17 mai 2019

★★★★ | Leto (L’été)

★★★★ | Leto (L’été)

Réalisé par Kiril Serebrennikov | Dans les salles du Québec le 17 mai 2019 (MK2│Mile End)
Inspiré de la carrière Viktor Tsoï et de son entrée dans la scène musicale underground russe des années 80, Leto se libère avec aisance du film autobiographique classique. Dès l’entrée en matière, la mise en scène fluide se calque sur la nature de ses personnages, des situations vécues ou des émotions ressenties. La musique, point central du récit, nous porte tout au long du film. Les chansons (en russe, sous-titrées pour le spectateur), se greffent parfaitement à la structure narrative de l’histoire.
Au centre de celle-ci, un triangle amoureux entre Viktor (Teo Yoo), un jeune chanteur talentueux, Natalia (Irina Starshenbaum), femme de Mike (Roma Zver), idole et mentor de Viktor. Malgré la tension ou l’aspect dramatique qui pourrait ressortir du triangle amoureux, le film fait le pari de l’aborder avec nuance. Ici, pas de crises, pas de scènes explosives. Tout passe par la musique, les chansons et la mise en scène assumée. Dans le cadre qui nous transporte au gré des situations, on aura souvent l’impression d’un chaos contrôlé. On bouge, on danse, on boit, on joue ou on écoute de la musique. Le besoin de liberté qui fait vibrer les personnages à travers leur musique est en contradiction totale avec l’austérité du régime soviétique de l’époque. Dans la salle de spectacle où se produisent les musiciens, les spectateurs sont gentiment assis en rang. Ils n’ont pas le droit de se mettre debout, de danser ou de se laisser emporter par la mélodie. Calmement et avec retenue, ils tapent des pieds en signe d’appréciation. Le film échappe à cette austérité par des scènes ludiques où le temps d’une chanson, la ville et ses habitants chantent et dansent au rythme de la musique.
Viktor et Mike sont des amoureux de musique. Les références à des groupes ou à des compositeurs connus internationalement parsèment le film (Blondie, Lou Reed, The Beatles, etc.). Malgré ces influences, le film propose de nous faire découvrir avec fierté un groupe russe qui aura marqué son époque. La distance de langue ou de culture n’est pas un obstacle car en dernier lieu, la musique dépasse toutes les frontières. Leto est une œuvre puissante, qu’il faut écouter et regarder avec attention.

14 mai 2019

★★★★ | Asako I & II (Netemo sametemo)

★★★★ | Asako I & II (Netemo sametemo)

Réalisé par Ryûsuke Hamaguchi | Dans les salles du Québec le 17 mai 2019 (MK2│Mile End)
Quelle étrange suite au monumental Happy Hour qu’est Asako I & II! Au carrefour des genres, évoquant tour à tour la fable et les comédies romantiques, le nouveau film de Ryûsuke Hamaguchi est une œuvre singulière qui dépasse la caractérisation et surprend à chaque tournant.
Deux années après avoir été abandonnée inopinément par son amant qui lui promettait pourtant de revenir, Asako rencontre un homme physiquement identique. À partir d’une prémisse qui évoque directement Vertigo, le réalisateur place au premier plan l’absurdité et l’irrationalité de nos relations amoureuses sans jamais moquer le sentiment ou en ignorer la beauté.
Ce qui étonne de prime abord est l’apparente passivité, voire la naïveté, affichée par le personnage d’Asako. La protagoniste fait longtemps l’effet d’une coquille vide, tant elle reste silencieuse et semble se laisser aller dans les événements sans vraiment y prendre part. Tranquillement toutefois, Hamaguchi explore les sentiments de son personnage, tout en subtilité, par tous les moyens disponibles, usant par exemple du discours que les personnages secondaires ont envers elle. Il prouve alors que l’impression donnée dans un premier temps était faussée. Il réussit la tâche difficile d’étoffer un personnage réservé, sans raccourcis de mise en scène qui permettraient des représentations littérales d’un univers intérieur à l’écran.
Si Hamaguchi est avare en effet de style, sa mise en scène est loin d’être impersonnelle. Asako I & II alterne sans effort un réalisme retenu laissant toute la place aux acteurs et des envolées fantaisistes. Un passage au centre du film réconcilie admirablement ces deux tons, le spectre d’une vie routinière se confrontant habilement à des coïncidences presque improbables. Le récit réserve des surprises qui forcent le spectateur à réévaluer ce qui lui est présenté jusqu’au tout dernier plan, sans que le réalisateur ne manipule son auditoire dans un jeu de faux-semblants. Il prend simplement le temps d’établir son discours avec soin.
Autant Asako I & II explore clairement le deuil des relations amoureuses et l’impossibilité de complètement laisser le passé derrière soi face à l’avenir, autant le nouveau film d’Hamaguchi reste toujours imprévisible dans ses idées et ses développements. C’est sa grande force, tant chaque nouvelle surprise ajoute à la profondeur de l’œuvre, faisant d’Asako I & II l’un des films les plus surprenants et les plus touchants sur un thème aussi souvent exploré que l’amour.

