16 août 2018

★★½ | Wall (Le mur)

★★½ | Wall (Le mur)

Réalisé par Cam Christiansen | Dans les salles du Québec le 17 août 2018 (ONF)
Documentaire d’animation réalisé par Cam Christiansen, Wall suit le parcours (physique et réflexif) de l’écrivain et dramaturge David Hare (The Hours, The Reader) qui le mènera au Moyen-orient. Sur un chemin de croix, le réalisateur accompagne son sujet alors qu’il se questionne sur la construction du mur qui sépare Israël des territoires palestiniens. Au fil de rencontres et de ses propres réflexions, Hare tentera lui-même de déterminer la légitimité du mur. Qualifié de mur de la honte par certains ou de barrière de sécurité par d’autres, les conséquences reliées à sa construction se font toujours sentir. Si le film frappe par la pertinence de son sujet ainsi que par la narration mélancolique de Hare, l’animation (pourtant réussie) ne sert pas vraiment son propos.
L’utilisation d’un noir et blanc très contrasté ajoute à la tension dramatique qui est palpable. Cependant, on ne peut s’empêcher de remarquer une distance entre la voix des sujets et leur représentation à l’écran, surtout dans la représentation des corps et des visages. L’animation leur donne des traits réalistes mais il y a toutefois un manque de finesse pour les détails (expressions et mouvement). Ce choix artistique est peut-être intentionnel de la part du réalisateur. Ainsi, lorsque le personnage animé d’Hare (ou un des sujets interrogés) s’exprime à l’écran, les nuances et richesses des expressions humaines ne sont pas magnifiées par les dessins. Sans dénigrer les techniques d’animation privilégiées par Christiansen, une certaine austérité (quasi-robotique) se dégage de l’ensemble. De plus, cette froideur de l’image entre en contraste avec la voix envoûtante du narrateur (David Hare). La représentation des corps et des visages aurait gagné à être plus impressionniste comme lorsqu’il est question des villes et les paysages affectés par le mur.
On pourra également questionner la notion de l’homme occidental fasciné par le Moyen-Orient qui se rend en zone de conflit afin de commenter la situation. D’ailleurs, le phénomène est abordé très tôt par le narrateur sans être réellement approfondi. Toutefois, les témoignages d’amis et de connaissance de l’écrivain apportent une profondeur nécessaire aux propos véhiculés par Hare. Les avis divergents et nuancés sur la construction du mur (autant du côté israélien que du côté palestinien) nous permettent de constater la complexité de la situation. Malgré les opinions fortes du narrateur et des intervenants, le film n'impose aucune réponse. Il s’agit probablement de l’une de ses plus belles qualités.

9 août 2018

★★★½ | BlacKkKlansman (Opération infiltration)

★★★½ | BlacKkKlansman (Opération infiltration)

Réalisé par Spike Lee | Dans les salles du Québec le 10 août 2018 (Universal)
Avec BlacKkKlansman (Grand Prix du jury lors du dernier festival de Cannes), Spike Lee nous propose de retourner dans les États-Unis des années 1970 pour mieux constater que les problèmes d’inégalités raciales sont toujours bien présents près d’un demi-siècle plus tard. Pour étayer son constat, il opte pour une approche flirtant avec la comédie et prend bien soin d’éviter d’être trop polémique, et donc de provoquer des tensions au lieu de les apaiser. Le mode léger pour lequel il a opté facilite sa démarche. Non seulement en effet il nous montre une intégration presque idyllique d’un policier noir dans un service de police jusqu’ici 100% blanc (le seul policier raciste sera vite confondu), mais il prend aussi soin de ne pas faire des membres du KKK ce qu’ils sont réellement. Ils sont en effet dans son film plus benêts que vraiment méchants… et d’ailleurs presque sympathiques. Lee poursuit cette même logique pour l’ensemble de son travail d’écriture. Si le film est techniquement irréprochable, l’écriture semble beaucoup plus insouciante que rigoureuse, et de nombreuses incohérences marquent la progression du récit. Mais elles sont si omniprésentes qu’elles sont forcément assumées… et elles représentent paradoxalement une force. Elles désamorcent en effet constamment toute la violence sociale du film et empêchent ce dernier de basculer vers un radicalisme trop virulent. En passant son message sur un mode léger, Lee a probablement plus de chances de toucher une cible plus ou moins conquise d’avance.
On pourrait alors reprocher au cinéaste de ne pas prendre son sujet à bras le corps, mais la fin nous interdit de formuler un tel constat. Lee y ose en effet une pratique souvent maladroite (intégrer des images d’archives avant le générique), mais pour une fois, la pratique fonctionne: ces images d’actualités récentes, et avec elles son constat que la situation raciale aux États-Unis est toujours aussi problématique, viennent contrebalancer le ton léger du film pour nous envoyer une réalité en pleine face et nous dire que si tout est possible dans une fiction (notamment s’amuser de problèmes qui finiront par se résoudre à la fin), la réalité est tout autre.
Ce constat amer donne à rebours encore plus de force au reste du film, qui avait préparé le terrain sur un mode léger en prenant soin de ne surtout pas trop exacerber certaines tensions… pour aider les dernières minutes à faire mouche avec encore plus de force.

