4 mars 2023

★★★ | Retour à Séoul

★★★ | Retour à Séoul

Réailisation: Davy Chou | Dans les salles du Québec le 3 mars 2023 (Métropole Films)
Pour son deuxième long métrage, Davy Chou choisit d’accompagner Freddie en Corée, le pays où elle est née il y a 25 ans, avant son adoption par une famille française.
D’emblée, la force de caractère du personnage et de son interprète Park Ji-min (parfaite) marquent les esprits. Déterminée, libre, volontaire, la jeune femme décide d’aller à la recherche de ses origines, c’est-à-dire de ses parents biologiques. De son côté, le réalisateur choisit de ne pas faire de cette quête le point central de son film, qui ressemble avant tout à un portrait d'une femme libre profitant de ce voyage impromptu pour devenir adulte. Cela permet probablement au cinéaste d’éviter certains excès mélodramatiques ou facilités psychologiques. Un autre choix intéressant consiste à ne pas avoir choisi une héroïne moralement irréprochable ou suscitant l'empathie. En effet, en plus de ses qualités évoquées plus haut, Freddie est également égoïste, n’a pas peur de blesser (que ce soit un amant de passage ou sa mère adoptive) et choisit une carrière professionnelle qui n’a rien pour la rendre sympathique. C’est donc en montrant sa soif de vivre pour elle et rien que pour elle, sans penser aux autres, que Davy Chou fait ressentir la souffrance de l’abandon et du déracinement.
Le traitement par ellipses du sujet ne rend-il pas cependant le constat un peu simpliste ? Nous sommes en droit de nous poser la question. Mais au-delà de cette interrogation, qui est pour nous la grande faiblesse du film, une chose est certaine : le talent du cinéaste est immense pour filmer le désir de vivre, la jeunesse, les fêtes, la nuit ou les instants de liberté ! De plus, Park Ji-min, totalement inconnue jusqu'alors, est une formidable révélation. Malgré nos réserves, ces arguments nous suffisent pour conseiller le visionnement de ce Retour à Séoul.

24 février 2023

★★★★ | Alcarràs

★★★★ | Alcarràs

Réalisation: Carla Simón | Dans les salles du Québec le 24 février 2023 (Cinéma du Parc)
Auréolé d’Ours d’or au Festival de Berlin, Alcarràs impressionne par sa délicatesse et sa simplicité apparente pour dépeindre une multitude de choses, aussi bien petites que grandes.
Dès le départ, la cinéaste Carla Simón nous met en contact d'enfants jouant dans les environs d’une maison familiale qui a tout d'un terrain de jeu enchanteur. Mais très vite, nous comprenons que le lieu est celui d'un drame à venir. Les terres qui permettent à la famille de vivre de la récolte fruitière vont en effet tomber dans les mains d’un nouveau propriétaire qui projette de transformer les lieux en parc de panneaux solaires. Au lieu de traiter le drame social de plein fouet, la cinéaste le traite par la bande, en se focalisant sur les membres de la famille. Elle les observe, les écoute, leur donne de l’espace pour s’exprimer, est attentive leurs petits instants de joie aussi bien qu’à leurs colères ou leurs tensions.
Grâce à cette mise en scène attentive qui parvient à donner vie de manière magistrale à de nombreux personnages de tous âges, mais également grâce à un scénario très intelligent, qui évolue lentement, par petites infos distillées avec justesse, la magie opère. Carla Simon, sans insister sur aucun enjeu, en laissant tout simplement vivre ses personnages, finit par parler de famille, de secteur agricole et d’énergie propre, d'illusions, de solidarité, de tensions, de l’irrémédiable ascension des puissants, mais également du vrai bonheur et de bien d'autres choses encore…
Alors qu'elle avait le point de départ pour faire un film de combat, elle semble préférer parler de la vie, tout simplement. (C’est peut-être un peu la même chose… mais si tout est question de point de vue, on préfère celui qu’elle prend!)

