25 octobre 2019

★★★★ | Parasite (기생충)

★★★★ | Parasite (기생충)

Réalisation: Bong Joon Ho | Dans les salles du Québec le 25 octobre 2019 (MK2│Mile End)
Depuis l’an dernier, le cinéma asiatique a le vent en poupe à Cannes. Après l'excellent Une affaire de famille, c’est en effet Parasite qui a remporté la distinction suprême cette année.
La comparaison ne s’arrête d'ailleurs pas là. Les deux films prennent comme point de départ une famille qui peine à se faire une place dans ce monde de plus en plus inégalitaire et qui vit dans un véritable taudis. Cependant, les approche diffèrent ensuite rapidement. Si les héros de Shoplifter pratiquaient le vol à l'étalage, ceux de Parasite travaillent comme ils peuvent (ils plient des boîtes de pizza avec une compétence limitée). Les choses changent lorsqu’on propose au fils une place de professeur particulier auprès d'une étudiante de bonne famille. Il manipulera ses employeurs pour faire engager toute sa famille sur des emplois divers... mais chacun travaillera dur et sera compétent à son poste ! Nous sommes donc dans un premier temps loin du parasite du titre : la famille n’est pas oisive... elle n’a au contraire jamais autant travaillé au contact des nantis. Mais où, alors, est le parasite du titre ? Cette petite question n’est pas anodine ; elle nous entraîne d’emblée dans la logique narrative du film, qui prend toujours le spectateur à contre-pied de ses propres attentes. Mais son sens du timing est si impressionnant que ce qui aurait pu passer pour des petites manipulations scénaristiques un peu trop faciles se transforme en petits cadeaux aux spectateurs, qui deviennent plus les complices amusées d'un cinéaste cynique que des dindons de la farce.
Parasite nous parle certes de notre société, de ses inégalités, de l’envie des plus démunis de s’en sortir comme ils peuvent, des humiliations (même involontaires) qu'ils doivent subir, de l’implacable poids de leur condition... mais l'art du contre-pied de Bong Joon Ho lui permet d’éviter de sombrer dans la bonne conscience simpliste, tout en lui donnant des allures de film de genre particulièrement jouissif.
Après le formidable Joker, sorti il y a peu, Bong Joon ho fait lui aussi le portrait de notre époque avec un film à la fois truffé de qualités et accessible à un public très large. On aime ça !
★★★ | The Lighthouse / Le phare

★★★ | The Lighthouse / Le phare

Réalisation: Robert Eggers | Dans les salles du Québec le 25 octobre 2019 (VVS Films)
Il y a un peu plus de trois ans, The Witch avait été une incroyable révélation, en même temps qu’un film visuellement splendide! Le tout premier plan de The Lighthouse en est digne : une image grise, avec des formes en mouvement dans le bas de l’écran, qui prend des allures de toile qui s’anime. Lorsque progressivement les formes abstraites deviennent des vagues et qu’un bateau vient percer le brouillard, Eggers trouve la transition parfaite pour nous faire passer de la forêt de The Witch à l’univers marin de The Lighthouse. La suite du film est visuellement à l’avenant. Tout simplement splendide! The Witch avait des allures de toile de maître, The Lighthouse ressemble à un hommage au cinéma d’antan, rendu par un faiseur d’images hors pair. La bande-son, avec corne de brune et bruits des vagues omniprésents, vient ajouter une touche anxiogène à des images à la fois inquiétantes, fascinantes, ou tout simplement sublime au-delà de ce qu’il est possible d’imaginer.
Et pourtant...
Et pourtant, ce qui avait tout pour devenir un chef-d’œuvre tombe à plat. Alors qu’on aurait aimé embarquer dans un film qui génère des émotions par les sens et par la maîtrise de l’association de l’image animée et du son, Eggers semble hésiter entre deux directions: celle-ci d’une part, et, d'autre part, un affrontement psychologique entre deux hommes chargés de faire fonctionner un phare sur une île isolée. Malheureusement, jamais les deux orientations ne se rejoignent ou ne s’enrichissent mutuellement. Au contraire, elles se phagocytent en permanence, laissant au spectateur impressionné par tant de beauté l’amère sensation d’être passé à côté de ce qui avait tout pour être une œuvre majeure.
Mais ce que nous pensions d’Eggers tient toujours. Son talent est impressionnant. Souhaitons-lui d’en faire bon usage la prochaine fois. Nous n’attendons que ça!

