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11 avril 2019

★★ | Ville Neuve

★★ | Ville Neuve

Réalisé par Félix Dufour-Laperrière | Dans les salles du Québec le 12 avril 2019 (Funfilm Distribution)
Critique rédigée dans le cadre du festival de Venise 2018

Félix Dufour-Laperrière a déjà signé par le passé un long métrage documentaire (Transatlantique), mais c’est surtout avec le court métrage qu’il a montré le meilleur de son talent. Que ce soit par le biais des prises de vue réelles (le visuellement splendide Dynamique de la pénombre) ou de l’animation (sous différentes formes, mais citons par exemple Un, deux, trois, crépuscule), il a su montrer par le passé ses deux principales forces: un passionnant travail sur les formes (et la noirceur, très souvent) d’une part, et le soin apporté à ses bandes sonores d'autre part. Ces deux aspects étaient d’ailleurs probablement les plus réussis de Transatlantique, qui montrait de plus grandes faiblesses lorsque venait le temps de comprendre (et de faire parler) les individus. Ville Neuve confirme malheureusement cette impression. Le son y est soigné, certaines scènes sont visuellement très belles (surtout lorsqu’elles prennent des distances avec la représentation du réel), mais Dufour-Laperrière peine à développer ses thématiques ou à créer des personnages et des dialogues convaincants (à l’exception d’une belle scène dans laquelle un jeune homme décrit à sa compagne une scène d’Andreï Roublev).
Cette faiblesse compte malheureusement double pour ce film, en raison de la volonté du cinéaste de traiter aussi bien de l'individu (un couple a du mal à vivre ensemble) que du collectif, sur fond de souveraineté et de référendum (deux peuples ont du mal à vivre ensemble... ou: un peuple a du mal à rester uni, au choix). Certes, le cinéaste prend le parti de ne pas trop en dire sur chacun de ces deux thèmes finalement très proches, et donne judicieusement la place aux non-dits, mais il laisse aussi l’impression d’avoir le cul entre trois chaises (le collectif, l’intime et le travail formel), dont deux sont bancales (les deux premières), car mal maîtrisées au niveau de l'écriture.
Finalement, Ville Neuve est loin d’être sans intérêt, mais nous confirme le pressentiment ressenti au moment de la sortie de Transatlantique. Et si, en effet, Félix Dufour-Laperrière, était plutôt fait pour travailler sur les formes et les sons, sans trop se soucier de développement narratif, de dialogues ou des personnages? 

5 août 2018

Locarno 2018 | ★★★½ | L’époque

Locarno 2018 | ★★★½ | L’époque

Réalisé par Matthieu Bareyre
Paris. 2015, 2016, 2017. Voilà le point de départ de L’époque. À partir de cela, Matthieu Bareyre dresse le portrait d’une certaine jeunesse française, entre les attentats de Charlie hebdo et la présidentielle de 2017.
Pour y parvenir, il arpente le Paris des bars, des rues ou des manifs, rencontre des jeunes issus des beaux quartiers ou des cités, des dealers ou des étudiants, des DJ ou des activistes (eux-même non-violents ou membre des Black Blocks)... Mais tous ces jeunes sont-ils vraiment représentatifs d’une époque comme le laisse supposer le titre? Peut-être pas. Sont-ils même représentatifs d’une génération? Probablement pas non plus, car la jeunesse française n’est pas uniquement parisienne et noctambule comme celle rencontrée dans le film. Mais finalement, ce titre trompeur importe peu, car Matthieu Bareyre parvient avec une force rare à nous faire partager l’air du temps à travers ses rencontres, toutes passionnantes et complémentaires. Quels que soient les profils des personnes interrogées, il sait leur parler, les écouter, les relancer quand il faut, et surtout les mettre à l’aise.
Mais ses qualités ne sont pas seulement humaines. Elles sont également cinématographiques. S’il sait familiariser ses interlocuteurs avec sa caméra, il sait aussi utiliser celle-ci pour capter des moments de vie, des lieux, des impressions. Son travail de montage est également particulièrement réussi. Qu’il s’agisse du montage image (signé Matthieu Bareyre, Isabelle Proust et Matthieu Vassiliev) ou son (Stéphane Rives), il évite au film d’être une succession de rencontres filmées face caméra, mais donne au film une respiration, une cohérence. Il contribue à la restitution de l’air du temps, à cette ambiance du Paris nocturne, c’est-à-dire un univers où le réel se fait tour plus léger et plus grave, où les craintes, les angoisses, les espoirs et le désir d’exister ou de combattre se font plus grands.
Cependant, ce documentaire à la fois beau et touchant comporte une faiblesse qui provient paradoxalement d’une de ses plus belles rencontres: Rose. Elle aurait pu à elle seule être le sujet d’un film, et il est probable que Matthieu Bareyre partage ce sentiment. D’ailleurs, il lui accorde une place particulièrement grande, qui représente justement cette faiblesse: le déséquilibre finit par fragiliser l'amalgame qui soudait entre eux des éléments pourtant très différents.
Ce défaut n’empêche cependant pas le film d’être un très grand documentaire, qui marquera probablement son époque. Malheureusement, nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il aurait pu être encore plus que ça. Mais il ne s’agit que d’un premier long-métrage. Laissons à Matthieu Bareyre un peu de temps avant de lui demander de signer un chef-d’oeuvre!

