17 décembre 2021

★★ | Nightmare Alley (Ruelle de cauchemar)

★★ | Nightmare Alley (Ruelle de cauchemar)

Réalisation : Guillermo del Toro | Dans les salles du Québec le 17 décembre 2021 (Fox Searchlight Pictures)

En préambule, signalons que l'auteur de ces lignes n'est pas le plus grand fan de Guillermo del Toro, dont la qualité des films est à ses yeux inversement proportionnelle à leur ambition. Cela passait encore pour les deux précédents (le très beau visuellement Crimson Peak et le très surcoté The Shape of Water), mais ici, en s’éloignant pour la première fois du fantastique, le cinéaste passe totalement à côté de son film. Pourtant, l’idée même de faire un film qui montre comment tout élément fantastique n’est qu’illusion ressemblait à un pied de nez amusant à sa carrière. (Nous suivons en effet un prétendu medium, qui n’est rien d’autre qu’un charlatan, ce qui est d’ailleurs le titre français de la première version de Nightmare Alley réalisée par Edmund Goulding en 1947). Voir un passionné de cinéma comme Del Toro s’engouffrer dans le genre noir (le film de 1947 était un pur film noir) nous laissait également espérer quelque chose de visuellement intéressant. Malheureusement, le cinéaste ne fait que tourner autour de l’esprit du noir sans en retrouver l’essence. Le personnage incarné par Cate Blanchett est certes l’archétype de la femme fatale, mais Del Toro ne fait rien d’autre avec le genre qu’il borde. Le début est trop poussif pour donner le sentiment que l’ombre de la fatalité plane sur ses héros (ce qui est très perceptible, et très réussi, dans le film de 1947), mais ce qui fait surtout défaut est le scénario, une nouvelle fois chez Del Toro d’une grande faiblesse et surtout d’une maladroite (et illusoire) complexité. Le résultat est sans appel : au lieu d’aller à l’essentiel, le cinéaste scénariste complexifie mise en scène et scénario comme s’il voulait régulièrement noyer le poisson ! Mais c’est son film qui prend l’eau… et encore bien plus que The Shape of Water, qui avait au moins le mérite d’avoir un certain charme.
Ici, pas grand-chose à se mettre sous la dent. Bien sûr, ici ou là, un plan ou une idée rappelle que le cinéaste a du talent ! On aimerait juste qu’il se souvienne plus souvent comment l’utiliser ! Alors en attendant, vous pouvez toujours regarder les photos extraites du film. Certaines sont très belles. C’est déjà ça !

9 décembre 2021

★★★ | Prière pour une mitaine perdue

★★★ | Prière pour une mitaine perdue

Réalisation: Jean-François Lesage | Dans les salles du Québec le 10 décembre 2021 (Les Films de l'Autre / Les Films du 3 Mars)
Dans le contexte spécifique des nuits d’hiver montréalais, Jean-François Lesage s’intéresse au comptoir des objets perdus de la STM et, à partir de ce point d’ancrage, ouvre la question à plusieurs intervenants sur les choses significatives que l’on perd au cours d’une vie. En ouvrant son approche sur des quidams, le réalisateur cherche à trouver l’intime et l’universel dans des événements et des pensées de parfaits inconnus. Agréable, il abandonne toutefois par moments son approche pittoresque en recherchant une profondeur dans son sujet, profondeur qui n’est pas toujours au rendez-vous.
Peut-être que la faute de Lesage tient au fait d’être aussi dépendant de ses intervenants. Ceux-ci étant choisis d’une manière qui semble hasardeuse, l’intérêt de Prière pour une mitaine perdue n’est égal qu’à leur discours. Alors que, par exemple, un homme atteint du VIH propose un témoignage touchant sur son passé, un groupe de jeunes adultes s’échangeant une cigarette ressasse de vagues propos sur la perte sans réellement avoir d’idées définies. Lesage se réclame du caractère simpliste de certaines interventions, mais une fois passé le charme de sa prémisse, celles-ci commencent à être répétitives et le cinéaste erre en s’efforçant de trouver son sujet.
Bien que sa démarche ait des fautes, Lesage se montre un habile documentariste. L’esthétique noir et blanc évoque magnifiquement les nuits froides de Montréal sans jamais écraser la simple beauté de la prémisse par son esthétisation. Lesage se montre attentif à ses sujets, ne les définissants souvent qu’avec de simples détails. Prière pour une mitaine perdue est une œuvre qui, pour le pire et le meilleur, s’intéresse avec empathie à la vie des passants qui n’aurait été que des figurants dans un autre film. Si le discours de certains ne dépasse parfois pas l’anecdote, l’approche chaleureuse de Lesage réconforte et offre un baume contre le marasme de l’hiver.