18 octobre 2019

★★★ | Douleur et gloire / Pain & Glory (Dolor y gloria)

★★★ | Douleur et gloire / Pain & Glory (Dolor y gloria)

Réalisation: Pedro Almodóvar | Dans les salles du Québec le 18 octobre 2019 (Métropole)
Almodóvar signe son œuvre la plus réflexive avec Douleur et Gloire. Empruntant directement à Fellini, le cinéaste espagnol propose un récit semi-autobiographique et avoue une certaine faiblesse artistique. Par son alter ego Salvador Mallo, cinéaste vieillissant en manque d’inspiration, il se permet d’exposer ses angoisses tout en faisant le point sur sa propre carrière et les problématiques qui ont occupé son art comme sa vie.
L’intrigue, si l’on peut l’appeler ainsi, est relâchée, laissant lieu à une série d’anecdotes parfois en flash-backs, parfois racontées au présent. L’intérêt de celles-ci est variable, le cinéaste ressassant beaucoup de sujets souvent explorés dans sa carrière. Le film peine, comme son personnage principal, à trouver un nouveau regard sur ses idées et ne semble s’adresser qu’aux cinéphiles déjà investis ou, pire encore, n’exister que pour lui-même.
Almodóvar n’est toutefois pas foncièrement complaisant, annonçant très rapidement ses faiblesses et ses regrets. C’est donc peut-être bien dans la douleur, justement, que son film prend forme. Les réminiscences sont habitées d’immense mélancolie. Le mode de vie solitaire d’un artiste ayant rendu ses relations amoureuses impossibles, la différence de classe ayant effrité le contact avec sa mère, c’est dans ses sujets, bien sûr fréquents chez lui, qu’Almodóvar pose un regard nouveau. Un regard plus calme, moins outrancier qu’à son habitude.
La tranquillité du film permet à Antonio Banderas, dans le rôle d’alter ego, d’imposer sa présence. C’est pour le meilleur, tant l’acteur donne l’une des meilleures performances de sa carrière. L’introspection lui sied, comme à Almodóvar, qui semble amorcer avec Douleur et Gloire un processus d’autoréflexion qui peut donner de belles trouvailles, même si le film n’a pas l’éclat des meilleures œuvres de sa carrière.

9 octobre 2019

★★ | Matthias et Maxime

★★ | Matthias et Maxime

Réalisation: Xavier Dolan | Dans les salles du Québec le 9 octobre 2019 (Séville)

