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19 avril 2024

★★★★ | La bête

★★★★ | La bête

Réalisation : Bertrand Bonello | Dans les salles du Québec le 19 avril 2024 (Maison 4:3)

Nous avons le droit de penser que le cinéma de Bertrand Bonello est prétentieux, froid, ennuyeux et très surcoté. D’ailleurs, il faut bien admettre que c’est souvent le cas. Tout était d’ailleurs réuni pour qu’il en soit de même ici, et pourtant, comme l'indiquent les quatre étoiles ci-dessus, un miracle se produit.
Le cinéaste nous propose un puzzle dans lequel les pièces de trois blocs temporels s’emboîtent avec une précision chirurgicale, unis par deux mêmes personnages. Entre le Paris de 1910, le Los Angeles de 2014 et le monde de 2044 où règne l’IA, Gabrielle (Léa Seydoux) est confrontée au sentiment amoureux, mais également aux émotions et principalement à la peur. Le film semble d'ailleurs être une lutte entre la peur et l’amour, ou peut-être une tentative impossible de séparer ces deux sentiments. Paradoxalement, le film, qui place le refus de la perte des émotions au centre de sa réflexion, est tout sauf émotif. Il est précis, cérébral, ne laissant aucune place au hasard ou à l’imprévu, mais c’est justement ce qui fait sa force, ce qui rend encore plus émouvante cette lutte du personnage pour conserver à tout prix sa capacité à vivre des émotions, même si elles doivent lui être fatales. Ceci dit, ce n’est pas la seule force du film. Le mélange des genres, parfaitement orchestré et d’une fluidité impressionnante en est aussi une. Bertrand Bonello évolue avec une égale maîtrise dans le film d’époque que dans le thriller quasi horrifique ou dans la SF cérébrale. Et que dire de Léa Seydoux? Autre élément essentiel de la réussite de La bête. Présente dans presque tous les plans, elle incarne avec force la difficulté de vivre, comme si elle était perpétuellement hantée par la peur de son propre devenir.
Alors une nouvelle fois, Bertrand Bonello prend le risque d’agacer et de perdre son spectateur en route, à force de le saturer avec sa soif de perfection glaciale. Mais ici, elle ne nous écœure pas, mais bien au contraire nous nourrit de son regard désabusé sur un monde décidément bien trop complexe pour qu’il soit réduit à des fadaises. D'ailleurs, en sortant de la salle, nous n'avons qu'une envie: laisser décanter quelques jours, et y retourner.

5 avril 2024

★★★½ | La Chimera

★★★½ | La Chimera

Réalisation : Alice Rohrwacher | Dans les salles du Québec le 5 avril 2024 (Entract Films)
Avouons-le d’emblée, l’auteur de ces lignes n’est habituellement pas très sensible au charme des films d’Alice Rohrwacher. D’ailleurs, les premiers instants laissent présager le même effet, cette étrange impression de voir un film qui n’est pas fait pour soi. Et pourtant, petit à petit, l’ensemble un peu foutraque, étrange, d’une liberté parfois déroutante, presque insolente, finit par produire son effet. La bande sonore du film y contribue également, avec ses conversations à bâtons rompus et ses morceaux de musique entraînants. On se prend alors vite d’affection pour ces personnages imprévisibles et hauts en couleur et on se laisse guider par ce fil narratif pourtant très tenu, ou, pourrait-on dire, par ce fil rouge (clin d’œil pour ceux qui verront le film) qui prendra finalement plus d’importance qu’on pourrait le croire. Car tout ici ne tient qu’à un fil, qui pourrait casser à chaque instant et propulser le film vers un échec artistique… Il n’en est rien. L’intrigue minimaliste s’efface devant les éléments évoqués plus haut, mais surtout devant cette opposition entre le monde d’en haut et le monde d’en bas, celui des vivants et celui des morts, celui d’hier et celui de demain. Et finalement, nous nous laissons entraîner aux côtés de cet antihéros, ce pilleur de tombe à la recherche d’un amour perdu. Derrière la satire de l’appât du gain et du trafic d’objets anciens, se cache en effet autre chose qui nous aide à comprendre ce qui pousse ce personnage à déterrer les morts. Et qui rend presque beau ce blasphème, qui l’aide à tenir, par l’entremise de ce fameux fil rouge !
Osez donc vous aventurer dans ce film étrange, et laissez-vous porter par son charme. Et si ce n'est pas la cas, les dernières minutes, aussi simples que belles et poignantes, seront, souhaitons-le, votre récompense !

