Affichage des articles dont le libellé est USA. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est USA. Afficher tous les articles

19 janvier 2024

★★★ | The Zone of Interest  (La Zone d'intérêt)

★★★ | The Zone of Interest (La Zone d'intérêt)

Réalisation: Jonathan Glazer | Dans les salles du Québec le 18 janvier 2024 (Entract Films)
Le très attendu Zone of Interest, le dernier film de Jonathan Glazer, a fait l’objet de nombreuses discussions depuis sa première à Cannes et nous arrive avec une forte réputation de Palme d'or bis (de surcroît justifiée par l'obtention du Grand Prix). Le film suit la famille Höss, dont le père commande le camp d’Auschwitz et dont la mère est une maîtresse de maison modèle (maison située à proximité du camp). Glazer adopte une approche unique en se concentrant sur ce qui se passe en dehors du camp, évitant ainsi de montrer directement les horreurs commises à l’intérieur. C’est en adoptant ce point de vue qu’il choisit de traiter deux sujets : la négation et la banalité du mal.
Lorsque Glazer s’intéresse à l’épouse, dont la seule préoccupation est de s’occuper de son logis, le regard du cinéaste est en phase avec ce qu’il veut démontrer : le fait de ne pas voir permet de nier. Cependant, il est difficile d’ignorer ce qui se passe de l’autre côté du mur du camp, en raison des divers éléments que Glazer rappelle continuellement : bruits divers (cris, coups de feu, etc.), éléments visuels lointains mais impossibles à ignorer (fumée, miradors, etc.) mais également souvenirs directs des disparus (chaussures, vêtements ou dents en or qui sortent du camp pour être redistribués). En phase avec la logique du hors-champs mise en avant par Glazer, la démonstration tourne pourtant vite un peu à vide, comme si le cinéaste avait tout dit en 30 minutes et ne parvenait plus, par la suite, à transcender son concept.
Le second sujet, celui de la banalité du mal, est porté par le commandant du camp. Dans une scène parfaitement maîtrisée, Glazer nous dévoile toute la logique de cette banalité, lorsque Höss discute des aménagements qu’il pourrait apporter à l’usine d’incinération pour en augmenter la productivité. Les corps sont alors verbalement réduits à l’état de chargement, et l’augmentation de la capacité d’incinération fait totalement oublier l’horreur qui prend place à proximité des participants à cette réunion qui ressemble à n’importe quelle réunion de productivité de n’importe quelle usine. Cependant, on peut se demander pourquoi le second sujet nécessite la même logique de hors-champs / hors camp. N'est-ce pas uniquement par volonté de la part de Glazer de persister dans une direction artistique dont la justification théorique s’affaiblit pourtant au fur et à mesure du film?
Certes, Glazer montre la médiocrité de ces gens qui ne pensent qu’à réussir, c'est à dire à produire et plaire à sa hiérarchie pour l’un, et à s’occuper de la maison pour l’autre. Ceci ne nous apporte rien d’autre que nous n’imaginions déjà. Du haut de sa froide démonstration conceptuelle, le cinéaste ne dérange pas, ne fait pas douter, ne déstabilise pas, tout simplement car cette démonstration ressemble plus à une fausse bonne idée qu’à un réel point de vue. (Et là, forcement, on pense au Fils de Saul.)
Malgré ses ambitions, Zone of Interest ne parvient pas à dépasser les limites de son concept. Il reste néanmoins une œuvre d’un cinéaste dont le talent ne fait aucun doute, mais également un film qui soulève des questions importantes sur la nature humaine et la capacité de l’homme à nier l’horreur qui l’entoure. C'est déjà ça, mais de la part de l'auteur du sublime Under the Skin, nous étions en droit d'attendre beaucoup mieux.

