25 février 2021

★★★½ | La déesse des mouches à feu

★★★½ | La déesse des mouches à feu


Réalisation: Anaïs Barbeau-Lavalette | Dans les salles du Québec le 25 septembre 2020, puis le 25 février 2021 (Entract Films)

Soyons honnêtes. Jusqu’ici, les longs métrages de fiction d’Anaïs Barbeau-Lavalette ne nous avaient pas convaincus. Certes, la cinéaste avait le grand mérite de regarder aussi bien ici (Le ring) qu’ailleurs (Inch'Allah), mais son écriture scénaristique laissait grandement à désirer et confondait trop souvent qualités artistiques et bons sentiments. (Nous précisons scénaristique... il n’est bien évidemment pas question des autres formes d’écriture qu’affectionne Barbeau-Lavalette.)
Autant dire qu’avec La déesse des mouches à feu, nous avions quelques inquiétudes puisqu’elle ajoutait à nos craintes passées de possibles écueils où plus d’un·e·s ont échoué (adaptation d’une œuvre littéraire aux qualités reconnues; film sur l’adolescence nous confrontant à la sainte trinité à haut risque (phase rebelle; découverte des substances illicites; conflits avec des parents qui sont eux-mêmes en conflit entre eux).
Et pourtant... pour notre plus grand plaisir, Barbeau-Lavalette évite un grand nombre de pièges potentiels et nous livre un bon film. Le scénario de Catherine Léger y est pour beaucoup. Délaissant les lourdeurs trop souvent imposées (explications psycho-socio-généalogico-jenesaisquoi de chaque action), il va à l’essentiel, élimine le superflu, et parvient aussi bien à dresser le portrait d’une jeune femme qui se cherche et d’un groupe d’amis (qui ne sait pas trop non plus où il va!) qu’à traiter des sujets d’un simple plan (une amie d’hier qui sort de sa vie, parce que la vie est ainsi faite) ou avec une intelligence rare (a-t-on déjà aussi bien parlé de suicide au cinéma en si peu de mots et d’images?). En osmose parfaite avec sa scénariste, Anaïs Barbeau-Lavalette nous offre une mise en scène qui possède à la fois la fougue de la jeunesse, la délicatesse de la cinéaste et de vraies propositions jamais affectées. Le sens de l’observation de Barbeau-Lavalette (évident depuis son premier film) peut alors s’exprimer pleinement.
Grâce à la parfaite union de ces deux talents, mais également aux talents de l’ensemble des comédien·ne·s (impeccables), La déesse des mouches à feu fait figure de grande réussite. À ce jour, LE film québécois à voir en 2020... sans le moindre doute!
★★★ | Alcootest / Another Round  (Druk)

★★★ | Alcootest / Another Round (Druk)

Réalisation: Thomas Vinterberg | Disponible au Québec en VSD à partir du 18 décembre 2020 et en salle à partir du 26 février 2021 (Métropole)
Avec Alcootest, Thomas Vinterberg retrouve Mads Mikkelsen quelques années après le très réussi La chasse. Le résultat, un peu moins maîtrisé, est également beaucoup moins désabusé.
Avec le passage du temps et l’installation du petit traintrain de la vie (professionnelle et domestique), la lassitude peut prendre le dessus. Quatre profs vivent cette triste réalité, jusqu’à ce qu’ils décident de tester la théorie d’un chercheur danois dont l'affirmation peut surprendre: nous naissons avec un déficit d’alcool dans le sang et le taux d’alcool idéal est de 0,5 g. Avec une volonté scientifique digne de leur statut d’enseignants, ils vont donc opter pour une consommation raisonnée, et leur vie va changer pour le mieux. Du moins pour un temps... l’augmentation des doses au delà du raisonnable ne correspondant pas à une hausse de bien-être!
Malheureusement, Vinterberg se laisse un peu enfermer dans son idée de départ et ne parvient jamais vraiment à faire sortir son film de sa morale: boire un peu, c’est bien, mais boire trop, c’est dangereux. Certes, il parvient à donner vie à d’attachants personnages et à créer de véritables interactions avec leurs entourages (famille, élève, collègues), mais le tout, trop théorique, peu incarné et surtout trop illustratif, ne convainc pas totalement. Fort heureusement, les lourdeurs d’écriture sont contrebalancées par la capacité de Thomas Vinterberg à filmer la vie, et principalement trois de ses composantes: la lassitude, les espoirs et les excès. Sa collaboration avec Mads Mikkelsen fait une nouvelle fois mouche, et au delà du discours, c’est surtout le portrait de son personnage que l’on retiendra.
Lors de la toute dernière scène, il peut avec sérénité trouver ce qu’il n’avait alors jamais vraiment trouvé : l’état (réellement) festif. Le prof se libère alors et nous offre une séquence dans laquelle l’envie de vivre en toute liberté explose enfin, de manière plus spontanée et moins calculée qu’à l’occasion des expérimentations éthyliques mal contrôlées. Parfois, une fin est si belle qu’elle fait oublier quasi instantanément les faiblesses d’un film. C’est le cas avec la dernière scène d'Alcootest!
★★★ | Deux

