19 décembre 2019

★★★★ | A Hidden Life (Une vie cachée)

★★★★ | A Hidden Life (Une vie cachée)

Réalisation : Terrence Malick | Dans les salles du Québec le 20 décembre 2019 (Buena Vista)
En s’inspirant de la vie de Franz Jägenstätter  un fermier autrichien qui a refusé de prêter allégeance à Hitler durant la Seconde Guerre mondiale  Terrence Malick revient dans les bonnes grâces de la critique internationale avec ce drame biographique profondément humain. On retrouve dans ce film ce qui fait la grande force du réalisateur de The Thin Red Line et The Tree of Life, à savoir un travail d’une beauté formelle immense mêlé à une fresque d’une ampleur très intimiste.
Lors de ses trois derniers films, Malick en a laissé plus d’un perplexe avec cette approche minimaliste et ses expérimentations visuelles en HD (haute définition) mais au fil conducteur quasi inexistant. On lui a surtout reproché de se perdre dans ses réflexions et de refuser toute forme de concession. Avec A Hidden Life, Malick explore un pan méconnu de l’histoire. À travers ce récit bouleversant filmé à l’état d’apesanteur et d’une grande richesse formelle (lumière naturelle, montage saccadé, grand angle), Malick réussit à conjuguer avec bonheur formaliste et réflexions métaphysiques et spirituelles. Ce fermier et père de famille a été emprisonné comme objecteur de conscience, car contrairement à la majorité des villageois des montagnes autrichiennes qui ont voté en faveur de l’annexion de leur pays à l’Allemagne nazie, ce dernier a refusé allégeance et fut condamné à exécution à Berlin en 1943. Il est aujourd’hui vénéré comme bienheureux et martyr par l’Église catholique.
C’est à partir de ce drame humain que le réalisateur de Days of Heaven explore de manière très austère le sens de la vie. Malgré la durée (le film fait près de trois heures), Malick filme de façon très contemporaine les saisons qui passent comme un long poème visuel étendu dans l’espace-temps. Avec des dialogues minimalistes, A Hidden Life s’impose comme une réflexion rigoureuse sur la foi chrétienne et s’impose comme un des meilleurs films de l’année et peut-être son film le plus accessible à ce jour. Un hymne poético-philosophique à la gloire de ce héros malgré lui dont la résistance n’a d’égard que le poids de ses convictions morales et humaines.
★★½ | The Twentieth Century (Le vingtième siècle)

★★½ | The Twentieth Century (Le vingtième siècle)

Réalisation : Matthew Rankin | Dans les salles du Québec le 20 décembre 2019 (Maison 4:3)
Pour son premier long-métrage, le prolifique bricoleur Matthew Rankin n’a rien perdu de sa créativité. Effectivement, The Twentieth Century est une épopée « historique » mêlant avec plaisir l’animation, le cinéma expérimental, et les minutes du patrimoine canadien. En adaptant très librement la vie de Mackenzie King, politicien reconnu pour sa circonspection maladive, le réalisateur semble avoir trouvé le sujet idéal pour son saut vers le long-métrage mais, la surprise initiale passée, son film peine à garder le cap, cachant derrière son inventivité formelle un humour potache épuisant et un discours politique superficiel.
Les influences de Maddin sont évidentes (des influences qui se retrouvent jusque dans le casting) mais Rankin ne se contente pas d’être qu’un émule. Son film trouve des inspirations partout, des premiers temps du cinéma jusqu’au scrapbooking, faisant de The Twentieth Century un plaisir visuel certain. Cela étant dit, au fil des scènes, l’approche esthétique en constante réinvention de Rankin trouve ses limites. Les référents visuels n’approfondissent rien et les partis pris esthétiques empruntés ne servent que le geste créatif, n’ayant rarement plus de volonté que celle d’épater. Lorsque par exemple Rankin utilise régulièrement des acteurs en mode drag, il ne semble faire le geste que par excentricité artistique, celui-ci n’ajoutant rien à son discours, et lorgne vers la simple appropriation.
Par la vie de Mackenzie King, le réalisateur s’attaque joyeusement au marasme de la politique canadienne. Encore une fois Rankin fait habilement référence à plusieurs anecdotes de la vie de son sujet ou du monde politique canadien, mais l’humour s’attaque à des cibles faciles. En se moquant de l’hypocrisie de ses personnages, Rankin en arrive tout de même à répliquer leur discours, faisant sans grande créativité une blague de ses personnages au physique désagréable, des problèmes sexuels de son protagoniste ou en tombant dans l’humour scatophile. Si la même inventivité avait été appliquée à l’élaboration des gags qu’à l’aspect visuel, on aurait pu excuser la facilité des cibles, mais le film se suffit de son concept, délaissant son texte au passage. Rankin démontre certainement qu’il est capable de renouveler son esthétique sur la durée, mais en s’attaquant à son sujet toujours au premier degré, il fait un premier long qui s’essouffle rapidement.

