14 octobre 2014

FNC 2014: Entrevue avec Noël Mitrani (Le militaire)

À quelques jours de la présentation de son dernier film au FNC, nous avons eu le grand plaisir de nous entretenir avec Noël Mitrani. Ce fut pour nous l’occasion de parler de son travail sur Le militaire, mais aussi de super 16, de la difficulté de distribuer des films indépendants et du système des subventions au Québec!

Le militaire va être projeté à l’occasion du prochain FNC. Pouvez-nous vous présenter brièvement le film ?
Au départ, le principe était de faire un film avec Laurent Lucas, et de faire la description d’un personnage la plus précise possible, en disant tout ce que le personnage avait besoin d’exprimer. J’ai voulu faire un travail extrêmement sincère. Je l’ai coproduit avec le directeur photo Bruno Philip, et étant producteur, j’ai pu avoir un contrôle total sur le contenu. C’était très important pour moi de voir jusqu’où je pouvais aller dans l’écriture d’un film pour lequel je n’avais pas de contraintes financières et pas la nécessité de devoir convaincre des commanditaires ou des financiers. C’est très important au niveau créatif, car ça permet de ressentir une bouffée d’air frais, ce dont j’avais vraiment besoin. D’un point de vue artistique, j’avais ce personnage qui me trottait dans la tête, un personnage de militaire qui boitait. J’aime bien travailler sur des personnages qui ont vécu quelque chose de fort et qui sont en prise avec leur passé.

Vous parliez de liberté artistique… concrètement, comment ça s’est traduit dans ce film?
Ça s’est traduit par un scénario de 35 ou 40 pages au lieu d’un scénario de 120 pages. Il n’y avait que les descriptions élémentaires de chaque scène. J’ai donné la première version à Laurent qui l’a lue, qui m’a fait quelques commentaires très intéressants, et très rapidement, j’ai compris que le film allait exister à la réalisation. Ça a été déterminant car je savais en commençant le tournage que le scénario était abouti dans ses intentions, mais pas abouti dans son extension, c’est-à-dire dans son écriture. Il manquait des maillons et je savais que je trouverais ces maillons au tournage, au fur et à mesure. Rien n’est plus précieux que d’avoir filmé une scène et d’avoir vu ce qu’on a fait, car ça permet de préciser certaines intentions. Avec Laurent, on a fait un travail extraordinaire à ce moment-là. Tous les matins je me levais à 5 heures du matin et j'écrivais deux ou trois scènes qui me semblaient importantes à insérer dans le film. J’avais un plan de travail qui me faisait finir vers 3 heures de l’après-midi, et il nous restait 2 heures pour filmer les scènes additionnelles écrites le matin. C’est extraordinaire de pouvoir travailler comme ça. Si on travaille avec des gens qui vous donnent de l’argent, c’est totalement impossible. Ce n’est pas de l’improvisation, mais de l’adaptation… c’est presque de la sculpture ou de la peinture: on ajoute les touches nécessaires au fur et à mesure.

Et quelle a été la part de Laurent Lucas dans le procéssus? Les dialogues étaient écrits intégralement? Vous lui laissiez une liberté?
Les dialogues sont écrits et respectés à 95%. Laurent a vraiment appris ses dialogues par coeur. Par contre, pour les scènes additionnelles, je disais à Laurent: «on va tourner deux ou trois scènes ce soir, mais je t’en parlerai 10 minutes avant de les tourner». Quand il y avait un petit dialogue, il pouvait travailler très vite, et il les apprenait pendant qu’on faisait la mise en place. L’idée du film, c’était de filmer chaque scène une seule fois, ce que nous avons vraiment respecté. Le but, c’est de considérer que les situation ne se présentent qu’une fois, et que nous allions les filmer. C’est en ça qu’il y a une valeur documentaire. Souvent, on pense que le documentaire consiste à faire bouger la caméra qu’on tient sur l’épaule, mais ce n’est pas ça. Le documentaire, c’est «la situation ne se présente qu’une fois». Il y a des personnes qui s’expriment, qui sont dans leurs vies, on les suit avec une caméra… et les choses ne se présentent qu’une fois! C’est ce qu’on a fait! Pour s’autoriser ce genre de chose, il faut vraiment un acteur de haut niveau… mais Laurent a cette capacité de jouer juste du premier coup et d’aller directement à l'essentiel en étant sobre. Avec un acteur moyen, je n’aurais jamais pu faire ça. C’était très fort car chaque scène était tournée en plan séquence, en 45 minutes, dans une stratégie documentaire: on ne peut pas découper dans un documentaire. On ne dit pas à quelqu’un qui est en train de parler «Attends, on coupe et on va continuer en gros plan!» Il parle, et on le filme! C’est exactement ce qu’on a fait. À ce niveau là, il y avait presque quelque chose de médical. On a traité le personnage comme un homme malade et on l’a filmé en phase de souffrance.