★★★ | Deux

Réalisation: Filippo Meneghetti | Disponible en VSD au Québec à partir du 5 février, et en salle à partir du 25 février 2021 (Métropole Films Distribution)
Deux, premier long métrage du réalisateur Filippo Meneghetti, aura l’honneur de représenter la France aux prochains Oscar. Également récipiendaire de deux Prix Lumière (dont celui de la meilleure première œuvre), le film arrive maintenant en VSD au Québec.
Très rapidement, Deux attire l’attention par son esthétique qui se rapproche de celle du thriller: la photo assez sombre d’Aurélien Marra évoque en effet instantanément ce genre. À l’évidence délibéré, le choix est confirmé durant tout le film par certains aspects de mise en scène (le plan de la femme qui rend visite, le soir, aux enfants de sa maitresse, par exemple) ou/et de scénario (les visites nocturnes dans l’appartement d’en face, pour ne citer qu’elles). En raison de cet univers, le spectateur qui assiste à cette histoire d’amour entre deux femmes âgées ressent le poids d’une fatalité: les choses ne se passeront pas simplement, et ce lesbianisme du troisième âge ne se fera à l’évidence pas sans heurts, ce que confirme vite la suite. Même en apparence ouverte d’esprit, une fille d’une quarantaine d’années n’accepte pas si facilement le fait que sa mère aime une autre femme, et cela en cachette depuis des décennies.
Le sujet, qui fut probablement tabou par le passé, a indéniablement sa place à notre époque, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. La volonté du cinéaste de faire glisser son cinéma vers le cinéma de genre pour aborder un sujet social, même si Meneghetti n’est pas le premier à le faire, est également réjouissante. Il lui permet d’éviter certains pièges du drame en attirant l’attention vers d’autres enjeux, ce qu’il parvient à faire. Malheureusement, il pousse le bouchon un peu trop loin. En grossissant certains traits (pour ne retenir que l’exemple le plus flagrant, les relations avec la garde-malade, de la destruction de la voiture à la séance d’intimidation et de saccage de l’appartement), le cinéaste jette un si gros voile sur son drame humain qu’il finit par étouffer totalement son enjeu sociétal (l’histoire d’amour contrariée par la maladie de la femme aimée et par l’étroitesse d’esprit de la société).
Cette ambition mal maitrisée est regrettable car l’idée n’était pas mauvaise et le cinéaste ne manque pas de talent (il sait filmer et diriger ses actrices et acteurs, créer un univers singulier, prendre des risques).
Le film demeure à voir pour toutes ces raisons, et malgré ses faiblesses. De son côté, Filippo Meneghetti fait indéniablement son apparition sur la longue liste des cinéastes à suivre de près !

20 février 2021

★★¾ | I Care a Lot (Une action particulière)

★★¾ | I Care a Lot (Une action particulière)

Réalisation : J Blakeson | Disponible en VSD au Québec depuis le 19 février 2021
I Care a Lot, qui hésite constamment entre thriller et comédie noire, n'est pas passé loin d'être le petit film à voir bien au chaud dans le confort de son salon en attendant la prochaine (et probablement très provisoire) réouverture de nos salles de cinéma.
D’abord, le sujet n’est pas inintéressant. Certes, il s'agit d'une énième réflexion sur notre société qui nous oblige à choisir entre être loup ou mouton, mais le film de J Blakeson pousse certains éléments un peu plus loin que d'habitude. Non seulement les proies de la protagoniste sont des personnes âgées, donc particulièrement vulnérables, mais en plus, la manière dont le film introduit un parallèle entre l'entrepreneuse à succès et le mafieux est assez réussie. D'abord opposés en tout point, les deux personnages deviennent de plus en plus proches (ambitieux, ne renonçant jamais, plus forts après chaque nouvelle déconvenue, prêts à tout pour sauver ceux qu’ils aiment... et surtout, habités par une ambition hors norme et ne renonçant devant aucune opportunité). Seule une différence les sépare: l'un agit dans le secret de l'illégalité, alors que l'autre prend des allures d'exemple aux yeux d'un monde en quête aveugle et permanente de modèles de réussites. Autre point fort: Rosamund Pike, une nouvelle fois impeccable, parvient à apporter régulièrement des nuances à son personnage de manière impressionnante. Malheureusement, le reste ne suit pas. Non seulement le scenario est beaucoup plus simpliste que l'aurait exigé le sujet abordé, mais la mise en scène ne fait qu'accentuer cette faiblesse. Nous imaginons constamment ce que le film aurait pu être sous la direction d'un cinéaste de talent, mais devrons nous contenter d'un film paresseux, sans vrai cynisme, sans rythme et noyé par la musique redondante de Marc Canham.
Certes, les éléments positifs mentionnés plus haut suffiront à rendre le visionnement agréable. Mais cette critique prétendument acerbe sur l'ambition et la course au succès aurait mérité un meilleur sort. L'excellente prestation de Rosamund Pike, justement nommée aux prochains Golden Globes, également!

