24 février 2017

I Am Not Your Negro (Je ne suis pas votre nègre) ****

1963, 1965 et 1968. Mis en scène par Raoul Peck, l’écrivain James Baldwin retrace l’histoire des Etats-Unis à travers trois dates déterminantes marquant l'assassinat de trois de ses amis: Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King.

Réalisateur: Raoul Peck | Dans les salles du Québec le 24 février (Métropole Films).

À partir du manuscrit inachevé de James Baldwin (Remember this house), Raoul Peck transpose à l’écran la vision de l’auteur et activiste d’une Amérique des années 60 qui fait face à son principal démon, le racisme. La voix-off de Samuel L. Jackson vient sublimer la prose acerbe et avant-gardiste de Baldwin, dont l’impact social et la densité sont non seulement assimilés mais honorés par l’approche documentaire du réalisateur haïtien. Ce dernier s’approprie le véhicule culturel desservant le propos pour en faire le fil conducteur du long-métrage: des extraits de films illustrent le rapport de Baldwin à ses héros, à sa définition d’un acteur et à sa préférence du statut de témoin dès son retour de France et sa contribution au mouvement afro-américain des droits civiques. La force de Peck réside dans sa capacité à enclencher des ponts visuels entre les manifestations de Ferguson face aux violences policières et le discours de Baldwin, dont l’écho impose une remise en question certaine de l’état actuel des inégalités raciales aux Etats-Unis, et partout ailleurs.
La mort de Malcolm X, qui pour Baldwin n’«insuffle que les faiblesses de l’adversaire», pose la question de la légitimité de la violence, tandis que celle de Martin Luther King emporte avec elle un souffle d’espoir collectif. La plume tranchante de Baldwin n’est pas sans rappeler la lucidité de Carver sur son propre pays, pourtant Peck réussit à rendre justice à sa façon peu manichéenne de voir les choses tout en privilégiant un essai documentaire structuré et très bien construit. Le médium visuel, celui des références filmiques de l’auteur et de l’oeuvre elle-même, devient alors un tremplin vers le visage des États-Unis dépeint par Baldwin, à la lisière entre fiction et réalité, à cheval entre une vitrine révélatrice des maux de l’Amérique et une vision déformée et idéalisée de la réalité. Malgré des transitions brusques quoique volontaires, I Am Not a Negro est un film nécessaire et coup de poing dont la perturbante résonance contemporaine permet de se démarquer face au flux récent de documentaires sur le sujet et justifie amplement sa récente nomination aux Oscars.
L'avis de la rédaction :

Ambre Sachet: ****
Martin Gignac: ***
Olivier Bouchard: ***
Olivier Maltais: ****
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