 90 films et séries. Pourtant, vous êtes comme un bon vin et vos rôles récents  notamment dans Les enfant des autres, L’innocent, Roubaix, une lumière qui vous a permis de mettre la main sur le César du meilleur acteur  sont parmi les plus intéressants de votre filmographie.
Ce qui est sûr, c’est que j’ai envie de me diriger vers des rôles qui font appel à ma sensibilité. Je n’ai pas envie de devenir un vieil acteur un peu ringard qui met en avant sa force, sa virilité. J’ai plutôt envie de mettre en avant ma sensibilité et ma féminité, qui font partie de moi et qui me ressemblent davantage.

Entrevue réalisée par Martin Gignac à Paris le 17 janvier 2023 dans le cadre des Rendez-vous d’Unifrance.