15 décembre 2023

★★★½ | Poor Things (Pauvres créatures)

★★★½ | Poor Things (Pauvres créatures)

Réalisateur : Yorgos Lanthimos | Dans les salles du Québec le 15 décembre (Buena Vista)
Avec son nouveau film, Yorgos Lanthimos nous livre un conte pour adultes haut de gamme qui commence comme un Frankenstein revu et corrigé, dans lequel Willem Dafoe incarne une sorte de fusion entre l’inventeur (pour son activité) et sa créature (pour son physique). Le personnage a dans un premier temps tout du héros de ce film qui nous plonge entre l’univers des films de James Whale et de ceux de la Hammer. Progressivement, le cinéaste place ensuite au centre de son film la jeune femme interprétée par Emma Stone, qui semble handicapéé par une forte déficience intellectuelle. Mais son personnage est plus complexe (nous comprendrons pourquoi plus tard) et va évoluer en même temps que le film en nous servant de guide dans ce récit d'apprentissage à travers un monde du XIXe siècle aux décors rétrofuturistes. Elle y découvre avec une délicieuse candeur l’humanité, avec tout ce que cela comporte de pire (soif de pouvoir, de puissance et dérives en tout genre). Cela permet à Lanthimos de se déchainer en critiquant la bassesse des hommes… mais aussi de beaucoup s’amuser. Parfois, la gaudriole prend le dessus sur le reste. Parfois, certaines scènes tombent un peu à plat. Mais le tout colle finalement plutôt bien avec cet univers d’excès !
Poor Things est peut-être le plus accessible de son auteur, peut-être aussi un des moins déroutant, malgré toutes ses trouvailles, justement car il s’agit d’un conte où il est clair dès le départ que tout est possible. Nous sommes en droit de préférer le Lanthimos qui nous dépeint une réalité qui déraille pour glisser vers l’absurde. Mais ne boudons pas notre plaisir devant ce spectacle à la fois acide et grandement divertissant, qui est également un attachant portrait de femme confrontée au monde, le tout magnifiquement filmé (si on accepte de rentrer dans ce délire à la fois visuellement kitch, gentiment gore et inoffensivement sexué…)

10 novembre 2023

★★★½ | The Holdovers (Ceux qui restent)

★★★½ | The Holdovers (Ceux qui restent)

Réalisateur: Alexander Payne | Dans les salles du Québec le 10 novembre 2023 (Universal)
Six ans après le décevant Downsizing (rare faux pas dans la carrière du cinéaste), Alexander Payne revient en bonne forme avec la comédie dramatique The Holdovers qui marque aussi les retrouvailles avec le comédien Paul Giamatti près de 20 ans après Sideways. Un rôle en or pour le comédien qui incarne un enseignant solitaire et détesté par ses élèves en raison de ses méthodes rigoureuses et qui va se lier d’amitié avec un jeune élève doué et abandonné durant la période des fêtes en 1970. Ce rôle bien écrit, campé avec nuance par un Giamatti en grande forme, pourrait d’ailleurs lui permettre de se retrouver parmi les finalistes à la prochaine cérémonie des Oscars.
Dans ce film, Payne délaisse le cynisme de certains de ses films précédents au profit d’un humanisme plus posé et sensible. Il y aborde des sujets graves tels que le deuil, la dépression, la séparation familiale, la solitude et le refuge dans l’alcool avec une grande finesse d’écriture et un parfait équilibre entre le drame et l’humour. Grâce au travail du scénariste de David Hemingson, on assiste à des joutes verbales et des conversations inspirantes jonchées de commentaires sarcastiques qui, bien que l’action se situe il y a plus de 50 ans, sonnent à la fois vraies et authentiques. La reconstitution historique est sobre, mais méticuleuse et le film baigne dans une atmosphère froide et incolore qui va prendre des couleurs à mesure que se révèlent les dessous et les traumatismes du passé des protagonistes. S’il y a un bémol à évoquer à l’ensemble est peut-être l’arc narratif et dramatique connu et somme toute prévisible qui n’échappe pas complètement aux barrières du genre. Mais le tout est bien dosé et peaufiné, ce qui pousse à pardonner cette familiarité narrative d’usage, car le film évite la mièvrerie et le côté moralisateur.
Pour ceux qui ont le blues à l’approche de la période des fêtes qui arrive à grands pas, The Holdvers est sans doute le remède idéal et un exemple d’une comédie de l’existence à la fois intelligente et douce-amère sur le besoin vital de connexion humaine. Voilà qui s’inscrit parfaitement dans l’esprit de la période des réjouissances.

