25 août 2020

Fantasia 2020 | ★★★¼ | Labyrinth of Cinema (海辺の映画館 キネマの玉手箱)

Fantasia 2020 | ★★★¼ | Labyrinth of Cinema (海辺の映画館 キネマの玉手箱)

Réalisation: Nobuhiko Obayashi
Parmi les films que ne nous voulions manquer sous aucun prétexte dans le cadre de ce Fantasia 2020 figure incontestablement le dernier film de Nobuhiko Obayashi, mort en avril dernier à l’âge de 82 ans.
Avec cet ultime film, le cinéaste suit trois jeunes hommes qui assistent à une projection dans un vieux cinéma. Ils se retrouvent littéralement projetés dans des films anciens et permettent ainsi aux spectateurs que nous sommes de les accompagner dans un voyage aussi bien dans l’histoire du cinéma japonais que dans celle du Japon (en parcourant plus précisément l’époque féodale, la guerre sino-japonaise et la seconde guerre mondiale, avec Hiroshima en point d’orgue) et de croiser entre autres des figures comme Miyamoto Musashi ou Yasujirō Ozu.
Pourtant réalisé par un vétéran, le film semble au début signé par un adolescent amateur de pop culture qui revisite avec insolence ses classiques. Les longues premières minutes, relativement poussives, glissent progressivement vers plus de maîtrise et de gravité, tout en conservant une fantaisie toujours omniprésente mais de mieux en mieux dosée... Au fur et à mesure qu’il progresse, ce film testament (pour une fois, l’expression n’est pas galvaudée) devient de plus en plus touchant et permet à Nobuhiko Obayashi de rendre un dernier hommage à son cinéma national tout un livrant un ultime message anti-guerre et en nous rappelant par ses excès stylistiques qu’il n’est jamais trop tard pour en faire toujours un peu trop!

21 août 2020

L'angle mort | Entrevue avec Pierre Trividic et Patrick-Mario Bernard

L'angle mort | Entrevue avec Pierre Trividic et Patrick-Mario Bernard

Pierre Trividic et Patrick-Mario Bernard (photo: FunFilm distribution) | Film dans les salles du Québec le 21 août 2020
Les films de Pierre Trividic et Patrick-Mario Bernard (L'autre, Dancing) sont aussi rares qu'essentiels. Travaillant depuis plus d'une décennie à partir d'une idée originale de l'écrivain Emmanuel Carrère, le duo français vient d'ajouter avec L'angle mort un long métrage unique à la longue liste des récits sur «l'homme invisible». En début d'année, nous, nous sommes entretenus avec les cinéastes dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français à Paris… 

Qu'est-ce qui vous attirait dans ce projet ?
Patrick-Mario Bernard: On s'intéresse à la question du visible et donc de l'invisible depuis assez longtemps. Le premier film qu'on a fait ensemble il y a 20 ans était un documentaire fictionnel sur Lovecraft où la question du visible était omniprésente… On a l'impression d'être resté dans la même maison avec l'homme invisible, où l'on aborde la crise du visible. Qu'est-ce qu'on voit quand on est invisible ? Qu'est-ce qu'on regarde ?

C'est un film sur la condition humaine. Tout semble déréglé dans cette société anxiogène. On est à deux doigts de verser dans l'apocalypse, il y a une hausse des suicides, un mal-être généralisé. Et comme remède à la peur, des gens arrivent à devenir invisibles…
Pierre Trividic: Il n'est pas impossible, si on admet que cette invisibilité existe et qu'elle a été laissée de côté par l'évolution au cours des millénaires, que c'était sans doute un mécanisme de défense. L'espèce humaine était capable, autrefois, en cas de danger, de disparaître. Mais parce que le danger a diminué ou plutôt qu'il a changé de nature, ce don a dû disparaître en nous. Mais il reste encore quelques dépositaires du don en question qui disparaissent de leurs ennemis, comme le font beaucoup d'animaux.