(Film visionné dans le cadre de notre collaboration avec Festival Scope | Film disponible gratuitement sur cette plateforme en août 2018, sous réserve des places disponibles).

4 août 2018

Locarno 2018 | ★★★★ | Sophia Antipolis

Locarno 2018 | ★★★★ | Sophia Antipolis

Réalisé par Virgil Vernier
Une jeune femme consulte un chirurgien pour une augmentation mammaire, une association ésotérique prépare la reconstruction du monde de demain, une milice parcourt Nice et sa région pour faire le travail d’une police défaillante…
Un bref résumé suffit à faire comprendre que le dernier long-métrage de fiction de Virgil Vernier n’est pas à classer avec le tout-venant. Cependant, s'il passe d’un personnage à l’autre, apparemment sans préoccupation narrative, il ne les traite jamais à la légère. En quelques plans (d’une précision graphique remarquable mais jamais étouffante), en quelques phrases, en quelques situations, il leur donne vie et parvient à nous faire comprendre leur envie de s’entourer des autres pour ne pas être seuls face à un monde de plus en plus complexe, un monde qui leur inspire des craintes sans jamais leur apporter de réponses. Car non seulement le cinéaste aime ses personnages, mais il sait les laisser vivre, il sait les observer, il sait en faire surgir les failles sans en avoir l’air. C’est par ce biais qu’il donne à son film une cohérence. Tous ces personnages cherchent à améliorer un monde à leur façon: Améliorer son petit monde adolescent (la chirurgie), celui de demain (le groupe spirituel) ou celui d’aujourd’hui (la milice). Mais au-delà de ce portrait impressionniste d’un monde qui se cherche, déjà brillamment exécuté, Vernier va plus loin dans les dernières minutes. Pour conclure, il s’arrête en effet sur une jeune femme, probablement le personnage le moins déconnecté de la réalité de tout le film. Il la filme avec la même justesse, le même respect, la même sensibilité que tous les autres… mais elle possède la lucidité que les autres n’ont pas. Elle ne maîtrise pas la marche du monde, ne cherche pas forcément à la bouleverser, mais apporte quelques réponses (et avec elles, des liens entre tous les éléments du film).
Elle est en quelque sorte comme le film de Vernier. Tous les deux, ils ont côtoyé des êtres submergés d’illusions en raison d’une quête improbable de réponses inexistantes. D'ailleurs, comme le cinéma de Vernier (avec une manière toute particulière, pour le cinéaste), elle reste dans le réel. Peut-être a-t-elle déjà compris, comme Vernier, que c’est en lui faisant face qu’on peut essayer de le comprendre un peu mieux.

(Film visionné dans le cadre de notre collaboration avec Festival Scope | Film disponible gratuitement sur cette plateforme en août 2018, sous réserve des places disponibles).