25 septembre 2011

Entrevue avec Dominic Desjardins (réalisateur de La sacrée)

À l’occasion de la sortie prochaine de la comédie franco-ontarienne La sacrée (dans les salles le 30 septembre 2011, lire notre critique), nous avons rencontré son réalisateur Dominic Desjardins.

La sacrée est votre deuxième film après Le divan du monde. Pourriez-vous nous parler de votre parcours?
J’ai commencé comme comédien. J’ai fait mes études en France, à Paris, puis j’ai travaillé quelques années là-bas, au théâtre. Mais pendant mes études, j’ai pris un break entre ma deuxième et ma troisième année pour faire la course Destination Monde. C’est un peu ce qui m’a propulsé dans le monde de la réalisation. Je suis ensuite revenu au Québec, et cela fait maintenant six ans que je suis en Ontario. Depuis, j’ai créé une compagnie de production avec ma conjointe. J’ai fait mon premier film, Le divan du monde, à partir de Toronto, et nous venons de terminer La sacrée, mon deuxième long métrage. (…)

Et donc, vous êtes Québécois d’origine… et Ontarien d’adoption?
Oui, j’attends toujours mon passeport… ils ne me l’ont pas encore envoyé! Franco-Ontarien d’adoption… Mais c’est assez complexe, car j’ai grandi aussi au Nouveau Brunswick, j’ai habité la ville de Québec, j’ai passé six ans an France, je suis revenu à Montréal, puis je suis allé à Toronto. Je bouge tout le temps; je me retrouve souvent dans un contexte qui n’est pas le Québec, mais j’aime ça. J’aime être à la découverte d’une nouvelle culture, être un peu déstabilisé, ne pas être assis sur mes lauriers ou mes origines… mais ça me fait chaud au cœur de revenir au Québec pour présenter le film… vraiment!

Justement, vous parliez de ne pas vous reposer sur vos lauriers… La sacrée est un film Ontarien… mais francophone! N’est-ce pas trop difficile de monter un tel film?
Oui… ça a été extrêmement difficile. Le producteur Mark Chatel a fait un travail incroyable. Il a réussi à convaincre tout le monde, et il fallait vraiment que tous les joueurs soient convaincus, faute de quoi nous ne serions pas arrivés au budget minimum pour faire le film. Un film franco-ontarien était un peu un OVNI, mais les gens ont décidé d’embarquer : TFO, Radio-Canada, Téléfilm, la SODIMO (qui est un peu l’équivalent de la SODEC en Ontario)… c’est extrêmement rare qu’ils financent un film en français! (…) On a donc eu assez pour faire une comédie grand public… c’était le défi, et on est extrêmement fiers de le faire. Et ça s’est senti pendant le tournage. (…) Les gens mettaient beaucoup de cœur à l’ouvrage! Les comédiens et l’équipe étaient très fiers de participer à un projet de chez eux! On a rapatrié des comédiens franco-ontariens qui sont maintenant au Québec (Marc Marans, Louison Danis, Damien Robitaille… pour son premier rôle au cinéma) et il y avait une ambiance magique sur le plateau. Ça a été vingt journées de bonheur (…).

Auriez-vous pu envisager de faire le film au Québec en cas de problème pour trouver des financements?
(…) Même si ce film ne porte pas de drapeau, l’histoire se déroule dans un petit village de l’Ontario français. Nous ne voulions pas transposer le film en Gaspésie par exemple! Nous voulions surtout savoir s’il était possible de faire une comédie grand public en Ontario français. Si nous n’avions pas eu le financement, nous n’aurions simplement pas fait le film!

Et le film jouira t-il d’une distribution proche de celle d’un film québécois?
On l’a fait en Ontario français, mais je pense que les gens d’ailleurs vont s’y reconnaitre. C’est l’histoire d’un petit village qui est en perte de vapeur car les jeunes sont partis et les industries sont mortes. Il a partout de tels villages. Les personnages ont des particularités locales… mais si tu vas en Beauce ou dans le nord du Québec, il y aura aussi des accents différents ou des particularités qui peuvent devenir prétextes à des situations comiques. (…) Le personnage principal vit un retour aux sources, et doit accepter d’où il vient. Au début, c’est un arnaqueur qui prétend être ce qu’il n’est pas… puis il renoue avec ses origines et avec qui il est vraiment. C’est l’intérêt de ce film : une humanisation d’un personnage qui retombe en amour avec son village natal. Pour moi, c’est universel. (…)

Votre approche est assez éloignée du réalisme, on est dans une fable… il y a une certaine naïveté aussi (sans que cela soit péjoratif). N’avez-vous pas eu peur que cette approche donne l’impression que le travail sur les particularités linguistiques est accentué par rapport à la réalité?
En fait, on a essayé de créer un village coloré au niveau des personnages, mais authentique. Bien sûr, on est dans la fable avec l’histoire de la bière qui redonne des pouvoirs de fertilité. Mais si on regarde le film, de façon générale, il n’y a pas d’éléments fantastiques à par cette prémisse, qui joue beaucoup pour le personnage principal qui est prêt à croire n’importe quoi. C’est la même chose pour le village. Ils sont tellement à l’affût d’un sauveur qu’ils sont prêts à prendre n’importe qui. Pour moi, les éléments fantastiques s’inscrivent bien dans un village qu’on pourrait retrouver un peu partout en Ontario ou au Québec… dans des régions éloignées. Par contre, c’est sûr qu’on a affaire à une comédie donc le ton est plus vivant. (…) Si nous étions partis de façon trop réaliste, sans cet élément de conte, ça aurait peut-être été plus difficile d’embarquer dans cette histoire. Il fallait trouver un juste équilibre (…).

