2 septembre 2020

Fantasia 2020 | ★★ | Survival Skills

Fantasia 2020 | ★★ | Survival Skills

Réalisation : Quinn Armstrong
Survival Skills débute comme un vidéo de formation sur le métier de policier tout droit sorti des années 80. D’emblée, la qualité visuelle (de type VHS) ainsi que l’implacabilité du narrateur (interprété avec brio par Stacey Keach) donnent le ton. À travers une série de mise en situation où est placée une jeune recrue du corps policier (Vayu O’Donnell), les procédures du département sont passées au peigne fin. Passionné par son métier et ce qu’il représente pour sa communauté, le jeune policier zélé est désireux de respecter les consignes à la lettre.
C’est lors d’un appel pour violence conjugale que la vision du cadet bascule. À partir d’un personnage assez candide, le réalisateur déconstruit le mythe de la loi et l’ordre. Au sein même du corps policier, le novice rencontrera plusieurs obstacles, notamment de la part de ses collègues et du narrateur (mécontent de ses faiblesses). La remise en question du rôle de policier et l’application du pouvoir lié à la fonction provoquent un changement du dispositif narratif. Le tout ne se fait pas sans heurt. On passe d’un vidéo de formation à la fiction, puis au documentaire en effectuant de constant va et viens.
En quête d’humanisation du personnage principal (un bon policier en phase avec ses émotions), le film ne parvient pas à convaincre. Le système qui encadre le corps policier est à revoir, le blâme ne revient pas nécessairement aux agents qui font de leur mieux. À ce raisonnement, on peut ajouter un narrateur prenant conscience sous nos yeux de son rôle en révélant ce qu’on sait déjà depuis le début. Tout ceci n’est que mise en scène. Rien n’est vrai. C’est à travers la recherche d’un propos nuancé sur le métier de policier, peut-être liée à son manque d’une prise de position, que Survival Skills se transforme en un rendez-vous manqué.

30 août 2020

Fantasia 2020 | ★★½ | The Columnist (De kuthoer)

Fantasia 2020 | ★★½ | The Columnist (De kuthoer)

Réalisation : Ivo Van Aart
The Columnist propose une incursion sur les répercussions liées aux dérapages qui surviennent sur les réseaux sociaux. Dans le film, l’auteure d’une chronique dans un blogue reçoit de virulentes critiques, aussi bien en commentaire de son article que sur compte personnel Twitter. Ces messages sont à la fois choquants et perturbants. Malheureusement, cette humiliation sur la place publique nous ramène à notre quotidien. Combien de fois avons pu lire des messages dégradants et gratuits sur les réseaux sociaux.
La phrase que répète l’auteure tout au long du film est quelque peu simpliste : « Nous pouvons avoir des opinions différentes tout en restants gentils. » Simpliste, mais vraie. Au lieu de sombrer dans la dépression (ou pour éviter d’y sombrer), elle décide de prendre les choses en mains et d’aller à la rencontre de ses détracteurs. Les conséquences seront tragiques.
À la recherche du tragi-comique, le film ne réussit pas totalement à trouver le ton juste. Il semble hésiter entre la comédie appuyée (aussi bien dans la direction d'acteurs que dans les autres choix artistiques, notamment au niveau de la musique, beaucoup trop ludique) et l’aspect un peu plus gore. Tout comme le personnage principal, on ne sait jamais si on doit en rire ou en pleurer… Mais c’est peut-être justement cette impression de malaise que le réalisateur souhaite transmettre au spectateur.
The Columnist met en scène une femme qui choisit de riposter (de manière très violente) contre les attaques qu’elle a subies. Pour elle, les mots virulents et cruels écrits par d’autres ont un effet dévastateur. Malgré ses défauts, le film permet une réflexion pertinente sur une femme dont la vie gravite autour de l’écriture et qui sait à quel point chaque mot est important.
Au final, la parole ne pourra pas la sauver.
Fantasia 2020 | ★★★ | My Punch-Drunk Boxer (판소리 복서)

Fantasia 2020 | ★★★ | My Punch-Drunk Boxer (판소리 복서)

