20 décembre 2018

★★★★ | Une affaire de famille / Shoplifters (Manbiki Kazoku)

Réalisé par Hirokazu Kore-eda | Dans les salles du Québec le 21 décembre 2018 (Métropole)
La famille a toujours été au cœur du cinéma d'Hirokazu Kore-eda. Il l'a pourtant rarement traitée d'une aussi belle façon que dans Shoplifters, Palme d'Or du dernier Festival de Cannes.
Suite à un détour moins mémorable par le drame judiciaire (avec The Third Murder, inédit au Québec mais disponible en dvd), voir le cinéaste nippon revenir à la source de ses obsessions est toujours un plaisir incommensurable. Après avoir aiguisé davantage son style avec Notre petite sœur et Après la tempête, le voilà qui s'attaque de front au problème de la pauvreté au Japon. Il ne le fait pas en prêchant dans le désert comme Ken Loach et compagnie, mais en concentrant son regard sur une famille unie malgré les intempéries.
Ce cocon familial devient ainsi source de protection pour une petite fille retrouvée et adoptée par le clan. Ses membres, dysfonctionnels en solitaire, se renforcent au contact de leurs semblables, que le lien soit de sang ou pas (une question déjà abordée sur Tel père, tel fils). La laideur et la dureté du monde extérieur sont alors transformées par l'amour des autres, bien que les manières d'y arriver — par le vol, notamment — s'avèrent évidemment discutables.
Le réalisateur ne romance jamais la condition de ses individus, créant peu à peu une brèche dans leur fondation qui s'ébranlera avant la fin. Il ne les juge en aucune occasion, évitant tous les pièges (ils sont si nombreux: misérabilisme, morales d'usage, mièvrerie, sensibilité bien pensante, etc.) en portant un regard noble et empathique sur la situation, qui n'est pas exempt d'humour.
Cela passe évidemment par la mise en scène, d'une justesse inouïe, pas esthétisante comme celle d'Alfonso Cuaron dans Roma, et qui sert parfaitement son sujet. Elle s'oublie pour laisser le quotidien se manifester réellement à l'écran. On semble vraiment être avec les personnages, qui sont campés avec délectation par la traditionnelle famille de cinéma du cinéaste. Cela n'empêche pas les plans de rivaliser de beauté au sein d'un montage expert au rythme organique, dont les métaphores subtilement intégrées amènent tour à tour tension, émotions et libération. C'est le cas notamment du dernier plan où une fillette hésite à sauter par-dessus une clôture.
Auteur d'une filmographie essentielle dont Nobody Knows et Still Walking sont ses principaux porte-étendards, Kore-eda rappelle avec Shoplifters qu'il fait toujours partie de l'élite de son art. Impossible de ne pas ressortir bouleversé d'humanité de cette œuvre magnifique où la vie triomphe pendant deux heures.
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