27 octobre 2023

★★★ | The Killer (Le tueur)

★★★ | The Killer (Le tueur)

Réalisateur: David Fincher | Dans les salles du Québec le 27 octobre 2023 (Netflix)
Les vingt premières minutes de The Killer sont très prometteuses. Un tueur, dans sa planque, face à un hôtel de luxe, attend sa cible, se prépare, se livre à l’introspection, réfléchit à sa condition, à sa pratique. La mise en scène est précise, ne laisse rien au hasard, un peu à l’image du protagoniste. On pourrait presque reprocher à Fincher un excès de voix off, mais celle-ci n’est finalement pas intéressante. Elle ajoute un petit plus au caractère obsessionnel du tueur, à sa volonté de tout contrôler.
Mais après cela, tout s’écroule. Pour le tueur d’abord, car il échoue et doit alors vivre avec les conséquences de cet échec, puis se venger des gens qui lui veulent du mal. Tout s’écroule pour le film également. Progressivement, il perd pied et s’enfonce vers un petit film de vengeance qui n’a pas grand-chose à dire et qui enchaîne les scènes où le héros affronte tour à tour des personnages très différents. Certes, le talent est là, ce qui permet au spectateur de rester dans le film, mais Fincher ne va jamais au-delà du minimum syndical. Le film devient progressivement une petite production Netflix pour les soirées paresseuses et casanières des vendredis soir automnaux. Et comme la vie est bien faite, The Killer est justement un film Netflix et sera disponible sur la plateforme le 10 novembre !

20 octobre 2023

★★★ | Killers of the Flower Moon (La Note américaine)

★★★ | Killers of the Flower Moon (La Note américaine)

Réalisation: Martin Scorsese | Dans les salles du Québec le 20 octobre 2023 (Apple TV+)
À l’évidence, Scorsese est sincère et le sujet de Killers of the Flower Moon lui tient à cœur (suite à la découverte de gisements de pétrole sur les terres de la nation Osage, ses membres meurent les uns après les autres dans l’indifférence générale). Cela se ressent dans sa manière de dépeindre cette communauté autochtone, de la représenter, de la respecter. Il est également sincère dans sa façon de parler de son pays et de certains épisodes sombres du passé, sans la moindre concession ni aucune volonté de simplification manichéenne. Malheureusement, au-delà de ces bonnes intentions, le film n’est pas le plus habile de son réalisateur, comme s’il était étouffé par le poids de son sujet. La mise en place est particulièrement laborieuse (surtout quand on connaît l’habileté habituelle du cinéaste pour installer un sujet et des personnages), ce qui rend la première partie interminable. Heureusement, ici où là, Scorsese nous offre une idée d’écriture ou une fulgurance visuelle (les morts violentes sont filmées avec une froideur et un détachement qui nous glacent le sang, et font partie des images marquantes de la carrière du cinéaste, qui en a pourtant filmées beaucoup).
Par la suite, le processus s’inverse. Une fois les principaux éléments mis en place, le réalisateur semble plus à l’aise dans le développement du récit… même si certains bémols apparaissent. Le principal est le jeu de plus en plus caricatural de Leonardo DiCaprio, pourtant excellent acteur, qui en faut ici des tonnes, à tel point qu’il ferait presque passer De Niro pour un acteur bressonien. (Loin d’être anecdotique, cette remarque pose un réel problème, le jeu de l’acteur nous déconnectant parfois de son personnage, et donc du film, tant l’image de Marlon Brando semble se superposer à celle de DiCaprio dans la dernière demi-heure.) 
En alternant le bon et le moins bon, le cinéaste nous rappelle qu’un grand sujet peut faire un petit film. Un bon petit film, certes, mais un petit film quand même. Et qu’il soit signé du grand Scorsese n’y change rien.