Réalisation: Jung Hyuk-ki
Un jeune homme introverti et passionné par la boxe décide qu’à 29 ans, il est grand temps de se consacrer à sa passion. Avec l’aide d’un entraîneur (qui est plus ou moins motivé à l’entraîner) et d’une jeune femme qui partage son intérêt (en plus de jouer du tambour), il partira à la conquête du monde de la boxe.
Construit comme de nombreux films baignant dans un univers sportif, le personnage principal (un perdant déterminé) devra tracer sa voie vers le chemin de la victoire. Cette histoire de persévérance est déjà vue, et on la reverra certainement dans d’autres films, mais le film de Jung Hyuk-ki se démarque par ses choix de mise en scène, son utilisation de la musique (notamment avec des chansons humoristiques qui narrent certains moments où états émotifs du personnage principal), le rythme soutenu (structuré comme une pièce musicale) ainsi que le scénario habilement ficelé.
My Punch-Drunk Boxer est une comédie rafraîchissante aux dialogues savoureux livrés par des comédiens hors pair. La qualité du scénario est indéniable sans toutefois offrir de rebondissement ou surprise majeure. Le réalisateur réussit ainsi un tour de force en offrant à son public une résolution prévisible qui ne nuit en rien à une œuvre nuancée et d’une grande sensibilité.

28 août 2020

Fantasia 2020 | ★★★ | Tezuka's Barbara

Fantasia 2020 | ★★★ | Tezuka's Barbara

Réalisation: Macoto Tezuka
En associant d’emblée la musique très jazzy et nerveuse de Ichiko Hashimoto, la superbe photo nocturne et colorée de Christopher Doyle et ce personnage d’écrivain star totalement désabusé qui se cache derrière ses lunettes noires, Macoto Tezuka (qui adapte ici un manga signé par son père) fait naître rapidement une sensation bizarre. Avant même que le moindre élément narratif ne soit développé, nous pressentons comme une évidence que Barbara sera l’histoire d’un déclin. Ce sentiment est bien évidemment rapidement amplifié par le personnage de Barbara lui-même, jeune femme perdue, alcoolique, amatrice de magie noire, belle, incontrôlable, ne quittant presque jamais son trench déchiré. Cette femme que les autres ne voient jamais, sorte de caricature de femme fatale d’un monde parallèle, annonce le pire. Mais qui est-elle vraiment? Muse fantasmée? Mr Hyde au féminin? une chose est sûre, elle vient ébranler l’assurance de l’écrivain vedette et le confronte à la médiocrité réelle de ses livres à succès!
Le point de départ est passionnant, mais le film ne convainc jamais autant qu’on le souhaiterait. Malgré ses qualités visuelles et sonores, il ne semble jamais rentrer totalement dans son sujet, à savoir les doutes de l’artiste populaires face à un succès qui peut sembler démesuré. Nous aurions aimé voir un peu plus de douleur, être un peu plus déstabilisé par un film moins sage… et surtout un peu moins éloigné des affres de la création et de la souffrance humaine!
Reste toutefois un film visuellement très agréable. C'est déjà pas si mal!

27 août 2020

Fantasia 2020 | ★★★ | Hunted

Fantasia 2020 | ★★★ | Hunted

Réalisation: Vincent Paronnaud

Avec Hunted, Vincent Paronnaud (auteur de BD sous le pseudo Winshluss, mais également coréalisateur de quelques films avec Marjane Satrapi, dont Persepolis) offre au public de Fantasia un film qui aurait probablement beaucoup fait s’exalter l’habituel public très participatif du festival. La Covid permettra donc au moins aux grincheux que nous sommes d’apprécier le film dans l'environnement calme de notre intérieur. (Même si, avouons-le, il aurait aussi mérité d’être vu sur un grand écran en raison de ses qualités visuelles!)
Certes, le point de départ est sans surprise: un homme séduit une femme, ils passent à la vitesse supérieure mais l’homme est plus inquiétant que prévu, la femme s’enfuit et la chasse commence. Mais ici, au-delà des qualités requises par le genre survival pour que le film soit réussi, on retrouve certains éléments particulièrement intéressants. Non seulement Vincent Paronnaud parvient à conférer à son film une dimension sociétale grâce aux différents portraits qu’il dresse avec justesse, mais en plus, il donne à Hunted une dimension toute particulière en inversant certains thèmes de conte de fées. Le grand méchant loup n’est en effet pas le loup, mais l’homme. D’ailleurs, les humains qui cherchent à aider la femme en détresse n’y parviennent pas et le salut viendra de la bête. Cette spécificité permet à Paronnaud de sortir des codes du genre de manière cohérente en faisant jouer à la nature un rôle protecteur. En découleront quelques scènes de forêt nocturnes, à la limite de l’onirisme ou du surnaturel, visuellement très convaincantes.
Efficace, mais pas uniquement, Hunted est donc une belle petite surprise de la part de Paronnaud... Vivement son prochain film en solo!
★★★½ | Tenet