5 août 2018

Locarno 2018 | ★★★½ | L’époque

Locarno 2018 | ★★★½ | L’époque

Réalisé par Matthieu Bareyre
Paris. 2015, 2016, 2017. Voilà le point de départ de L’époque. À partir de cela, Matthieu Bareyre dresse le portrait d’une certaine jeunesse française, entre les attentats de Charlie hebdo et la présidentielle de 2017.
Pour y parvenir, il arpente le Paris des bars, des rues ou des manifs, rencontre des jeunes issus des beaux quartiers ou des cités, des dealers ou des étudiants, des DJ ou des activistes (eux-même non-violents ou membre des Black Blocks)... Mais tous ces jeunes sont-ils vraiment représentatifs d’une époque comme le laisse supposer le titre? Peut-être pas. Sont-ils même représentatifs d’une génération? Probablement pas non plus, car la jeunesse française n’est pas uniquement parisienne et noctambule comme celle rencontrée dans le film. Mais finalement, ce titre trompeur importe peu, car Matthieu Bareyre parvient avec une force rare à nous faire partager l’air du temps à travers ses rencontres, toutes passionnantes et complémentaires. Quels que soient les profils des personnes interrogées, il sait leur parler, les écouter, les relancer quand il faut, et surtout les mettre à l’aise.
Mais ses qualités ne sont pas seulement humaines. Elles sont également cinématographiques. S’il sait familiariser ses interlocuteurs avec sa caméra, il sait aussi utiliser celle-ci pour capter des moments de vie, des lieux, des impressions. Son travail de montage est également particulièrement réussi. Qu’il s’agisse du montage image (signé Matthieu Bareyre, Isabelle Proust et Matthieu Vassiliev) ou son (Stéphane Rives), il évite au film d’être une succession de rencontres filmées face caméra, mais donne au film une respiration, une cohérence. Il contribue à la restitution de l’air du temps, à cette ambiance du Paris nocturne, c’est-à-dire un univers où le réel se fait tour plus léger et plus grave, où les craintes, les angoisses, les espoirs et le désir d’exister ou de combattre se font plus grands.
Cependant, ce documentaire à la fois beau et touchant comporte une faiblesse qui provient paradoxalement d’une de ses plus belles rencontres: Rose. Elle aurait pu à elle seule être le sujet d’un film, et il est probable que Matthieu Bareyre partage ce sentiment. D’ailleurs, il lui accorde une place particulièrement grande, qui représente justement cette faiblesse: le déséquilibre finit par fragiliser l'amalgame qui soudait entre eux des éléments pourtant très différents.
Ce défaut n’empêche cependant pas le film d’être un très grand documentaire, qui marquera probablement son époque. Malheureusement, nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il aurait pu être encore plus que ça. Mais il ne s’agit que d’un premier long-métrage. Laissons à Matthieu Bareyre un peu de temps avant de lui demander de signer un chef-d’oeuvre!

(Film visionné dans le cadre de notre collaboration avec Festival Scope | Film disponible gratuitement sur cette plateforme en août 2018, sous réserve des places disponibles).