L’aspect conte me fait penser à votre façon de filmer des paysages de façon aérienne, en automne, avec les couleurs (et une très belle photo)… ça nous propulse un peu dans un conte. C’est ce qui a motivé votre envie de faire ce genre de plans?
Oui, tout à fait. Un plan aérien laisse l’esprit ouvert. C’est une approche douce. Au lieu de commencer avec une scène dans laquelle des gens se parlent, on commence en plan aérien, on survole le village de Fort-Aimable, et une voix s’occupe de la narration. Pour moi, c’est un peu comme dans n’importe que conte : « Il était une fois dans un pays pas si lointain ». Après, on va voir le personnage principal, qui est un arnaqueur pris dans ses embrouilles à Montréal, mais on garde à l’esprit que le film va être l’histoire d’un village. On reste imprégnés de cette première image de Fort-Aimable vu depuis les airs.

Et à Fort-Aimable justement, les gens parlent un français que l’on n’a pas l’habitude d’entendre. Il y a un gros travail sur différents niveaux de langage. Il y a notamment le personnage de Damien Robitaille qui a un parler très singulier! Tous les dialogues étaient écrits comme ça, ou chaque acteur a-t-il ajouté sa petite touche personnelle?
Daniel Marchildon, avec qui j’ai collaboré pour faire le scénario, vient du même village que Damien. C’était donc facile de trouver une authenticité. Si les personnages étaient hors contexte, on pourrait avoir l’impression qu’on rit de leur accent et qu’on en met des tonnes… mais c’est comme ça qu’ils parlent, et c’est fantastique! Ce qui est intéressant dans ces accents, c’est la répercution sur le personnage principal, qui hait que les gens mettent des « de » partout! L’histoire, c’est tout son parcours intérieur qui l’amène à accepter les défauts de son village… et donc ses défauts à lui… et sa vraie identité. Ça ne veut pas dire que le film est un message pour dire aux jeunes de revenir dans leur patelin natal et d’élever des vaches… mais dans la vie, si tu veux être vraiment toi-même, il faut que tu épouses ton passé, d’où tu viens, et que tu l’intègres…

Et comment définiriez-vous le film en quelques mots? De mon côté, j’ai envie de parler de bonbon!
(rires) C’est drôle, car Damien Robitaille, qui la réplique facile et un bon humour, disait que pour lui, c’est une comédie pour les franco-ontariens, et que c’est un film de science fiction pour les québécois, car ils ne sont pas au courant qu’il y a des francophones hors Québec, qui en plus sont capable de faire du cinéma.

Justement, cet aspect est intéressant! Je dois vous dire que je suis Français… et sans faire de politique, quand j’entends parler de souveraineté du Québec, je ne peux pas m’empêcher de penser…
Qu’est-ce qui va arriver du million de francophones hors Québec?

Tout à fait! Vous avez pensé à ça en faisant le film?
Non, car mon film n’est pas du tout politique! Je ne veux pas vendre l’Ontario français. C’est le fun car ça le fait connaitre, ça fait connaitre les artisans de l’Ontario, mais il n’y a pas de portée politique autre que montrer une région du Canada qu’on ne voit pas souvent à l’écran et qui va autant toucher les Québécois que les Franco-Ontariens, les Français, les Belges et tous les gens qui parlent français… ou même anglais! Dans le film, les questions sur l’opposition ville /campagne, le retour à son identité ou le fait de laisser tomber les masques pour accéder au bonheur sont les thèmes plus fort que tout message politique. Et surtout, c’est une comédie avec un village qui arnaque un arnaqueur, des personnages colorés et des acteurs formidables! Pour moi, si les gens ont bien ri (…), c’est réussi! (…)

Pour finir… une question classique : avez-vous des projets?
Je commence à travailler avec les acteurs sur mon prochain projet. On va élaborer un scénario ensemble, sans passer par le scénario écrit. On va le construire à mesure, avec des improvisations. Et dans six mois, j’espère avoir un scénario à tourner, et ça ne parlera peut-être pas de l’Ontario français, même si je suis à Toronto! L’important est de raconter des belles histoires, des histoires qui touchent. (…)
Entrevue réalisée par Jean-Marie Lanlo à Montréal le 21 septembre 2011
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