Rien ne va plus pour Xavier Dolan! Après un ambitieux film anglophone mal maitrisé, le talentueux cinéaste québécois revient au Québec avec un film d’apparence plus modeste... mais malheureusement tout aussi peu maîtrisé à force d’en mettre toujours plus, toujours trop!
Il est dommage que son film n’ait pas suivi la voie que semblait vouloir tracer son propre titre (Matthias et Maxime): deux amis d’enfance aux parcours très différents voient leurs vies bouleversées par le tournage d’un petit film amateur dans lequel ils doivent s’embrasser! D’un seul coup, tout bascule. Alors que leur hétérosexualité semblaient être pour eux une évidence, ce baiser anodin vient ébranler leurs certitudes.
Le sujet est intéressant. Son traitement l’est beaucoup moins tant Dolan semble attiré par des chemins détournés censés nous en dire plus sur les personnages principaux, mais qui en réalité viennent faire de l’ombre de manière stérile à l’évolution d’une relation et aux doutes qu’elle génère. Il essaie en effet dans le même temps de faire un film d'amis en donnant naissance à de nombreux personnages qu’il n’arrive jamais à faire exister vraiment. Pire encore, il nous en remet une couche sur la relation mère-fils. Si le thème lui a permis de faire de très belles choses par le passé, il n’est que survolé ici et commence à prendre des allures de réchauffé. Les scènes entre les personnages incarnés par Dolan (le fils) et Dorval (la mère) sont pénibles et viennent témoigner de l’incapacité du cinéaste à nous faire comprendre une situation sans la jeter à la face du spectateur en grossissant ses aspects les plus dramatiques. Signalons également que les relations avec les autres personnages féminins (dans ce film, une femme est soit «la mère de», soit «la sœur de», soit «la conjointe de») ne sont pas beaucoup plus subtiles ou pertinentes.
Finalement, d'un sujet potentiellement passionnant, Dolan ne fait rien. Il ne nous dit rien de cette relation trouble entre deux amis d’enfance ni des doutes sur leur orientation sexuelle. Il ne tire pas profit de ses détours et ne nous dit rien non plus de ce groupe d’amis ou des relations familiales difficiles. Il se contente de faire une caricature de lui-même. Cependant, reconnaissons que certains des petits tics dolaniens semblent commencer à s’estomper. Serait-ce la transition vers un renouveau? On le souhaite.

4 octobre 2019

★★★★½ | Joker

★★★★½ | Joker

Réalisation: Todd Phillips | Dans les salles du Québec le 4 octobre 2019 (Warner)
Certains réalisateurs nous réservent parfois de belles surprises. Qui aurait pu en effet prédire que Todd Phillips, réalisateur de The Hangover et War Dogs (d’une qualité cependant supérieure à la moyenne de la production américaine), réaliserait un des meilleurs films de l’année 2019?
Pour arriver à cela, le réalisateur prend un univers dont commence à abuser la concurrence Marvel (les super-héros), utilise en apparence les mêmes recettes (on reprend les mêmes et on recommence en leur donnant un rôle plus important), assume certains codes du genre (et en particulier du sous-genre batmanien: le trauma lié à l'enfance), met de l’avant l’opposition entre les bons et les méchants (indirectement, c’est l’avènement du Joker qui est à l'origine de la naissance de Batman)… mais nous livre un film qui relève plus du drame social que du film de super-héros!
Pour réussir dans son entreprise périlleuse, il s’associe à Scott Silver à l'écriture et nous livre un scénario d'une maitrise absolue : tout y est parfaitement dosé: les origines du trauma, la description de l’arrière-plan socio-économique, les difficultés auxquelles le héros doit faire face (la misère, les inégalités, les humiliations, la bêtise des hommes).
Il ajoute à cela un acteur exceptionnel (Joaquin Phoenix), ici au top de sa forme, qui gère sa palette de jeu en dosant la folie, la peur, la souffrance et l’envie de son personnage de faire partie d’un monde qui le rejette.
Enfin, sa mise en scène parvient régulièrement, en des plans d’une grande richesse visuelle, à nous en dire autant sur un homme à la dérive (merci à Joaquin Phoenixpour son travail sur le corps) que sur une société qui l'est tout autant.
Finalement, par une alchimie parfaite, l’association de ses talents forme un film aussi anxiogène que douloureux... un film qui aborde avec justesse la souffrance d’un homme, mais aussi et surtout les ravages des inégalités et de l’exclusion (et de leurs conséquences). La multitude des sujets abordés confirme qu’il n’y a pas une seule explication qui pousse un homme à commettre l'irréparable, mais une multitude. Surtout, Philipps, avec un talent d’observateur rare, nous montre comment une société qui s’effrite peut devenir le terreau fertile à l'émergence du chaos. Lorsque plus rien ne va, l’acte désespéré d’un esprit fragile peut être vu par les opprimés comme le geste révolutionnaire d’un leader charismatique. Le constat de Phillips n’est pas nouveau, mais son film est par certains aspects si ancré dans notre époque qu’il en devient terrifiant.