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15 mars 2024

★★★½ | Tu ne sauras jamais

★★★½ | Tu ne sauras jamais

Réalisation : Robin Aubert | Dans les salles du Québec le 15 mars 2024 (Axia Films)
Sept ans après un film de zombie haut de gamme plébiscité par la critique (Les affamés, prix AQCC 2017), Robin Aubert nous revient avec une preuve supplémentaire de son talent de cinéaste qui semble ne jamais être là où on l’attend. Surtout, il nous prouve qu’il n’a pas peur des propositions radicales, au risque de déstabiliser. Il nous plonge en effet dans un CHSLD, en plein confinement, et nous propose de suivre la journée d’un vieillard, cloîtré dans sa chambre, cherchant à avoir des nouvelles de sa bien-aimée atteinte de la Covid.
Le rythme est lent, et rien ne se passe vraiment, comme si Aubert voulait nous forcer à vivre une journée de solitude, d’ennui et d’inquiétude. Il y parvient tellement qu’il prend le risque de perdre des spectateurs en route (le sempiternel effet de la radicalité). Cette perte potentielle d’intérêt du spectateur serait d’autant plus regrettable que vers la fin, le cinéaste nous réserve une petite pirouette scénaristique (minimaliste, mais tout de même), qui lui permet de faire valoir son talent de metteur en scène et de créer une ambiance improbable, presque fantastique, tout en laissant devenir son film particulièrement touchant.
Alors que le cinéma québécois est trop souvent amoindri par une scénarisation un peu trop sclérosé, Aubert se permet un minimaliste scénaristique comme on en voit trop rarement.
Associé à un vrai talent de metteur en scène, cela donne pourtant un résultat impressionnant, même si Tu ne sauras jamais est parfois difficile, voire désagréable, à regarder en raison de son sujet et d’une certaine complaisance dans la manière de filmer la déchéance physique. Mais là encore, on est radical où on ne l’est pas !
Au moins, Aubert ose… Ça fait tellement de bien, même si ça fait mal.

8 mars 2024

★★★★ | Les herbes sèches / About Dry Grasses (Kuru Otlar Üstüne)

★★★★ | Les herbes sèches / About Dry Grasses (Kuru Otlar Üstüne)

Réalisation: Nuri Bilge Ceylan | Dans les salles du Québec le 8 mars 2024 (Sphère Film)
Les herbes sèches nous place d’emblée en terrain connu : cette Anatolie déjà tant filmée par le cinéaste. L’action se situe ici en hiver, au moment du retour en classe après les vacances, et met en scène des enseignants qui attendent la possibilité d’une mutation pour quitter cette petite ville dans laquelle rien ne se passe, sentiment accentué par cette neige qui recouvre les paysages comme du coton. Ceylan filme les lieux (magnifiques), les personnages, leur ennui, leurs nombreuses discussions… jusqu’à ce qu’un événement qui pourrait sembler anodin déclenche une petite chaîne de microréactions. Elles sont scrutées par un cinéaste qui aime prendre le temps de regarder ses personnages, de les écouter, de comprendre les conséquences de l’ennui, de la solitude, des désillusions, des doutes, et de voir comment la veulerie peut venir ternir les sentiments que nous pouvions ressentir sur telle ou telle personne.
La force principale de Ceylan est de laisser vivre, bouger et faire parler ses personnages, de manière parfois un peu décalée, presque paradoxalement désincarnée. Tout pourrait mener à l’ennui (le film dure plus de trois heures et le film est très bavard). Pourtant, sa mise en scène, délicate et d’une inventivité tout en sobriété, parvient à jouer avec la distance à l’égard des protagonistes et à les rendre de moins en moins lointains, de plus en plus attachants, au fur et à mesure qu’ils dévoilent leurs failles, qui sont peut-être moins les symptômes d’une bassesse d’esprit que les conséquences d’un besoin maladroit de se protéger.
Sans jugement hâtif, avec une certaine compassion même, Ceylan nous offre, pendant près de 200 minutes, son regard sur la vie. Une vie qui ressemble à l’Anatolie qu’il filme, où l’été succède à l’hiver, et réciproquement, sans transition, sans prévenir, sans que l’on ne puisse rien y faire.

23 février 2024

★★½ | Lucy Grizzli Sophie

★★½ | Lucy Grizzli Sophie

Réalisation: Anne Émond | Dans les salles du Québec depuis le 23 février 2024 (Sphère Films)
Ne tournons pas autour du pot : Lucy Grizzli Sophie, le nouveau film de la maintenant chevronnée Anne Émond, ne nous laisse pas indifférents mais comporte d’importantes faiblesses. Adaptation de la pièce La meute par la dramaturge Catherine-Anne Toupin (qui reprend également son rôle), le film nous laisse sur notre faim, les deux éléments centraux (le sujet de la cyberintimidation et le huis clos) n’étant pas assez assumés ou maladroitement traités.
Pour ce qui est du sujet, la sortie récente du dernier film de Pascal Plante lui fait probablement beaucoup d’ombre. Certes, il n’était pas question de cet aspect précis du petit monde du Darknet dans Les chambres rouges, mais le film de Plante était documenté avec une rigueur qui manque parfois ici, la scénariste abordant un grand sujet en donnant l’impression d’avoir peur de l’affronter dans toute sa complexité, et préférant trop souvent avoir recours à des raccourcis un peu simplistes. Mais qu’importe si autre chose prend le dessus... Et cette autre chose avait tout pour être le huis clos anxiogène. Là encore, on a le sentiment que le travail n’est fait qu’à moitié. Peut-être est-ce par crainte de faire trop « théâtre filmé », mais l'éloignement récurrent de la maison où se déroule l’action n’apporte pas grand-chose. Pire : il annihile la tension que l’on pourrait ressentir. C’est d’autant plus regrettable que toutes les compétences requises pour réussir un tel projet sont au rendez-vous : d’une part, la volonté louable de la part de la scénariste de ne pas vouloir trop en dire sur le passé des personnages ; d’autre part, le talent du duo Émond / Olivier Gossot (le chef opérateur) pour créer une ambiance, une tension, voire un mystère un peu trouble par le biais de l’image ; et enfin un trio de comédien·ne·s remarquables (Toupin, Guillaume Cyr et Louise Roy, qui reprennent leurs rôles tenus sur scène).
Malgré nos réserves (pour ne pas dire nos regrets), nous avons donc envie de conseiller Lucy Grizzli Sophie, juste pour faire honneur aux talents indéniables que comporte ce film imparfait.