17 février 2023

★★★½ | Un beau matin

★★★½ | Un beau matin

Réalisatrice: Mia Hansen-Løve | Dans les salles du Québec le 17 février 2023 (Métropole Films)
Dans son quotidien, Sandra s’efface pour laisser la place aux autres. Mère monoparentale, elle gagne sa vie en tant que traductrice-interprète et utilise le temps qui lui reste à s’occuper de son père atteint d’une maladie neurodégénérative. Lorsqu’elle entame une relation avec un homme marié — vieille connaissance revue par hasard — elle se permet un seul ilot de désirs personnels. Si Mia Hansen-Løve est une cinéaste de la vie intérieure, Sandra en est alors une figure aussi simple qu’emblématique, elle qui semble a priori n’exister que pour rendre service aux autres. La réalisatrice est à ses aises avec Un Beau Matin.
À la manière du personnage, le récit alterne entre l’intime — lorsque Sandra se permet d’être vraiment elle-même — et les apparences qu’elle garde en public. Hansen-Løve jongle habilement entre les deux registres de son personnage et esquisse d’elle un portrait tranquille. Ainsi, les façons dont les deux existences de Sandra s’influencent apparaissent dans des soubresauts émotionnels subtils mais habilement observés par la cinéaste. La figure étant effacée, une grande partie de la réussite d’Un Beau Matin tient aussi à la performance de Léa Seydoux qui réussit à transmettre l’intériorité d’un personnage qui vit silencieusement les aléas de sa vie.
Alors que le récit avance, les tristesses et les petits bonheurs de la vie de Sandra s’amplifient pour devenir des événements majeurs : la dégénérescence de son père annonce sa mort prochaine, une relation débutée par hasard doit se solder par une séparation, à chaque geste de vie s’associe des défaites. Mia Hansen-Løve garde sa touche légère malgré tout : les drames de Sandra sont aussi normaux que profondément humain. Alors que, dans sa figure de briseuse de couple, le personnage peut inspirer le mépris, la réalisatrice cherche l’empathie, soulignant la valeur de l’affection et du contact humain où que l’on puisse le trouver.

16 février 2023

Entrevue avec Mia Hansen-Løve (Un beau matin)

Entrevue avec Mia Hansen-Løve (Un beau matin)

Mia Hansen-Love par Judicaël Perrin
Parmi les meilleurs films français de la dernière année se trouve assurément Un beau matin de Mia Hansen-Løve. Le long métrage suit les tribulations d’une jeune mère monoparentale (Léa Seydoux) frappée par la mort prochaine de son père malade (Pascal Greggory) et des balbutiements d’une passion amoureuse avec un ami perdu de vue (Melvil Poupaud). Une œuvre lumineuse et déchirante à classer au sommet de la filmographie de sa cinéaste (Bergman Island, Tout est pardonné), que l’on a rencontrée plus tôt cette année…

C’est un film sur la vie, la mort, la jeunesse, la vieillesse… bref, sur plein de choses à la fois.
Oui, tout à fait ! Je voulais traiter à la fois du deuil et de la renaissance. Puis montrer de quelles façons ces deux mouvements contraires peuvent dialoguer. Quand on vit un deuil, qui est quelque chose de très douloureux de voir un être qu’on aime sombrer dans la maladie, on a le besoin en même temps de vivre autre chose, de s’échapper, de se sentir vivant. C’est de cette contradiction-là que je voulais parler.

C’est intéressant votre façon d’utiliser la parole et les silences, de les combiner de façon poétique…
Je crois que tous mes films travaillent sur un équilibre, une dialectique, un dialogue entre le silence et la parole. On m’a souvent associé au cinéma de Rohmer que j’admire énormément. Mais c’est très différent, presque opposé, parce que le cinéma de Rohmer fonctionne vraiment à travers le langage, il avance à travers la parole. Au contraire, mon cinéma repose sur un va-et-vient. La parole a beaucoup d’importance et j’ai toujours aimé la filmer. Je trouve ça beau au cinéma de voir le visage de quelqu’un qui parle. La scène peut parler tout à fait d’autres choses que ce qui est dit. Dans mes films, il y a très peu de scènes où les gens se disent des choses vraiment importantes. En revanche, j’aime aussi énormément filmer le silence, surtout quand les gens marchent, qu’ils sont dans un bus ou un métro. Ce que j’aime, c’est la façon de circuler de l’un à l’autre.

