28 août 2020

Fantasia 2020 | ★★★ | Tezuka's Barbara

Fantasia 2020 | ★★★ | Tezuka's Barbara

Réalisation: Macoto Tezuka
En associant d’emblée la musique très jazzy et nerveuse de Ichiko Hashimoto, la superbe photo nocturne et colorée de Christopher Doyle et ce personnage d’écrivain star totalement désabusé qui se cache derrière ses lunettes noires, Macoto Tezuka (qui adapte ici un manga signé par son père) fait naître rapidement une sensation bizarre. Avant même que le moindre élément narratif ne soit développé, nous pressentons comme une évidence que Barbara sera l’histoire d’un déclin. Ce sentiment est bien évidemment rapidement amplifié par le personnage de Barbara lui-même, jeune femme perdue, alcoolique, amatrice de magie noire, belle, incontrôlable, ne quittant presque jamais son trench déchiré. Cette femme que les autres ne voient jamais, sorte de caricature de femme fatale d’un monde parallèle, annonce le pire. Mais qui est-elle vraiment? Muse fantasmée? Mr Hyde au féminin? une chose est sûre, elle vient ébranler l’assurance de l’écrivain vedette et le confronte à la médiocrité réelle de ses livres à succès!
Le point de départ est passionnant, mais le film ne convainc jamais autant qu’on le souhaiterait. Malgré ses qualités visuelles et sonores, il ne semble jamais rentrer totalement dans son sujet, à savoir les doutes de l’artiste populaires face à un succès qui peut sembler démesuré. Nous aurions aimé voir un peu plus de douleur, être un peu plus déstabilisé par un film moins sage… et surtout un peu moins éloigné des affres de la création et de la souffrance humaine!
Reste toutefois un film visuellement très agréable. C'est déjà pas si mal!

27 août 2020

Fantasia 2020 | ★★★ | Hunted

Fantasia 2020 | ★★★ | Hunted

Réalisation: Vincent Paronnaud

Avec Hunted, Vincent Paronnaud (auteur de BD sous le pseudo Winshluss, mais également coréalisateur de quelques films avec Marjane Satrapi, dont Persepolis) offre au public de Fantasia un film qui aurait probablement beaucoup fait s’exalter l’habituel public très participatif du festival. La Covid permettra donc au moins aux grincheux que nous sommes d’apprécier le film dans l'environnement calme de notre intérieur. (Même si, avouons-le, il aurait aussi mérité d’être vu sur un grand écran en raison de ses qualités visuelles!)
Certes, le point de départ est sans surprise: un homme séduit une femme, ils passent à la vitesse supérieure mais l’homme est plus inquiétant que prévu, la femme s’enfuit et la chasse commence. Mais ici, au-delà des qualités requises par le genre survival pour que le film soit réussi, on retrouve certains éléments particulièrement intéressants. Non seulement Vincent Paronnaud parvient à conférer à son film une dimension sociétale grâce aux différents portraits qu’il dresse avec justesse, mais en plus, il donne à Hunted une dimension toute particulière en inversant certains thèmes de conte de fées. Le grand méchant loup n’est en effet pas le loup, mais l’homme. D’ailleurs, les humains qui cherchent à aider la femme en détresse n’y parviennent pas et le salut viendra de la bête. Cette spécificité permet à Paronnaud de sortir des codes du genre de manière cohérente en faisant jouer à la nature un rôle protecteur. En découleront quelques scènes de forêt nocturnes, à la limite de l’onirisme ou du surnaturel, visuellement très convaincantes.
Efficace, mais pas uniquement, Hunted est donc une belle petite surprise de la part de Paronnaud... Vivement son prochain film en solo!
★★★½ | Tenet