16 février 2024

★★★ ½ | Io Capitano (Moi Capitaine)

★★★ ½ | Io Capitano (Moi Capitaine)

Réalisateur : Matteo Garrone| Dans les salles du Québec le 16 février 2024 (Immina Films)
Avec Io Capitano, Matteo Garrone quitte l’Italie de Dogman  ou la fantaisie de Il Racconto dei racconti pour nous entraîner au Sénégal, aux côtés de deux cousins qui rêvent en secret d’une vie meilleure (et donc d’Europe… et d’Italie).
La description de la vie modeste d’une famille sénégalaise est à la fois très sobre et très belle. En quelques plans, Matteo Garrone donne vie à ses personnages, les montre évoluer dans une famille aimante et qui semble heureuse. Il nous montre aussi l’envie d’ailleurs par le biais de ces ados qui rêvent d’Europe via Youtube et qui ne veulent pas croire ceux qui disent que tout n’est pas si simple. En commençant ainsi, le cinéaste fait le choix de l’universel et nous parle d’une époque, la nôtre, qui a tout d’un miroir aux alouettes, que l’on soit Africain, Européen ou Nord-Américain (même si les rêves d’un petit occidental n’ont pas les mêmes conséquences que celui d’un Sénégalais). Après ce préambule très réussi, Garrone nous entraîne dans la partie la plus longue de son film : la traversée de l’Afrique, du Sénégal à la Libye. C’est-à-dire le retour à la réalité. Sur ses images souvent somptueuses, le cinéaste donne à son film les allures d’un récit initiatique. Si le parcours est semé d’embûches, Garrone a la bonne idée de ne pas (trop) charger la mule et évite d’ajouter à une situation déjà dense des fioritures dramatiques qui auraient pu alourdir son propos.
Il sait également restituer la douleur engendrée par toutes les épreuves (soulignons à ce titre la prestation particulièrement juste et attachante de Seydou Sarr, la grande découverte du film). Malheureusement, la dernière partie ne parvient plus à éviter les écueils jusqu’ici évités. La traversée de la Méditerranée n’évite pas le trop plein d’effets dramatiques et d'espoirs sirupeux. On aurait envie de dire au jeune héros de se calmer un peu, et que la suite ne va pas être si facile. Mais on préfère le laisser espérer. Surtout, on préfère se souvenir de tout ce qui précède. Car malgré nos réserves finales, Io Capitano mérite vraiment d’être vu.

9 février 2024

★★★½ | Le règne animal

★★★½ | Le règne animal

Réalisateur : Thomas Cailley | Dans les salles du Québec le 9 février 2024 (Métropole Films Distribution)
À la fin des Combattants, les personnages du premier film de Thomas Cailley nous avaient prévenu: « On reste à l’affût, sur nos gardes ». Leur avertissement résonne avec justesse dès le début du Règne animal, où l’incertitude règne, sauf en ce qui concerne une évidence : le pire est toujours possible.
Pour ses débuts, le réalisateur avait imaginé une comédie romantique qui, vers la fin, prenait des allures de film post-apocalyptique. Dans Le règne animal, son second opus, il explore un tout autre territoire : celui de la famille (le sujet central), ébranlée par des mutations. Ces êtres humains, qui se transforment progressivement en animaux, deviennent les vecteurs d’une réflexion profonde sur deux formes d’altérité. D’un côté, le malade incurable (symbolisée par la mère) qui s’éloigne inexorablement de la vie et de ses semblables. De l’autre, l’étranger (symbolisé par les autres mutants), incompris, qui peine à trouver sa place.
Sous couvert de fantastique, Thomas Cailley aborde ces thèmes passionnants avec finesse. Il n’oublie pas non plus le cœur du récit : la relation père-fils, un sujet trop souvent négligé au cinéma et ici traité avec brio. Les qualités déjà évidentes dans son premier film — une écriture habile, une mise en scène sobre et précise, une direction d’acteurs délicate et juste — sont encore présentes ici et contribuent à la réussite du long-métrage.
Pourtant, on pourrait presque regretter, de manière paradoxale, un excès de maîtrise. Thomas Cailley étouffe parfois son film sous le poids de sa volonté de bien faire, nous laissant nostalgiques du charme brut des Combattants.
Malgré cette petite réserve, il nous entraîne dans un univers très troublant car parfois si crédible (la battue finale aux allures de ratonade). Surtout, il suscite notre impatience : nous voulons le voir évoluer, et découvrir son troisième film sans attendre dix nouvelles années.