13 décembre 2019

★★ ½ | Richard Jewell (Le cas Richard Jewell)

★★ ½ | Richard Jewell (Le cas Richard Jewell)

Réalisation : Clint Eastwood | Dans les salles du Québec le 13 décembre 2019 (Warner Bros.)
Critique acerbe de l'univers médiatique et des abus de pouvoir du gouvernement américain, Richard Jewell est un film qui expose la rapide ascension d'un bon samaritain au statut de héros ainsi que sa chute brutale avec l'étiquette de criminel. Réalisé par Clint Eastwood, le film prend le parti de raconter, du point de vue du présumé coupable, l'histoire vraie d'un gardien de sécurité ayant découvert un colis suspect lors des Jeux olympiques d'Atlanta de 1996. Sa rapidité à aviser les autorités en place permettra de sauver plusieurs vies. Cependant, pour le FBI, il deviendra le suspect numéro. S'ensuivra un cirque médiatique qui détruira tout sur son passage.
On pourra louer la prise de position du réalisateur et du scénariste. Tout en défendant le personnage de Jewell, il le définit comme un homme problématique, un homme au cercle social restreint, vivant chez sa mère, obsédé par les notions de la loi et l'ordre. Le but de son existence est de faire carrière dans les forces de l'ordre. Ce sont ses particularités, sa singularité en marge de la société qui feront de lui le parfait bouc émissaire.
La mise en scène du réalisateur, ainsi que l'interprétation sensible de Paul Walter Hauser, forment une combinaison gagnante. Après tout, le film nous propose l'histoire d'un homme un peu banal et étrange qui se fait engloutir par une suite d'événements qui le dépassent. Sans trop d'artifices ou d'effets cherchant à accentuer la tension dramatique ou orienter l'émotion, la mise en scène se calque au personnage principal. Jewell ne saisit pas tous les codes sociaux, il semble en constant décalage avec ses interlocuteurs et pourtant, il possède un aspect très humain dans lequel on pourrait peut-être se reconnaître. Cependant, le film bat de l'aile dans sa caractérisation des autres protagonistes. Les médias, personnifiés par une seule journaliste (qui semble être la seule dans la ville d'Atlanta), n'ont pas de sens moral, prêts à tout pour obtenir une primeur. Le FBI n'est qu'un bloc monolithique qui agit comme une force brute. Le problème n'est pas tant dans la critique, car on ne peut nier les problèmes flagrants liés à l'abus de pouvoir. Toutefois, on pourra dénoter de nombreux raccourcis au niveau de l'écriture en seconde moitié (l'enquête pour prouver l'innocence du personnage qui dure le temps d'une marche vers une cabine téléphonique ; la démonstration que la journaliste a finalement un cœur ; la finale qui laisse perplexe).
Malgré ses défauts, Richard Jewell fait écho au climat de névrose médiatique qui nous entoure encore aujourd'hui. Il est dommage de constater qu'il ne va pas au bout de ses idées.