À une époque où les films de super-héros sont si populaires, à peu près n'importe qui aurait traité l'invisibilité par le cinéma de genre… mais pas vous. Votre fantastique est plus sensuel, humain et terre à terre, un peu comme si Claire Denis avait travaillé à partir d'un scénario de M. Night Shyamalan…
PMB: On aime beaucoup le fantastique, mais ce qui nous intéresse, c'est le fantastique destiné à un public adulte et pas à un public adolescent. Ça contrebalance tous les poncifs et toute la question de la rentabilité des dons:  si on est invisible, il faut absolument faire quelque chose de ce don, comme sauver des gens. Notre personnage principal est très encombré par ce don qui fait obstacle à sa propre vie.
PT: Mais il y a aussi une affaire de folklore, d'identité culturelle là-dedans. Sans doute que l'Europe a depuis longtemps perdu de vue le projet de sauver le monde et que ce projet, pour le meilleur et pour le pire, reste encore assez vivant en Amérique du Nord. Ça, c'est une différence. Mais il n'y a pas que des différences. Le film est extrêmement conforme aux codes du fantastique, mais un fantastique européen plus que nord-américain ou états-unien, plutôt.

Pour plusieurs personnes, ce don serait un pouvoir. Mais pour le héros, il s'agit d'un fardeau. L'invisibilité est synonyme de solitude. Il a absolument besoin d'être vu et touché pour exister réellement…
PMB: C'est exactement ça. C'est vraiment l'expérimentation de la solitude la plus solitaire…
PT: ... et on n'existe qu'à plusieurs. Il en va de même d'une certaine manière pour tous les dons. Si on est bon dans quelque chose, on est parfois mis à l'écart et on a moins de liens avec les gens.

Voyez-vous dans ce film un discours post-colonialiste, lié soit aux pays africains, soit à la présence visible ou invisible des minorités dans la société ? Le personnage principal (interprété par Jean-Christophe Folly) est noir, son histoire familiale s'avère trouble, le père est absent, la mère finit par mourir, le protagoniste perdu erre et il a peur de l'engagement…
PMB: Non, pas du tout. Mais la question du comédien noir est importante pour nous. C'est un personnage, ce n'est pas une métaphore. 
PT: S'il y a un geste politique dans le film, c'est la décision de faire du personnage principal un noir. Mais c'est la seule et elle se limite à elle-même. Évidemment, il y a peu de personnages principaux noirs dans les films en France, et encore moins de personnages noirs qui jouent autre chose qu'un rôle de noir… Le film est traversé par toutes sortes de questions. Elles sont en suspension dans l'atmosphère, elles ne sont pas thématisées en fait. Elles sont sûrement présentes, parce qu'on ne peut pas faire autrement.
PMB: J'aimerais rajouter que le film est très autobiographique. Ce sont nos autobiographies mixées. Il y a plein de choses en commun, des choses de nos familles, de nos vies, de ce qu'on traverse, des questions qu'on se pose. C'est toujours un peu comme ça, mais j'ai l'impression que L'angle mort est le plus proche de ce que nous sommes.

Que pensez-vous de la figure de l'aveugle, incarnée par Golshifteh Farahani ? Souvent ce type de personnage sauve le héros, le rattache au monde. Mais ici c'est beaucoup plus compliqué…
PMB: Exactement. Elle fonctionne comme une illusion. Quelque chose de miraculeux a l'air de se produire au moment où elle le regarde. C'est assez explosif, très jouissif, très puissant. Il est enfin vu. Mais en même temps, il force une sorte de vérité qu'il aimerait bien voir exister.
PT: Mais qui n'a pas commis cette erreur-là ? Qui n'a pas, dans une histoire d'amour, attendu de l'autre qu'il vous dise qui vous êtes ? Mais ce n'est sans doute pas la bonne façon de prendre l'amour.

Que vouliez-vous essayer par votre mise en scène ? L'œuvre nocturne appelle les couleurs brunâtres, le rythme langoureux du temps qui passe, l'atmosphère feutrée, l'ambiance intrigante. Il y a un jeu sur la peau, les textures, la nudité… 
PT: Une des difficultés du fantastique, c'est le ton et le climat. C'est comment tenir un discours fantastique dans une dimension réaliste, parce qu'il n'y a pas de fantastique sans réalisme. Comment tenir ce ton-là d'un bout à l'autre sans couac ? C'est ça la difficulté.
PMB: Le format 1,33:1, 4/3, marquait pour nous une appartenance au genre, mais un peu à l'ancienne, façon La quatrième dimension. Il y a quelque chose de ça qui était vraiment lié directement à la question de la présence du centrage et du côté photographique de ce qu'on voulait faire passer. Que d'emblée, la réalité — ce qu'on a essayé d'être au plus proche d'une forme de réel — soit confinée comme à l'intérieur d'un objet, d'un instrument d'optique. Comme si on regardait à l'intérieur de quelque chose.