Et si le point de départ est de faire seulement une prise et de s’y tenir… est-ce qu’il vous est arrivé de vous dire «hier, on a fait une scène pas terrible, on va plutôt essayer d’en faire une autre, qui peut aller dans la même direction, mais différemment»?
On a presque fait ça. En fait, il y a les scènes que j’ai écrites et qu’on a ajoutées au fur et à mesure, et il y a les scènes initialement prévues, mais que nous n'avons finalement pas tournées car je considérais qu’elles n’étaient pas assez pertinentes et qu’on avait d’autres moyens de filmer la même chose, mais de manière plus forte, dans un autre contexte, avec d’autres éléments en jeu. Ça a été passionnant car on a pu peaufiner les scènes. J’en ai pratiquement autant retirées que crées. J’ai fait un travail d’ajustement. Quand on dit que le film est un travail artisanal, ça me fait rigoler. Si le film coûte plusieurs millions de dollars, ce n’est pas possible! Avec une équipe de 100 personnes, on ne peut pas faire un travail artisanal. Un travail artisanal, c’est un travail d’ajustement. Dans toute carrière de réalisateur, on a tous ce fantasme de le faire au moins une fois, et je ne suis pas loin de l’avoir fait deux fois, car je l’ai fait aussi sur mon premier film (Sur la trace d'Igor Rizzi, ndlr), mais je n’avais pas la même expérience à l’époque. Cette fois, j’ai pu en profiter de façon plus aboutie et plus mûre. J’ai pu travailler les matériaux de façon plus précise. C’était très agréable à ce niveau-là.

Vous voyez ça comme une expérience?
Complètement!

Vous auriez envie de la retenter, éventuellement pour votre prochain film, ou avez-vous au contraire envie de retourner à un cinéma plus classique dans sa conception?
Non, il s’est passé quelque chose dans ma tête, et je pense que je ne reviendrai plus en arrière parce que je me suis trouvé. Je me suis trouvé sur le plan artistique, je me suis trouvé en tant que réalisateur. Jusqu’à présent, j’avais fait des choses au feeling, mais je ne les avais pas élaborées dans ma tête. En fait, mon prochain film sera plus élaboré dans le sens où il aura plus d’acteurs, plus de situations de jeu, il faudra un peu plus d’argent, mais je le filmerai de la même façon, c’est à dire en super 16mm, caméra à la main, et en plans séquences. Je vais essayer le plus possible de travailler de la même façon avec les acteurs. S’ils sont bien choisis, on va pouvoir se le permettre.

Par contre, pour celui-là, vous n’aviez pas de subventions. Pour le prochain, pourriez-vous essayer d’en avoir?
Oui, je vais essayer.

Le scénario sera donc quand même plus étoffé?
Oui. J’ai pris confiance en moi par rapport à ça. Je suis en train de rédiger un scénario qui fera plus de 100 pages, qui sera dialogué, avec des indications très précises. Mais je vais quand même le faire sous une forme de film d’auteur, c’est à dire en indépendant, avec peu d’argent… idéalement 1,5 ou 2 millions à tout casser… pas plus, et je vais essayer de travailler de la même façon.

Toujours en super 16 donc...
J’adore le super 16. Le support est tellement riche, fort… et il correspond à ce que je cherche à dire. Si je tournais avec une Red ou une caméra numérique (ce que je n’ai d’ailleurs jamais fait)... Je ne sais même pas si je sais travailler en numérique en fait! Je crois que je paniquerais, car j’ai besoin de ce moment fatidique, j'ai besoin de savoir que la caméra tourne avec de la pellicule à l’intérieur! En plus, je serai très déprimé au rush. Déjà, en film, c’est déprimant, mais en numérique, on a vraiment l’impression d’avoir tourné avec son téléphone. J’ai très peur de ça. Si je peux continuer à tourner en film, je vais me battre pour ça.