★★★½ | Tenet

Réalisation: Christopher Nolan
Ça y est, Tenet, le film le plus attendu de 2020, censé sauver le septième art des effets de la pandémie, a pris l'affiche. À quoi ressemble la bête?
À une œuvre malade et complètement cinglée, comme si Christopher Nolan avait voulu parodier sa filmographie entière, et Inception en particulier. D'un concept d'inversion du temps qui n'est pas sans rappeler celui de Terminator et de Minority Report, le cinéaste s'est amusé à tout complexifier à outrance… ou à donner l'impression de rendre abscons ce qui est simple. Il a finalement réalisé sa version de James Bond et de Mission: Impossible en respectant ses conventions et ses clichés, développant une intrigue rocambolesque en la remplissant, volontairement ou pas, de ses propres tics. On ne compte plus les scènes bavardes de marches dans la ville où un personnage explique à notre héros ce qui se passe et ce qu'il doit faire. Comme toujours c'est lourd, sans subtilité, l'émotion s'avère inexistante, le rôle de la femme en enragera plus d'un et les personnages monolithiques déambulent sur l'échiquier comme des simples pions: leurs interprètes paraissant bien éteints (John David Washington a déjà paru plus expressif, Robert Pattinson ressemble de plus en plus à une version angélique de Klaus Kinski, Kenneth Branagh se prend pour Herzog, Elizabeth Debicki est la seule à oser l'humanité, etc.).
On imagine déjà le cinéphile vouloir revoir encore et encore ce casse-tête soi-disant cérébral, pour en extraire une thèse de philo métaphysique afin de rendre limpide les tenants et aboutissants. C'est pourtant le contraire qu'il faut faire. L'histoire est tellement tarabiscotée, construite à la façon d'un palindrome (le titre du film, Tenet, se lit d'ailleurs dans les deux sens), qu'il faut seulement se jeter dans le vide et goûter le cinéma avec un grand C, débarrassé de sa logique scénaristique (un récit doit aller du point A au point B) ou celle, tout aussi chimérique, que c'est la «psychologie des personnages» qui fait toute la différence. Il n'y a pas de ça ici, mais plutôt des scènes d'action à couper le souffle (mais un poil moins spectaculaires que ce qui se retrouvait dans Dunkirk et les Batman), une succession de séquences (re)présentées à reculons, une musique omniprésente de Ludwig Göransson (encore là, tout en hommage à celles de Hans Zimmer), une photographie éblouissante de Hoyte van Hoytema et un montage renversant de Jennifer Lame. Et c'est déjà beaucoup. La technique viscérale est si puissante qu'on ne peut qu'adhérer à la proposition. On ne parle plus d'un film, mais d'un objet de cinéma, une expérience comme il s'en fait peu, à vivre sur grand écran et dans une salle IMAX si possible.
Comme Inception avant lui, Tenet n'est pas tant un suspense d'espionnage qu'une oeuvre sur le cinéma. L'opus grandiloquent d'un génie conscient de son talent, d'un prestidigitateur qui se plait à manipuler son public afin de rappeler le pouvoir infini de son médium. Peu importe le titre du projet, c'est Christopher Nolan qui en est la vedette, le Protagoniste, pour le meilleur comme pour le pire. Celui-là même qui est parvenu depuis plus d'une décennie à faire rimer film populaire avec film d'auteur. Est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre que lui, à Hollywood ou ailleurs, capable d'obtenir un budget de 200 millions de dollars et de n'en faire qu'à sa tête, au sein d'une superproduction qui n'est ni une suite, ni un remake, ni une variation sur fond de super-héros? Le tout en proposant une trame narrative nébuleuse qui ne ressemble à rien d'autre et qui s'écarte constamment des chemins formatés afin d'explorer encore et encore? Le résultat, à la fois fascinant et royalement dingue, risible et foudroyant de virtuosité visuelle, divertit allègrement et fait rire haut la main… surtout si l'on ne prend pas tout au pied de la lettre. C'est là qu'on découvre, entre maints clins d'œil — de North by Northwest à Casablanca — qu'il ne s'agit, en fin de compte, que d'un simple remake de Memento, sans doute le meilleur film en carrière de son metteur en scène.
Difficile à dire si Tenet sauvegardera le cinéma. Mais entre ce type de production ambitieuse, imparfaite mais qui ose plein de choses en rappelant l'essence même de son art, et de simples téléfilms qui sortent chaque semaine sur Netflix et compagnie en donnant toujours tout cuit dans le bec à son public cible (sauf exception, évidemment), Nolan aura toujours préséance, même si l'on trouve — à raison — son style pompeux et prétentieux. D’autant plus qu'on pourra voir, dans ce cas-ci, comment il tente déjà de remonter le temps de la pandémie en dotant ses héros de masques et d'une mission de secourir la planète…

25 août 2020

Fantasia 2020 | ★★★¼ | Labyrinth of Cinema (海辺の映画館 キネマの玉手箱)

Fantasia 2020 | ★★★¼ | Labyrinth of Cinema (海辺の映画館 キネマの玉手箱)