3 décembre 2021

★★★★ | La main de Dieu / The Hand of God (È stata la mano di Dio)

★★★★ | La main de Dieu / The Hand of God (È stata la mano di Dio)

Réalisation: Paolo Sorrentino | Dans les salles du Québec le 3 décembre 2021 | En VOD le 15 décembre (Netflix)

Après des incursions récentes dans le monde des séries et les épopées vaticanes et politiques (The New Pope, Loro et The Young Pope), le cinéaste italien Paolo Sorrentino revient au cinéma dans tous les sens du terme et dans sa Naples natale avec La Main de Dieu. Récompensé par le Grand prix du jury de la Mostra de Venise plus tôt cette année, ce film à saveur autobiographique nous plonge dans la ville de Naples en 1984 alors que le destin d’un adolescent mal dans sa peau va basculer à jamais.
Avec ce huitième long métrage, le réalisateur de La grande beauté réalise son film le plus personnel et ambitieux à ce jour, une œuvre à la fois intimiste et grandiose où se mêlent la famille, le cinéma et le sport. La venue du légendaire joueur de foot Diego Maradona y constitue le pivot de ce drame sur le passage à l’âge adulte à la rude…où le rêve est éclipsé par des événements dramatiques avant l’inévitable quête de sens et la découverte de sa propre identité.
Sous l’apparence d’un récit fourre-tout et anecdotique, le cinéaste joue habilement avec les émotions et fait preuve d’une grande chaleur humaine. Il touche au sacré et au profane de façon habile, les deux éléments alimentant les pensées et les sentiments d’un adolescent pubère et imaginatif (l’excellent nouveau venu Filippo Scotti, dont l’émotion passe d’abord par son regard sur ce qui l’entoure). Grand admirateur de Fellini depuis toujours, Sorrentino raconte ainsi ses souvenirs d’enfance comme un conte magico-réaliste peuplé de personnages colorés, où le réel et l’imaginaire se chevauchent dans un esprit subversif. Avec sa mise en scène détaillée aux allures pittoresques et ses images somptueuses et nocturnes, Sorrentino signe un grand film nostalgique rempli d’une douceur ironique qui, en quelque sorte, est son Amarcord à lui.
À voir absolument sur grand écran avant qu’il ne débarque sur Netflix le 15 décembre.

26 novembre 2021

★½ | Mauvaise blague ou porno barjo / Bad Luck Banging Or Loony Porn (Babardeala cu bucluc sau porno balamuc)

★½ | Mauvaise blague ou porno barjo / Bad Luck Banging Or Loony Porn (Babardeala cu bucluc sau porno balamuc)

Réalisation: Radu Jude | Dans les salles du Québec le 26 novembre 2021 (Métropole)
Radu Jude n’est pas le premier venu. Il a en effet quelques films à son actif et a remporté l’Ours d'argent du meilleur réalisateur au festival de Berlin en 2015 pour Aferim. Pourtant, avec Mauvaise baise ou porno barjo, il semble vouloir jouer la carte du bon élève du cinéma de son temps en caressant les jurys de festivals dans le sens du poil, ce qu’il fait avec une telle réussite qu’il a cette année obtenu l'Ours d'or du meilleur film, toujours à Berlin.
Le film est donc très convenu dans sa volonté de déstabiliser et d’appuyer un propos d’une banalité affligeante avec un sens de la démonstration d’une lourdeur exemplaire.
Tout commence par une scène de sexe explicite (pas barjo du tout, contrairement à ce que le laisse supposer le titre, mais simplement composée d’une inoffensive fellation suivie d’une banale levrette). Après cette apparente volonté de choquer le bourgeois d’emblée, le film peut entrer dans le vif du sujet en suivant l’héroïne errant dans une ville aliénante où se côtoient une pollution sonore et visuelle (principalement les véhicules, qui viennent régulièrement au premier plan pour cacher le sujet de l’action) et une population nuisible (la violence de certains, pour un oui pour un non).
La démonstration commence donc à prendre forme (la représentation du sexe explicite est-elle si grave à côté de ce que nous offre notre mode de vie ?) sans le moindre intérêt cinématographique. Mais comme ce n’est pas assez, le cinéaste nous offre une seconde partie tout aussi théorique et sursignifiante : un montage d’images qui dénonce les bassesses et les horreurs de notre monde. Une fois encore, le message est clair.
Avec la troisième partie, commence à ce qui nous confronte le plus à l’enjeu narratif du film : le jugement par un tribunal de parents d’élève de la prof dont la vidéo évoquée plus haut est arrivée par malheur sur internet. Cet interminable segment continue d’enfoncer des portes ouvertes. (Rappelons une nouvelle fois la thèse du film : « L’hypocrisie, la bêtise et la violence sont bien plus obscènes que la franchise des corps.» Rien de nouveau sous le soleil ! A-t-on besoin d’un film aussi didactique et maladroit pour illustrer un propos d’une telle banalité et dénué ici de la moindre complexité ?)
Heureusement, à la toute fin, comme s’il était conscient du caractère ridiculement sérieux de son film, Jude se fait un pied de nez à lui-même en prenant des distances face à son indigeste démonstration. Rien que pour ça, nous aurions presque envie d’être indulgents. Mais ça serait trop facile… Nous préférons oublier et passer à autre chose !

