14 août 2020

★★★★ | Crash

Réalisation: David Cronenberg | Dans les salles du Québec le 14 août 2020 (MK2 | MILE END)
Crash débuterait presque comme un film pornographique esthétisant des années 90, avec une image soignée et des corps parfaits à la peau lisse et belle... mais Cronenberg passe vite à autre chose sans prendre le temps de laisser monter la tension érotique, comme si ces corps parfaits ne pouvaient susciter aucun désir réel. Ensuite, le film et ses personnages s’enfoncent dans une perversion morbide puisque la tôle froissée, les corps meurtris, mais surtout la proximité de la mort deviennent des éléments indispensables à la jouissance. Progressivement, après des scènes érotiques écourtées et fades, Cronenberg filme les corps de manière de plus en plus physique, sexuelle, animale. Pour le spectateur, l’érotisme naît de la perversion, qui joue plus un rôle de catalyseur du désir que de répulsif: première mission accomplie pour Cronenberg. Mais il ne s’arrête pas là. Il place en effet au cœur de son récit une scène qui sert de déclencheur à ses personnages: scène ignoble dans laquelle les protagonistes visitent les lieux d’un accident encore récent et observent avec délectation (et sans le moindre scrupule) l’intervention des secours, la souffrance des accidentés et les corps sans vie. La force de Cronenberg est de parvenir à utiliser une des caractéristiques de son cinéma (une distance presque clinique dénuée d'émotion) pour rendre tout juste supportable ce qui devrait être repoussant. Après avoir fait naître une forme de désir, il engendre ici une fascination qui agit contre le bon sens supposé du spectateur. (Signalons au passage des éléments essentiels qui aident Cronenberg à faire naître ce troublant sentiment chez le spectateur: la musique envoûtante de Howard Shore et la présence d’un duo d’acteur à la plastique confinant à la perfection: James Spader et Deborah Kara Unger.)
C’est d’ailleurs avec le couple, aussi froid, beau et pervers que le film, que se clôt Crash. Dans les premières minutes, l'homme et la femme, le corps sublime, s’ébattaient chacun de son côté avec un·e partenaire de passage. Dans le dernier plan, ils sont réunis, les corps meurtris, dans une situation absurde provoquée par eux seuls, mais également dans une proximité génératrice d’une sensualité extrême. Après avoir été subjugué aussi bien par la beauté esthétique de la scène que par le caractère insensé de la situation, le spectateur sera libre de tirer la conclusion qu’il souhaite. Quelle qu’elle soit, elle ne rendra ce film que plus troublant encore.
Peu apprécié par l’auteur de ces lignes au moment de sa sortie, revu presque à contrecœur pour rédiger ce texte, Crash est peut-être finalement l’œuvre la plus troublante et réussie de son réalisateur. Près de 25 ans plus tard, elle n'a pas pris une ride... Bien au contraire.
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