★★★½ | Tenet

Réalisation: Christopher Nolan
Ça y est, Tenet, le film le plus attendu de 2020, censé sauver le septième art des effets de la pandémie, a pris l'affiche. À quoi ressemble la bête?
À une œuvre malade et complètement cinglée, comme si Christopher Nolan avait voulu parodier sa filmographie entière, et Inception en particulier. D'un concept d'inversion du temps qui n'est pas sans rappeler celui de Terminator et de Minority Report, le cinéaste s'est amusé à tout complexifier à outrance… ou à donner l'impression de rendre abscons ce qui est simple. Il a finalement réalisé sa version de James Bond et de Mission: Impossible en respectant ses conventions et ses clichés, développant une intrigue rocambolesque en la remplissant, volontairement ou pas, de ses propres tics. On ne compte plus les scènes bavardes de marches dans la ville où un personnage explique à notre héros ce qui se passe et ce qu'il doit faire. Comme toujours c'est lourd, sans subtilité, l'émotion s'avère inexistante, le rôle de la femme en enragera plus d'un et les personnages monolithiques déambulent sur l'échiquier comme des simples pions: leurs interprètes paraissant bien éteints (John David Washington a déjà paru plus expressif, Robert Pattinson ressemble de plus en plus à une version angélique de Klaus Kinski, Kenneth Branagh se prend pour Herzog, Elizabeth Debicki est la seule à oser l'humanité, etc.).
On imagine déjà le cinéphile vouloir revoir encore et encore ce casse-tête soi-disant cérébral, pour en extraire une thèse de philo métaphysique afin de rendre limpide les tenants et aboutissants. C'est pourtant le contraire qu'il faut faire. L'histoire est tellement tarabiscotée, construite à la façon d'un palindrome (le titre du film, Tenet, se lit d'ailleurs dans les deux sens), qu'il faut seulement se jeter dans le vide et goûter le cinéma avec un grand C, débarrassé de sa logique scénaristique (un récit doit aller du point A au point B) ou celle, tout aussi chimérique, que c'est la «psychologie des personnages» qui fait toute la différence. Il n'y a pas de ça ici, mais plutôt des scènes d'action à couper le souffle (mais un poil moins spectaculaires que ce qui se retrouvait dans Dunkirk et les Batman), une succession de séquences (re)présentées à reculons, une musique omniprésente de Ludwig Göransson (encore là, tout en hommage à celles de Hans Zimmer), une photographie éblouissante de Hoyte van Hoytema et un montage renversant de Jennifer Lame. Et c'est déjà beaucoup. La technique viscérale est si puissante qu'on ne peut qu'adhérer à la proposition. On ne parle plus d'un film, mais d'un objet de cinéma, une expérience comme il s'en fait peu, à vivre sur grand écran et dans une salle IMAX si possible.
Comme Inception avant lui, Tenet n'est pas tant un suspense d'espionnage qu'une oeuvre sur le cinéma. L'opus grandiloquent d'un génie conscient de son talent, d'un prestidigitateur qui se plait à manipuler son public afin de rappeler le pouvoir infini de son médium. Peu importe le titre du projet, c'est Christopher Nolan qui en est la vedette, le Protagoniste, pour le meilleur comme pour le pire. Celui-là même qui est parvenu depuis plus d'une décennie à faire rimer film populaire avec film d'auteur. Est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre que lui, à Hollywood ou ailleurs, capable d'obtenir un budget de 200 millions de dollars et de n'en faire qu'à sa tête, au sein d'une superproduction qui n'est ni une suite, ni un remake, ni une variation sur fond de super-héros? Le tout en proposant une trame narrative nébuleuse qui ne ressemble à rien d'autre et qui s'écarte constamment des chemins formatés afin d'explorer encore et encore? Le résultat, à la fois fascinant et royalement dingue, risible et foudroyant de virtuosité visuelle, divertit allègrement et fait rire haut la main… surtout si l'on ne prend pas tout au pied de la lettre. C'est là qu'on découvre, entre maints clins d'œil — de North by Northwest à Casablanca — qu'il ne s'agit, en fin de compte, que d'un simple remake de Memento, sans doute le meilleur film en carrière de son metteur en scène.
Difficile à dire si Tenet sauvegardera le cinéma. Mais entre ce type de production ambitieuse, imparfaite mais qui ose plein de choses en rappelant l'essence même de son art, et de simples téléfilms qui sortent chaque semaine sur Netflix et compagnie en donnant toujours tout cuit dans le bec à son public cible (sauf exception, évidemment), Nolan aura toujours préséance, même si l'on trouve — à raison — son style pompeux et prétentieux. D’autant plus qu'on pourra voir, dans ce cas-ci, comment il tente déjà de remonter le temps de la pandémie en dotant ses héros de masques et d'une mission de secourir la planète…