Il s’agit d’un long métrage sur la mémoire. Il y a ce père amoureux des mots qui commence à oublier et sa fille dont le corps engourdi renaît et s’enflamme en redécouvrant l’amour.
C’est vrai que la question de la perte de la mémoire est au cœur du film. C’est une expérience que j’ai faite avec la maladie neurodégénérative de mon père qui lui a fait perdre la parole et la mémoire. C’est très douloureux de voir quelqu’un qui a donné tellement de sa vie aux mots, à la pensée, à la clarté de la parole et de perdre justement ces moyens à l’endroit qui était si important pour lui. Alors que le personnage de la fille se sent revivre à travers la redécouverte de son corps. Face à la perte et à la douleur de son père, elle a le besoin de se sentir en vie. Ça passe par le corps et la joie de redécouvrir sa propre sensualité, sa propre sexualité.

Ce personnage féminin est à ajouter à ceux de vos œuvres précédentes qui cherchent et trouvent leur place, qui ont un contrôle sur leur destinée. Pensons seulement à Isabelle Huppert dans L’avenir
Oui. C’est un thème qui m’accompagne depuis longtemps. À cet effet, le texte Une chambre à soi de Virginia Woolf m’a beaucoup marqué. Même si je n’ai jamais traité de ça directement, je m’intéresse à la notion d’espace. La nécessité d’avoir un espace à soi qui soit un espace pour penser, pour rêver, pour être libre. Cette question peut se poser pour tout le monde, mais elle se pose d’une manière un peu différente pour les femmes du fait de l’histoire de nos sociétés. Cette question-là, je la porte en moi comme beaucoup de femmes depuis toujours. Je crois qu’elle m’a été transmise d’une certaine façon par ma mère. J’admire beaucoup ma mère qui était une professeure de philo et c’est quelque chose dont elle n’a pas hérité. Elle n’a pas grandi dans un environnement où c’était une évidence. J’ai grandi chez mes parents où ma mère avait très peu d’espace pour travailler… Alors oui, cet espace vital pour affirmer sa liberté  que ce soit d’un point de vue spirituel, intellectuel ou sexuel  est une question qui est sûrement présente dans tous mes films.

Sentez-vous que la société, obsédée par la jeunesse et la vie, a fini par oublier la mort ?
Oui, certainement. Ce dont parle le film aussi, c’est qu’on ne sait pas quoi faire de toute la population malade et vieillissante. On a tendance à les éloigner de plus en plus du centre de la ville et à les mettre en périphérie pour les rendre invisibles. Je l’ai ressenti et vécu de façon très violente avec mon père. À moins d’avoir beaucoup de moyens, on se retrouve à devoir mettre les gens qu’on aime dans des endroits qui sont de plus en plus éloignés. Ce sont des lieux qui n’ont pas de vie, qui sont incroyablement mortifères. Évidemment, je le savais avant de le vivre. Mais ce n’est pas la même chose de le savoir parce qu’on le lit dans le journal. J’ai vraiment pris conscience que c’était un problème massif dans nos sociétés de ne pas savoir quoi faire de tous ces gens et ne pas savoir comment leur donner une perspective afin de leur permettre d’être traité dans des lieux qui sont plus vivants et qui leur redonnent une forme d’espoir. Quand bien même les gens sont condamnés, on peut vivre de différentes manières : très mal ou un peu mieux.
Ce qui m’a énormément marqué, c’est qu’à la fin, quand mon père a été ramené dans un endroit beaucoup plus gai à Paris, je l’ai vu se redresser. À partir du moment où il s’est retrouvé dans un endroit où on s’occupait de lui, où il avait une attention, une continuité dans les relations humaines, son état physique général a arrêté de se dégrader. On voit bien l’impact de la qualité de l’attention, des soins. C’est avant tout de ça que je voulais parler avec mon film.