12 février 2021

★★★½ | Saint Maud

★★★½ | Saint Maud

Réalisation: Rose Glass | Disponible en VSD au Québec à partir du 12 février 2021 (Entract Films)
Le premier film de la britannique Rose Glass, précédé d’une réputation élogieuse, arrive sur les plateformes numériques québécoises, et il serait bien dommage de passer à côté.
Dès les premiers instants, nous suivons comme son ombre Maud, infirmière auprès d’une femme en fin de vie : ses gestes, les relations avec la malade dont elle s’occupe, mais aussi sa solitude et surtout sa certitude d’avoir enfin trouvé Dieu, après un passé difficile. Sur ce passé, Glass nous en dit le moins possible, seulement de quoi comprendre son sentiment de culpabilité, sa soif de rédemption, mais également son traumatisme qui semble l’élément déclencheur de sa chute. Car si Maud croit avoir trouvé Dieu, c’est en fait un trouble mental qui prend de plus en plus de place et qui finit par l’entraîner vers une folie de plus en plus envahissante. L’observation de cette dégradation, ou au contraire de ce faux sentiment d’ascension vers la plénitude (car plus Maud chute vers la folie, plus elle a le sentiment d’être l’envoyée de Dieu), est aussi impressionnant que glaçant. La réalisatrice, qui épouse parfaitement le point de vue de son héroïne, nous montre à l’écran ce que ressent Maud : le combat contre le Mal, son statut de bras armé du pouvoir divin, son sacrifice au service (et sous les yeux) de l’humanité reconnaissante. Logiquement, les derniers moments du film le font glisser vers l'horreur, de manière toujours pertinente, sans excès, avec la retenue relative que permet un tel personnage.
Épaulée par une superbe direction photo (sombre et volontairement terne) signée Ben Fordesman et par une interprétation subtile (même dans l’excès) de Morfydd Clark, Rose Glass nous offre avec Saint Maud un premier film remarquable, quelque part entre drame de la solitude (et/ou de la culpabilité) et fantastique horrifique. À ne pas manquer!

30 janvier 2021

★★★½ | Adolescentes

★★★½ | Adolescentes

Réalisation : Sébastien Lifshitz | Disponible au Québec en VSD sur divers plateformes
Présenté aux RIDM 2019, et fraîchement auréolé du prestigieux prix Louis-Deluc du meilleur film français, Adolescentes, disponibles sur plusieurs plateformes de visionnement en ligne, est un documentaire à ne pas manquer. Il suit le parcours de deux adolescentes, de 13 à 18 ans, dans la petite ville de Brive-la-Gaillarde.
Avouons-le cependant, les premiers moments soulèvent quelques réserves : on se demande en effet rapidement si le processus de filmage n’a pas eu une incidence sur le comportement des sujets, qui semblent parfois en représentation, notamment lors des scènes conflictuelles avec les parents. Mais progressivement ce sentiment s’estompe. Non seulement Sébastien Lifshitz modifie sa manière de filmer, mais surtout, il semble évident que lui et son équipe deviennent de plus en plus en plus transparents aux yeux des protagonistes, qui se mettent à agir de manière de plus en plus naturelle.
Le spectateur peut alors laisser de côté ses réserves pour s’intéresser au vrai sujet : l’évolution de l’amitié entre deux adolescentes sur une période de cinq ans… et là, un petit miracle se produit. En réussissant le casting parfait (deux amies que tout oppose, aussi bien physiquement que sociologiquement ou psychologiquement), le réalisateur parvient presque à dresser un portrait de l’adolescence en se focalisant sur seulement deux individus. Il nous offre également un instantané d’une époque marquée par les événements dramatiques que l’on sait (attentats en France).
Au-delà de son sens de l’observation et de la concision (500 heures de rushes étalés sur plusieurs années pour 2h25 de film), Lifshitz est également aidé par le hasard qui lui permet de nous proposer quelques épisodes dramatiques (l’incendie d’un logement, le coma d’une mère) qui se règlent finalement pour aboutir en une sorte de happy end plein d’espoir.
On aurait presque envie de les retrouver dans 10 ans, pour savoir ce qu’elles sont devenues, et si la vie qu’elles se sont construite a été à la hauteur de leurs espoirs adolescents. Ou, peut-être, pour faire le bilan des premières vraies désillusions !
À suivre ?