30 avril 2019

★★★½ | Girl

★★★½ | Girl

Réalisé par Lukas Dhont | Pas de sortie en salle au Québec — Disponible en VSD
Après avoir remporté la Caméra d'Or à Cannes en 2018, Girl n'est pas sorti en salle au Québec et a dû se contenter d'une sortie en ligne via la plateforme Netflix. Nous ne reviendrons pas ici sur cette pratique qui empêche les non-abonnés de visionner une œuvre qui mériterait d'être vu par un plus grand nombre, mais nous nous contenterons de parler du film!
Et soyons clairs, il possède de grandes qualités. Avec sa première œuvre, le jeune cinéaste belge Lukas Dhont confirme en effet la bonne santé de sa cinématographie nationale. D'une part, le sujet est ambitieux: une jeune femme née dans un corps de garçon doit faire face à la transformation trop lente de son corps, tout en lui faisant subir des entraînements éprouvants (elle souhaite devenir danseuse étoile). D'autre part, et c'est le plus important, l'ambition ne se transforme jamais en prétention incontrôlée grâce au talent et à la sensibilité de Lukas Dhont et de son coscénariste Angelo Tijssens. Avec une maîtrise impressionnante, ils parviennent à aborder de nombreux sujets (le changement de sexe, le passage à l'âge adulte, la poursuite d'une passion (la danse)) tout en donnant naissance à des personnages secondaires qui ne se limitent pas aux rôles de simple faire-valoir, et tout en évitant de sombrer dans certaines facilités dans le traitement des relations avec le père / le voisin / les camarades de classe / les professeurs, etc. Dhont a tellement confiance en son sujet, en son personnage principal (interprété par le magnifique Victor Polster) et en ses qualités de cinéaste qu'il n'a pas besoin d'attirer artificiellement l'attention du spectateur avec de potentielles dérives mélodramatiques interpersonnelles qui se seraient vite transformées en écueils. Tant mieux pour nous!
Certes, le rebondissement final ne nous semble pas à la hauteur du reste… mais la dernière miniséquence de déambulation dans un couloir de métro, simple et belle comme son héroïne, nous la ferait presque oublier.

26 avril 2019

★★ | Continuer

★★ | Continuer

Réalisé par Joachim Lafosse | Dans les salles du Québec le 26 avril 2019 (Axia)
Septième long métrage du réalisateur Joachim Lafosse (À perdre la raison, L’économie du couple), Continuer nous entraîne dans le désert du Kirghizistan... et dans un long (et ennuyeux) périple qui, derrière ses ambitions louables, ne réussit jamais à convaincre.
Dans cette adaptation du roman éponyme de Laurent Mauvignier, on suit une mère et son fils (Virginie Efira et Kasey Mottet-Klein, très bien) dans une intrigue dont l’action se déroule en pays étranger. Il ne se passe pas grand-chose dans ce voyage obligatoire et imposé où le duo familial va se retrouver à la fois seule et devant l’autre. Lafosse propose un environnement étranger et hostile pour une quête de soi sous forme de huis clos en plein-air désertique. Les paysages et la photo sont beaux à contempler et le film se veut empreint de lyrisme, mais les qualités camouflent à peine un film didactique aux enjeux très minces.
En mère écorchée et courageuse, Virginie Efira confirme son talent de comédienne, mais on se lasse rapidement de cette intrigue léthargique et de ce lourd voyage qui paraît interminable malgré la courte durée du film (moins de 90 minutes). L’absence d’un solide filon dramatique empêche le film de prendre son envol et on peine à garder un semblant d’intérêt. L’émotion (ou son absence) entre la mère et son fils est presque reléguée aux oubliettes et on se lasse rapidement de cette intrigue remplie de silence et de non-dits, où la tension n’est jamais palpable.
C’est dans le journal intime que Sybille écrit pour son fils qu’on trouve les réponses, car le fossé entre les générations est trop grand pour rompre le silence par la parole. Au bout du compte, le film se résume et aboutit à une banale évidence: il faut continuer pour enfin mieux apprendre à vivre.

19 avril 2019

★★★ | Diamantino

★★★ | Diamantino

Réalisé par Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt | Dans les salles du Québec le 19 avril 2019 (MK2│Mile End)
Remarqué au dernier Festival de Cannes où il a reçu le Grand prix de la Semaine de la critique, Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt est une jolie curiosité, ce qu'annonçait déjà sa désopilante bande-annonce.
Il y a un peu de tout dans ce désinvolte film portugais: le foot comme opium qui détourne l'attention du peuple, l'illumination lorsque de «véritables» problèmes viennent frapper à la porte (la crise des réfugiés), des manipulations génétiques, une transgression des mœurs en place, etc. C'est à la fois une satire sociale, un pastiche des médias et une critique politique, parsemée d'hommages à James Bond, The Shining et Buñuel!
Après un début longuet où une vedette sportive perd sa touche magique et se retrouve la risée de son pays, la machine se met en route. C'est là qu'explosent des scènes bizarres, folles et originales. Tout peut arriver dans ce délire qui ne ressemble à rien d'autre et qui est constamment alimenté par une mise en scène inventive.
Évidemment, la coupe déborde avant la fin et le point de saturation est rapidement atteint. Terriblement naïf, le discours prend des tangentes plus moralisatrices vers la famille, se vautrant dans les clichés les plus éculés (avec clins d’œil au passage au cinéma de Terrence Malick). La charge glisse vers la série B volontaire, cocasse mais limitée.
Cela ne brime en rien le héros, un idiot attachant et sans malice incarné royalement par Carloto Cotta. Celui que l'on a pu voir dans les derniers opus de Miguel Gomes est délectable en représentant narcissique du genre humain. Son jeu caricatural s'agence d'ailleurs harmonieusement aux autres personnages qui possèdent tous une quête absurde.
En optant pour la démesure, Diamantino prend le parti d'un divertissement total, kitsch et sans inhibition, faisant de la triste réalité un spectacle où tout le monde est invité. Il y a pire comme proposition artistique!