Entrevue réalisée par Martin Gignac, à Paris, en janvier 2020.

20 août 2020

Fantasia 2020 | ★½ | Chasing Dream (我的拳王男友)

Fantasia 2020 | ★½ | Chasing Dream (我的拳王男友)

Réalisation: Johnnie To
Johnnie To est prolifique, nous a offert plusieurs très bons films (dont Three, le dernier en date, projeté à Fantasia il y a 4 ans)… mais aussi des beaucoup moins bons. Son dernier Chasing Dream fait malheureusement partie de cette dernière catégorie.
Piètre comédie romantico-mélodramatique, le film fait le grand écart entre le film de boxe (avec certaines scènes plutôt efficaces) et le film de concours de chant télévisuel (considérons ça comme un sous-genre) saupoudré de pop asiatique sirupeuse (mais comportant aussi, avouons-le, quelques bonnes idées).
Les rares aspects positifs du film ne suffisent pas à nous faire oublier une déferlante de guimauveries qui collent aux doigts (de surcroît vues ailleurs à de nombreuses reprises, et souvent en mieux) et de petites touches d’humour pas drôle du tout.
Johnnie To étant le plus gros nom de cette programmation de Fantasia 2020 100% virtuelle, la déception est donc évidente... mais le festival débute aujourd’hui! Alors, on espère voir très bientôt quelques petites trouvailles dont les programmateurs du festival ont le secret!

19 août 2020

★★★★ | Une fille facile

★★★★ | Une fille facile

Réalisation: Rebecca Zlotowski | Pas de sortie en salle au Québec — Disponible en VSD
Présenté à la Quinzaines des réalisateurs lors du Festival de Cannes 2019, le dernier film de Rebecca Zlotowski nous arrive directement sur Netflix. Au programme: ses références cinématographiques très franco-italiennes des années 60/70, la sophistication de l’image et du cadre, des choix musicaux judicieux... mais aussi une petite dose d’érotisme, de la mer et du soleil, un yacht dans le port de Cannes, beaucoup (du moins le croit-on au début) d’insouciance et de frivolité... et Zahia, ancienne escorte mineure qu’ont bien connue certains joueurs de l’équipe de France de Football.
Une telle non-actrice au passé sulfureux pouvait ressembler à un choix surprenant de la part de la cinéaste française. Il n’en est rien! Bien au contraire. Zahia Dehar, avec sa diction à la Bardot et son physique de poupée Barbie, donne en effet à son personnage une dimension surprenante. La fille facile qu’elle incarne à la perfection est superficielle (tout dans l’apparence, la docilité, le plaire à tout prix) mais sous le regard de Zlotowski, cette superficialité agit comme une carapace qui permet à son personnage de se protéger, notamment des tentatives d’humiliation (la séquence avec Clotilde Courau est à ce titre exemplaire). Ce portrait fascinant n’est pas le seul du film. Sa cousine (interprété par Mina Farid), beaucoup plus simple et naturelle, agit quant à elle de manière totalement différente face à un milieu qui n’est pas le sien. Avec ces deux personnages, ce qui aurait pu être une histoire sentimentale estivale se transforme progressivement en une réflexion passionnante sur les rapports de classe... puis, (grâce notamment au personnage incarné par Benoît Magimel) sur la recherche de la liberté. Tout le monde la cherche à sa manière, mais comment la trouver vraiment? C’est en fait cette question qui est au centre d’Une fille facile, grand film qui vaut bien plus que tout ce à quoi il serait facile de le réduire.