Réalisation: Nobuhiko Obayashi
Parmi les films que ne nous voulions manquer sous aucun prétexte dans le cadre de ce Fantasia 2020 figure incontestablement le dernier film de Nobuhiko Obayashi, mort en avril dernier à l’âge de 82 ans.
Avec cet ultime film, le cinéaste suit trois jeunes hommes qui assistent à une projection dans un vieux cinéma. Ils se retrouvent littéralement projetés dans des films anciens et permettent ainsi aux spectateurs que nous sommes de les accompagner dans un voyage aussi bien dans l’histoire du cinéma japonais que dans celle du Japon (en parcourant plus précisément l’époque féodale, la guerre sino-japonaise et la seconde guerre mondiale, avec Hiroshima en point d’orgue) et de croiser entre autres des figures comme Miyamoto Musashi ou Yasujirō Ozu.
Pourtant réalisé par un vétéran, le film semble au début signé par un adolescent amateur de pop culture qui revisite avec insolence ses classiques. Les longues premières minutes, relativement poussives, glissent progressivement vers plus de maîtrise et de gravité, tout en conservant une fantaisie toujours omniprésente mais de mieux en mieux dosée... Au fur et à mesure qu’il progresse, ce film testament (pour une fois, l’expression n’est pas galvaudée) devient de plus en plus touchant et permet à Nobuhiko Obayashi de rendre un dernier hommage à son cinéma national tout un livrant un ultime message anti-guerre et en nous rappelant par ses excès stylistiques qu’il n’est jamais trop tard pour en faire toujours un peu trop!

21 août 2020

L'angle mort | Entrevue avec Pierre Trividic et Patrick-Mario Bernard

L'angle mort | Entrevue avec Pierre Trividic et Patrick-Mario Bernard

Pierre Trividic et Patrick-Mario Bernard (photo: FunFilm distribution) | Film dans les salles du Québec le 21 août 2020
Les films de Pierre Trividic et Patrick-Mario Bernard (L'autre, Dancing) sont aussi rares qu'essentiels. Travaillant depuis plus d'une décennie à partir d'une idée originale de l'écrivain Emmanuel Carrère, le duo français vient d'ajouter avec L'angle mort un long métrage unique à la longue liste des récits sur «l'homme invisible». En début d'année, nous, nous sommes entretenus avec les cinéastes dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français à Paris… 

Qu'est-ce qui vous attirait dans ce projet ?
Patrick-Mario Bernard: On s'intéresse à la question du visible et donc de l'invisible depuis assez longtemps. Le premier film qu'on a fait ensemble il y a 20 ans était un documentaire fictionnel sur Lovecraft où la question du visible était omniprésente… On a l'impression d'être resté dans la même maison avec l'homme invisible, où l'on aborde la crise du visible. Qu'est-ce qu'on voit quand on est invisible ? Qu'est-ce qu'on regarde ?

C'est un film sur la condition humaine. Tout semble déréglé dans cette société anxiogène. On est à deux doigts de verser dans l'apocalypse, il y a une hausse des suicides, un mal-être généralisé. Et comme remède à la peur, des gens arrivent à devenir invisibles…
Pierre Trividic: Il n'est pas impossible, si on admet que cette invisibilité existe et qu'elle a été laissée de côté par l'évolution au cours des millénaires, que c'était sans doute un mécanisme de défense. L'espèce humaine était capable, autrefois, en cas de danger, de disparaître. Mais parce que le danger a diminué ou plutôt qu'il a changé de nature, ce don a dû disparaître en nous. Mais il reste encore quelques dépositaires du don en question qui disparaissent de leurs ennemis, comme le font beaucoup d'animaux.

À une époque où les films de super-héros sont si populaires, à peu près n'importe qui aurait traité l'invisibilité par le cinéma de genre… mais pas vous. Votre fantastique est plus sensuel, humain et terre à terre, un peu comme si Claire Denis avait travaillé à partir d'un scénario de M. Night Shyamalan…
PMB: On aime beaucoup le fantastique, mais ce qui nous intéresse, c'est le fantastique destiné à un public adulte et pas à un public adolescent. Ça contrebalance tous les poncifs et toute la question de la rentabilité des dons:  si on est invisible, il faut absolument faire quelque chose de ce don, comme sauver des gens. Notre personnage principal est très encombré par ce don qui fait obstacle à sa propre vie.
PT: Mais il y a aussi une affaire de folklore, d'identité culturelle là-dedans. Sans doute que l'Europe a depuis longtemps perdu de vue le projet de sauver le monde et que ce projet, pour le meilleur et pour le pire, reste encore assez vivant en Amérique du Nord. Ça, c'est une différence. Mais il n'y a pas que des différences. Le film est extrêmement conforme aux codes du fantastique, mais un fantastique européen plus que nord-américain ou états-unien, plutôt.

Pour plusieurs personnes, ce don serait un pouvoir. Mais pour le héros, il s'agit d'un fardeau. L'invisibilité est synonyme de solitude. Il a absolument besoin d'être vu et touché pour exister réellement…
PMB: C'est exactement ça. C'est vraiment l'expérimentation de la solitude la plus solitaire…
PT: ... et on n'existe qu'à plusieurs. Il en va de même d'une certaine manière pour tous les dons. Si on est bon dans quelque chose, on est parfois mis à l'écart et on a moins de liens avec les gens.