19 novembre 2021

★★★ | The power of the Dog (Le pouvoir du chien)

★★★ | The power of the Dog (Le pouvoir du chien)

Réalisation: Jane Campion | Dans les salles du Québec depuis le 17 novembre | Sur Netflix à partir du 1 décembre

Après plus de dix ans d’attente, Jane Campion nous revient enfin avec un nouveau long métrage ! Elle y explore un univers très viril (celui du western), en suivant dans un premier temps la confrontation de deux frères aux personnalités diamétralement opposées. Très vite, un personnage féminin fera son entrée dans la danse, tout comme celui de son fils, jeune adulte éduqué et artiste, à des années-lumière du héros de western.
La cinéaste continue alors son petit jeu de confrontation des contraires entre ses différents personnages, mais également entre les grands espaces et les intérieurs, associés à des référents westerniens très signifiants (le masculin et le féminin), en prenant un malin plaisir à brouiller les cartes pour permettre aux contraires de se rapprocher (?), à certains liens de s’étioler, et surtout aux certitudes de se déliter.
Les enjeux multiples qu’aborde Campion avec une grande intelligence (car avec un refus de la facilité et un sens de la nuance parfaitement maitrisée), son indéniable sens de la mise en scène (la valse des personnages entre intérieur et extérieur) et ses qualités de direction d’interprètes (Benedict Cumberbatch, Kirsten Dunst et Jesse Plemons ont rarement été aussi excellents!) auraient pu contribuer à faire de The power of the Dog un très grand film. Il ne l’est malheureusement pas, comme il n’est pas la meilleure relecture d’un genre par Campion (nous préférions sa relecture du film noir avec le pourtant malaimé In the Cut, que nous conseillons plus que jamais de revoir).
La faute en revient probablement à sa durée, trop courte (malgré ses 2 h 06) pour aller en profondeur dans l’exploration du concept mis en place par la réalisatrice. La succession de confrontations qu’elle construit (les deux frères, les futurs époux, le fils et son oncle par alliance, etc.) qui n’a pas le temps de rendre compte de leur richesse, de leur complexité, de leur évolution. Le rythme aurait probablement gagné à être plus lent, le temps plus étiré, le film plus long. Pour cette raison, le film manque de “vie” et se transforme régulièrement en exercice certes intelligent et bien construit, mais rendu abstrait par des personnages qui ressemblent plus à des portevoix d’une intention de cinéaste qu’à des vecteurs de la complexité des sentiments et des relations.

12 novembre 2021

★★½ | Boîte noire

★★½ | Boîte noire

Réalisation Yann Gozlan | Dans les salles le 12 octobre 2021 (TVA films)
Boîte noire, du réalisateur Yann Gozlan, prend plaisir à opposer l’urgence d’un écrasement d’avion à la minutie de l’enquêteur chargé de découvrir ce qui s’est réellement passé. Il en résulte un film au rythme lent qui nous tient en haleine du début à la fin. La mise en scène est à l’image du personnage principal incarné avec brio par Pierre Niney. L’acteur interprète avec nuance un antihéros qui, dans des circonstances bien nébuleuses, sera chargé d’une enquête. Il nous est présenté comme un être antisocial, quelque peu arrogant, frôlant peut-être les limites du génie, à la recherche bien malgré lui de la vérité absolue. Cette recherche de vérité, ou ce besoin obsessionnel d’avoir raison, sert bien le récit. Dans la tête du héros, la ligne est mince entre le besoin de justice et les théories du complot. En ce sens, le scénario brouille habilement les pistes, en multipliant les suspects et les causes de l’écrasement d’un avion dans les Alpes. La source audio de la boîte noire est endommagée. Cet extrait audio qui sera repris plusieurs fois durant le film nous laisse entrevoir une vérité sans jamais parvenir à l’atteindre.
En jouant sur une probable paranoïa et sur le passé trouble de notre enquêteur, la mise en scène à la structure classique s’appuie énormément sur le travail du son. On regarde, mais surtout on est attentif à l’environnement sonore. Le personnage principal est doté d’une faculté particulière ou d’une condition médicale (ce n’est jamais précisé): il peut déceler des fréquences sonores que le commun des mortels ne pourrait saisir. Il excelle dans son domaine. Nous restons donc à hauteur (ou à oreille) du personnage principal qui s'enlise graduellement dans les multiples causes probables de l’écrasement.
Avec un film d’une durée d’un peu plus de deux heures, le dernier acte est toutefois décevant. Après avoir pris tout ce temps pour nous présenter une intrigue solide, on se précipite vers la finale à la vitesse de l’éclair. On boucle toutes les boucles et on finit par découvrir toute la vérité et encore plus. Il est dommage de constater que le film ne nous permet pas de tirer nos propres conclusions. La justice et la droiture finiront par l’emporter. Cela n’empêche pas de bouder son plaisir. Boîte noire demeure une œuvre divertissante qu’on prend plaisir à regarder et surtout à écouter.