14 août 2020

★★★★ | Crash

★★★★ | Crash

Réalisation: David Cronenberg | Dans les salles du Québec le 14 août 2020 (MK2 | MILE END)
Crash débuterait presque comme un film pornographique esthétisant des années 90, avec une image soignée et des corps parfaits à la peau lisse et belle... mais Cronenberg passe vite à autre chose sans prendre le temps de laisser monter la tension érotique, comme si ces corps parfaits ne pouvaient susciter aucun désir réel. Ensuite, le film et ses personnages s’enfoncent dans une perversion morbide puisque la tôle froissée, les corps meurtris, mais surtout la proximité de la mort deviennent des éléments indispensables à la jouissance. Progressivement, après des scènes érotiques écourtées et fades, Cronenberg filme les corps de manière de plus en plus physique, sexuelle, animale. Pour le spectateur, l’érotisme naît de la perversion, qui joue plus un rôle de catalyseur du désir que de répulsif: première mission accomplie pour Cronenberg. Mais il ne s’arrête pas là. Il place en effet au cœur de son récit une scène qui sert de déclencheur à ses personnages: scène ignoble dans laquelle les protagonistes visitent les lieux d’un accident encore récent et observent avec délectation (et sans le moindre scrupule) l’intervention des secours, la souffrance des accidentés et les corps sans vie. La force de Cronenberg est de parvenir à utiliser une des caractéristiques de son cinéma (une distance presque clinique dénuée d'émotion) pour rendre tout juste supportable ce qui devrait être repoussant. Après avoir fait naître une forme de désir, il engendre ici une fascination qui agit contre le bon sens supposé du spectateur. (Signalons au passage des éléments essentiels qui aident Cronenberg à faire naître ce troublant sentiment chez le spectateur: la musique envoûtante de Howard Shore et la présence d’un duo d’acteur à la plastique confinant à la perfection: James Spader et Deborah Kara Unger.)
C’est d’ailleurs avec le couple, aussi froid, beau et pervers que le film, que se clôt Crash. Dans les premières minutes, l'homme et la femme, le corps sublime, s’ébattaient chacun de son côté avec un·e partenaire de passage. Dans le dernier plan, ils sont réunis, les corps meurtris, dans une situation absurde provoquée par eux seuls, mais également dans une proximité génératrice d’une sensualité extrême. Après avoir été subjugué aussi bien par la beauté esthétique de la scène que par le caractère insensé de la situation, le spectateur sera libre de tirer la conclusion qu’il souhaite. Quelle qu’elle soit, elle ne rendra ce film que plus troublant encore.
Peu apprécié par l’auteur de ces lignes au moment de sa sortie, revu presque à contrecœur pour rédiger ce texte, Crash est peut-être finalement l’œuvre la plus troublante et réussie de son réalisateur. Près de 25 ans plus tard, elle n'a pas pris une ride... Bien au contraire.

7 août 2020

★★★★ | Chambre 212

★★★★ | Chambre 212

Réalisation: Christophe Honoré | Dans les salles du Québec le 7 août 2020 (Cinéma du Parc) 
Texte rédigé dans le cadre du festival Cinemania 2019

On aime Christophe Honoré quand il parle d’amour et se laisse aller à une forme de liberté formelle. Avec ce treizième long-métrage, le réalisateur des Chansons d’amour retrouve une de ses actrices fétiches (Chiara Mastroianni) dans ce conte fantaisiste sur le couple, l’infidélité et l’usure du temps. À la manière d’un Resnais des belles années ou encore d’un Woody Allen dans sa période fantaisiste, Chambre 212 est un film aussi amusant que virtuose. Avec cette mise en scène inventive qui nous fait oublier la présence d’un huis clos, c’est peut-être le film le plus réjouissant à ce jour du cinéaste. Un an à peine après le grave Plaire, aimer et courir vite, Honoré a visiblement eu envie de changer de registre et de s’amuser avec le cinéma et ses propres rouages.
On retrouve une forme de poésie légère dans cette façon d’aborder le couple avec ses riens et ses petits tracas. A priori, le sujet peut paraître lourd sur papier, mais le film ne manque pas d'humour et ce chassé-croisé sentimental qui allie de mêmes personnages du passé et du présent réussit son pari d’être à la fois émouvant et lumineux. On y trouve beaucoup de trouvailles visuelles qui l'enrichissent au lieu de lui mettre du plomb dans les ailes. Outre la radieuse Chiara Mastroianni, le reste de la distribution embarque dans cet univers et se laisse porter de manière loufoque et désinvolte.
Au final, ce film déluré et rempli de charme respire la créativité et le plaisir de filmer.
Certainement un des meilleurs films français de l’année.