5 décembre 2019

★★★ | Waves (Vagues)

★★★ | Waves (Vagues)

Réalisation : Trey Edward Shults | Dans les salles du Québec le 6 décembre 2019 (Entract Films)
Autant l’écrire d’emblée : le ★★★ attribué au nouveau film de Trey Edward Shults peut sembler sévère… mais l’incroyable talent du cinéaste de It Comes At Night mérite notre plus grande intransigeance !
Pour son troisième long métrage, le réalisateur/scénariste aborde encore et toujours le thème de la famille, traité de manière plus frontale (et beaucoup moins subtile) que dans son film précédent. Certes, le scénario est plus ambitieux, souhaite aborder sans ambiguïté de nombreux sujets, mais il le fait avec une telle insistance qu’il prend le risque d’agacer plus qu’il ne touche vraiment, ce qui a pour conséquence de faire perdre un peu d’impact aux thèmes qu’il nous impose trop maladroitement. Heureusement, certains aspects viennent contrebalancer ces faiblesses, comme la mise au premier plan (très maîtrisée d'un point de vue narratif), à mi-parcours, d’un personnage jusqu’ici secondaire, ainsi que l’intelligence (et la nuance) avec laquelle sont dépeints les personnages, tous d’ailleurs formidablement interprétés.
Mais la grande force du film est probablement la mise en scène très immersive de Trey Edward Shults. Épaulée par une bande-son très efficace, elle plonge le spectateur dans le film, aux côtés de ses personnages, de leurs défaillances, de leur perte de contrôle, ou au contraire de leur douceur… avec une originalité qui la situerait quelque part, de manière plus qu’improbable, entre Terrence Malick et Gaspar Noé. À ce titre, la séquence durant laquelle le jeune lutteur est mis en difficulté, et va être conduit à une blessure que l’on sait inéluctable, est exemplaire. Malheureusement, cette capacité de la mise en scène à happer le spectateur se retourne contre le film lorsque celui-ci nous décrit des situations tellement fortes qu’elles auraient pu se contenter d’un traitement plus délicat (la séquence charnière par exemple). Parfois, trop, c’est vraiment beaucoup trop, même lorsqu’on a du talent. Waves nous le rappelle plus souvent qu’autrement.
Alors, oui, il faut voir absolument Waves car Trey Edward Shults est à n’en pas douter un cinéaste qui va compter dans les années à venir… mais aussi parce que ce film possède de qualités qui combleront probablement de joie les cinéphiles les plus exigeants. Espérons juste qu’à l’avenir, Shults trouve son équilibre entre un scénario trop ambigu pour certains (It Comes At Night) et beaucoup moins subtil dans le traitement de ses thématiques pour d'autres (Waves).
À suivre…

28 novembre 2019

★★★ | Atlantique

★★★ | Atlantique

Réalisation : Mati Diop | Dans les salles du Québec et sur Netflix le 28 novembre 2019 (Netflix)
Surprise du dernier Festival de Cannes (Grand prix du jury), Atlantique débarque conjointement sur nos écrans et sur la plateforme numérique Netflix. Également en lice dans la course à l'Oscar du meilleur film étranger (représentant le Sénégal), ce premier long métrage de l’actrice/réalisatrice d’origine française et sénégalaise Mati Diop démontre un talent certain bien qu’il ne remplisse pas toutes ses promesses.
Le titre du film renvoie à cette tour futuriste à Dakar que des ouvriers non rémunérés cherchent à fuir pour des jours meilleurs, laissant derrière eux leurs femmes ou futures épouses. Une idylle entre un jeune ouvrier local et une jeune femme promise à un autre prend une tournure inattendue lorsque l'amant quitte la ville en pleine nuit.
Très ambitieux, ce film mêle une histoire d’amour impossible et une allégorie politique sur la condition des travailleurs et réfugiés au Sénégal. À cet égard, Atlantique prend une tournure onirique et fantomatique dans une seconde partie qui bifurque vers le conte fantastique. Le film, contemplatif et envoûtant, séduit par moments et soigne sa forme et son langage cinématographique (l’eau, l’horizon lointain, l’obscurité, etc.)... donnant parfois l'impression d’un croisement improbable entre Endless Love de Zeffirelli et l’univers des films de Claire Denis.
Cependant, comme beaucoup de premiers films, il souffre de cette tendance à vouloir en faire trop afin de faire passer les préoccupations allusives qui sont chères à son auteur. Cela donne un résultat mystérieux et somme toute intéressant, mais comportant son lot de lacunes dans la construction narrative.
Le mélange des genre n’est en définitive pas toujours concluant, principalement l’enquête policière des suites d’un mystérieux incendie qui se marie assez mal à l’ensemble, ajoutant à cette intrigue sinueuse un portrait collectif plus médusé que trouble.