22 mars 2024

★★½ | La Fonte des glaces

★★½ | La Fonte des glaces

Réalisation: François Péloquin | Dans les salles du Québec le 22 mars 2024 (Maison 4:3)
Il est assez difficile de comprendre ce qu’a voulu faire François Péloquin en réalisant La fonte des glaces. Ou plutôt: il est difficile de comprendre pourquoi il a voulu intégrer tant d’éléments disparates dans un film sans être capable de créer un véritable liant entre ses différents éléments.
Lorsqu’il parle de la justice réparatrice, on a envie de lui conseiller de voir quelle finesse il est possible d'aborder un tel sujet dans Je verrai toujours vos visages.
Lorsqu’il parle des relations familiales, on a envie de lui dire que le cinéma québécois a déjà fait plusieurs fois le tour de la question.
Lorsqu’il parle de la vie des détenus, on a envie de lui dire que son regard est souvent trop superficiel pour nous apporter quoi que ce soit.
Lorsqu’il aborde le sujet de la vengeance ou de la rédemption, on a envie de lui dire qu’il n’a pas le temps de le traiter pleinement et qu’il est obligé de se contenter de raccourcis narratifs sans intérêt.
Enfin, lorsque la dernière partie lorgne vers le thriller, on a envie de lui dire qu’on a cessé de croire à ses propositions…
Et pourtant, allez savoir pourquoi, le film n’est pas totalement dénué de charme. Si l’écriture manque de finesse, les postes techniques sont occupés avec professionnalisme, la mise en scène efficace parvient presque à faire oublier les failles scénaristiques et les acteurs et actrices livrent tous et toutes une prestation sans faille. Irons-nous jusqu’à conseiller le film pour autant? Probablement pas. Mais on en aurait presque envie. C'est peut-être la magie Lothaire Bluteau qui opère ?

15 mars 2024

★★★½ | Tu ne sauras jamais

★★★½ | Tu ne sauras jamais

Réalisation : Robin Aubert | Dans les salles du Québec le 15 mars 2024 (Axia Films)
Sept ans après un film de zombie haut de gamme plébiscité par la critique (Les affamés, prix AQCC 2017), Robin Aubert nous revient avec une preuve supplémentaire de son talent de cinéaste qui semble ne jamais être là où on l’attend. Surtout, il nous prouve qu’il n’a pas peur des propositions radicales, au risque de déstabiliser. Il nous plonge en effet dans un CHSLD, en plein confinement, et nous propose de suivre la journée d’un vieillard, cloîtré dans sa chambre, cherchant à avoir des nouvelles de sa bien-aimée atteinte de la Covid.
Le rythme est lent, et rien ne se passe vraiment, comme si Aubert voulait nous forcer à vivre une journée de solitude, d’ennui et d’inquiétude. Il y parvient tellement qu’il prend le risque de perdre des spectateurs en route (le sempiternel effet de la radicalité). Cette perte potentielle d’intérêt du spectateur serait d’autant plus regrettable que vers la fin, le cinéaste nous réserve une petite pirouette scénaristique (minimaliste, mais tout de même), qui lui permet de faire valoir son talent de metteur en scène et de créer une ambiance improbable, presque fantastique, tout en laissant devenir son film particulièrement touchant.
Alors que le cinéma québécois est trop souvent amoindri par une scénarisation un peu trop sclérosé, Aubert se permet un minimaliste scénaristique comme on en voit trop rarement.
Associé à un vrai talent de metteur en scène, cela donne pourtant un résultat impressionnant, même si Tu ne sauras jamais est parfois difficile, voire désagréable, à regarder en raison de son sujet et d’une certaine complaisance dans la manière de filmer la déchéance physique. Mais là encore, on est radical où on ne l’est pas !
Au moins, Aubert ose… Ça fait tellement de bien, même si ça fait mal.

8 mars 2024

★★★★ | Les herbes sèches / About Dry Grasses (Kuru Otlar Üstüne)

★★★★ | Les herbes sèches / About Dry Grasses (Kuru Otlar Üstüne)

Réalisation: Nuri Bilge Ceylan | Dans les salles du Québec le 8 mars 2024 (Sphère Film)
Les herbes sèches nous place d’emblée en terrain connu : cette Anatolie déjà tant filmée par le cinéaste. L’action se situe ici en hiver, au moment du retour en classe après les vacances, et met en scène des enseignants qui attendent la possibilité d’une mutation pour quitter cette petite ville dans laquelle rien ne se passe, sentiment accentué par cette neige qui recouvre les paysages comme du coton. Ceylan filme les lieux (magnifiques), les personnages, leur ennui, leurs nombreuses discussions… jusqu’à ce qu’un événement qui pourrait sembler anodin déclenche une petite chaîne de microréactions. Elles sont scrutées par un cinéaste qui aime prendre le temps de regarder ses personnages, de les écouter, de comprendre les conséquences de l’ennui, de la solitude, des désillusions, des doutes, et de voir comment la veulerie peut venir ternir les sentiments que nous pouvions ressentir sur telle ou telle personne.
La force principale de Ceylan est de laisser vivre, bouger et faire parler ses personnages, de manière parfois un peu décalée, presque paradoxalement désincarnée. Tout pourrait mener à l’ennui (le film dure plus de trois heures et le film est très bavard). Pourtant, sa mise en scène, délicate et d’une inventivité tout en sobriété, parvient à jouer avec la distance à l’égard des protagonistes et à les rendre de moins en moins lointains, de plus en plus attachants, au fur et à mesure qu’ils dévoilent leurs failles, qui sont peut-être moins les symptômes d’une bassesse d’esprit que les conséquences d’un besoin maladroit de se protéger.
Sans jugement hâtif, avec une certaine compassion même, Ceylan nous offre, pendant près de 200 minutes, son regard sur la vie. Une vie qui ressemble à l’Anatolie qu’il filme, où l’été succède à l’hiver, et réciproquement, sans transition, sans prévenir, sans que l’on ne puisse rien y faire.