Voyez-vous dans ce film un discours post-colonialiste, lié soit aux pays africains, soit à la présence visible ou invisible des minorités dans la société ? Le personnage principal (interprété par Jean-Christophe Folly) est noir, son histoire familiale s'avère trouble, le père est absent, la mère finit par mourir, le protagoniste perdu erre et il a peur de l'engagement…
PMB: Non, pas du tout. Mais la question du comédien noir est importante pour nous. C'est un personnage, ce n'est pas une métaphore. 
PT: S'il y a un geste politique dans le film, c'est la décision de faire du personnage principal un noir. Mais c'est la seule et elle se limite à elle-même. Évidemment, il y a peu de personnages principaux noirs dans les films en France, et encore moins de personnages noirs qui jouent autre chose qu'un rôle de noir… Le film est traversé par toutes sortes de questions. Elles sont en suspension dans l'atmosphère, elles ne sont pas thématisées en fait. Elles sont sûrement présentes, parce qu'on ne peut pas faire autrement.
PMB: J'aimerais rajouter que le film est très autobiographique. Ce sont nos autobiographies mixées. Il y a plein de choses en commun, des choses de nos familles, de nos vies, de ce qu'on traverse, des questions qu'on se pose. C'est toujours un peu comme ça, mais j'ai l'impression que L'angle mort est le plus proche de ce que nous sommes.

Que pensez-vous de la figure de l'aveugle, incarnée par Golshifteh Farahani ? Souvent ce type de personnage sauve le héros, le rattache au monde. Mais ici c'est beaucoup plus compliqué…
PMB: Exactement. Elle fonctionne comme une illusion. Quelque chose de miraculeux a l'air de se produire au moment où elle le regarde. C'est assez explosif, très jouissif, très puissant. Il est enfin vu. Mais en même temps, il force une sorte de vérité qu'il aimerait bien voir exister.
PT: Mais qui n'a pas commis cette erreur-là ? Qui n'a pas, dans une histoire d'amour, attendu de l'autre qu'il vous dise qui vous êtes ? Mais ce n'est sans doute pas la bonne façon de prendre l'amour.

Que vouliez-vous essayer par votre mise en scène ? L'œuvre nocturne appelle les couleurs brunâtres, le rythme langoureux du temps qui passe, l'atmosphère feutrée, l'ambiance intrigante. Il y a un jeu sur la peau, les textures, la nudité… 
PT: Une des difficultés du fantastique, c'est le ton et le climat. C'est comment tenir un discours fantastique dans une dimension réaliste, parce qu'il n'y a pas de fantastique sans réalisme. Comment tenir ce ton-là d'un bout à l'autre sans couac ? C'est ça la difficulté.
PMB: Le format 1,33:1, 4/3, marquait pour nous une appartenance au genre, mais un peu à l'ancienne, façon La quatrième dimension. Il y a quelque chose de ça qui était vraiment lié directement à la question de la présence du centrage et du côté photographique de ce qu'on voulait faire passer. Que d'emblée, la réalité — ce qu'on a essayé d'être au plus proche d'une forme de réel — soit confinée comme à l'intérieur d'un objet, d'un instrument d'optique. Comme si on regardait à l'intérieur de quelque chose.

Entrevue réalisée par Martin Gignac, à Paris, en janvier 2020.

20 août 2020

Fantasia 2020 | ★½ | Chasing Dream (我的拳王男友)

Fantasia 2020 | ★½ | Chasing Dream (我的拳王男友)

Réalisation: Johnnie To
Johnnie To est prolifique, nous a offert plusieurs très bons films (dont Three, le dernier en date, projeté à Fantasia il y a 4 ans)… mais aussi des beaucoup moins bons. Son dernier Chasing Dream fait malheureusement partie de cette dernière catégorie.
Piètre comédie romantico-mélodramatique, le film fait le grand écart entre le film de boxe (avec certaines scènes plutôt efficaces) et le film de concours de chant télévisuel (considérons ça comme un sous-genre) saupoudré de pop asiatique sirupeuse (mais comportant aussi, avouons-le, quelques bonnes idées).
Les rares aspects positifs du film ne suffisent pas à nous faire oublier une déferlante de guimauveries qui collent aux doigts (de surcroît vues ailleurs à de nombreuses reprises, et souvent en mieux) et de petites touches d’humour pas drôle du tout.
Johnnie To étant le plus gros nom de cette programmation de Fantasia 2020 100% virtuelle, la déception est donc évidente... mais le festival débute aujourd’hui! Alors, on espère voir très bientôt quelques petites trouvailles dont les programmateurs du festival ont le secret!