Entrevue réalisée par Martin Gignac à Paris le 16 janvier 2023 dans le cadre des Rendez-vous d’Unifrance.

9 février 2023

★★★ | Cette maison

★★★ | Cette maison

Réalisation: Miryam Charles | Dans les du salles du Québec le 10 février (La Distributrice de films)
Après plusieurs courts métrages primés, Miryam Charles passe au long avec Cette maison : un essai documentaire en forme de biographie imaginaire qui évoque le meurtre de sa cousine survenu en janvier 2008 (elle ne cherche pas tant à élucider le meurtre de sa cousine qu’à nous convier à une forme de voyage spirituel qui mêle fantasmagorie et symboles) ; un premier essai ample et non linéaire sur le deuil, le sentiment d’appartenance où la cinéaste se questionne sur ses propres racines haïtiennes et sur son déracinement ; un essai docu-fictif où l’on voit la cousine, mort jeune, qui mène une existence imaginaire fictive et alternative des années plus tard ; un film sur la perte et le deuil dont l’espoir fait vivre.
La jeune cinéaste ne lésine pas sur ses ambitions dans son premier long. En mêlant le documentaire, la fiction, l’imaginaire et un univers romanesque, elle nous livre un film qui apparaît un peu chargé par endroits malgré sa relative courte durée (75 minutes). Ainsi en abordant de nombreux sujets qui lui tiennent à cœur et en les intégrant dans un seul et même film, la cinéaste nous y fait perdre au change… surtout lorsqu’elle fait allusion à la politique, au référendum de 1995 et au sentiment d’appartenance pour son pays d’origine. En revanche, elle se montre beaucoup plus convaincante quand elle rend hommage à la mère de sa cousine. Au niveau formel, avec ses images granuleuses tournées en 16 mm, son univers apparaît parfois comme un magnifique poème visuel à la fois cryptique et onirique. Mais le film de Miryam Charles aurait probablement gagné à moins jouer sur les limites spatiales proposées et à moins chercher à souligner les élucubrations de ses symboles et allégories, car souvent une image vaut mille mots.

2 février 2023

★★★★ | Close

★★★★ | Close

Réalisation : Lukas Dhont | Dans les salles du Québec le 3 février 2023 (Sphère Films)
Léo et Rémi partagent une amitié inébranlable, une amitié tendre que l’on découvre par des prises de vues délicatement filmées, des gros plans sur les personnages qui nous donnent l’impression d’être immergés dans leur monde. Nous sommes avec Rémi et Léo dans tous les instants. Leurs jeux, leurs rires, les repas partagés nous présentent une vie quotidienne d’adolescents.
Les deux amis ont des personnalités différentes. D’une part Léo parle plus, est charismatique, a une imagination florissante et aime pratiquer le hockey. D’autre part Rémi est calme, silencieux presque effacé, préfère le hautbois au sport de contact. Malgré leur conception différente de la vie, ils restent inséparables. À tel point qu’un jour des camarades se moquent d’eux à la cantine de l’école en demandant s’ils sont amoureux. Ces paroles anodines provoqueront un détachement graduel de la part de Léo.
À partir de ce moment, on voit un glissement : Léo se détache et Rémi en souffre beaucoup sans explicitement exprimer sa détresse. Le cinéaste cerne avec subtilité l’éloignement qui se crée entre les deux amis et nous permet de deviner à travers le jeu juste et délicat des jeunes acteurs comment chaque personnage vit cet effritement. La grande souffrance ressentie par Rémi devient palpable lors d’une scène autour d’un repas de famille. Sans un échange de paroles, on comprend que Rémi ne va pas bien. C’est cette capacité du cinéaste à partager avec nous la souffrance qui émeut (les plans sur les yeux, ceux avec l’apparition des larmes, etc.).
Un drame, vibrant témoignage sur la fragilité de l’amitié, surgira. Mais une des forces de Lukas Dhont est de parvenir à nous montrer avec justesse que les épreuves de la vie peuvent être sources de résilience. Cela fait de Close un film bouleversant.