Ça fait penser à ce que vous disiez sur votre façon de tourner: seulement une prise. Quand on tourne en film, chaque prise coûte de l’argent. La facilité, mais aussi le danger en numérique, c’est qu’on peu faire quinze prises…
Il n’y a pas ce côté sacré dans le numérique. Pour moi la pellicule c’est sacré. Avec la pellicule, il y a nous, il y a ce qu’on fait, il y a ce qu’on filme… mais il y a aussi ce que la pellicule décide de faire. C’est un matériau vivant, c’est de la chimie. C’est pour ça qu’on a une relation si organique avec le film. C’est de la chimie, ce n’est pas des 1 et des 0. Notre œil est hypnotisé par ça. Il se passe quelque chose quand on regarde le film. Il y a quelque chose d’aléatoire dans le déplacement de l’argentique sur l’image. Ça n’a rien à voir avec le numérique qui est très stable et qui est d’ailleurs de plus en plus stable. Les films numériques me dépriment…

Mais ils le sont presque tous maintenant…
Oui… je suis assez navré de voir que si peu de réalisateurs se battent pour ça, car il y a quelque chose dans la pellicule qui participe au cinéma. Je ne veux pas jouer les vieux ringard un peu grincheux, mais j’ai l’impression qu’avec la pellicule, on faisait du cinéma alors qu’avec du numérique on fait de l’image. Je me trompe parfois… mais uniquement pour les chefs d'oeuvres!

Dans les scènes de dialogues, je comprends ce que vous dites et cette notion de danger, mais le numérique peut avoir un avantage. Cela peut aider à capter un instant d’errance d’un personnage pendant lequel la caméra peut tourner longtemps, sans savoir si le plan va être utilisé ou si on ne va en utiliser que 10 secondes.
Mais ça, on le fait avec film avec également.

Mais c'est très coûteux…
C'est très coûteux, mais il s’agit d’une façon de penser le film… et il faut le faire à la base. (...) La nouvelle génération qui tourne en numérique est née avec ça, et sait s’en servir. Je ne dis pas que je ne pourrai pas m’adapter, mais j’appartiens à une génération un peu charnière et je m’accroche encore au film car je suis convaincu que Le militaire a besoin de le densité de la pellicule. Sinon, la matière ne serait pas là, la profondeur ne serait pas là… elle manquerait.

Après sa conception, parlons maintenant de la vie du film, une fois terminé. Vous l’avez fait tout seul… Il a été fait sans le financement des institutions…
Il a été fait avec le directeur photo, Bruno Philip. Sans lui, je n’aurais pas pu le faire sous cette forme. Mais nous sommes des amis et nous avons collaboré ensemble.

Mais il n’a pas reçu de subventions… c’est donc beaucoup plus dur de trouver un distributeur.
C’est très difficile.

D'ailleurs, vous n’en avez pas!
Ce n’est pas difficile pour la raison à laquelle je pensais! La qualité du film intéresse les gens. Certains sont prêts à le prendre en VOD. Un distributeur est très intéressé… mais quand on fait un projet de film en dehors des institutions, ça veut dire qu’on n’a pas fait embarquer un distributeur dès l’origine du projet. Ça veut dire qu’il ne gagne pas d’argent! En gros, distribuer un film au Québec veut dire ne pas gagner d’argent, sauf avec des subventions de l’État! Comme nous n’avons pas de subventions, les distributeurs ne savent pas comment gagner de l’argent. Ils tournent en rond et n’arrivent pas à se décider. C’est ça qui est grave. Il ne suffit pas de faire un bon film pour pouvoir impliquer un distributeur… mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas y arriver! Je vais donner un détail: on a fait le film par nous-mêmes, et maintenant les distributeurs et chaines de télé nous demandent un document qui s’appelle “erreurs et omissions”. Ça vaut 8000 dollars et on doit le fournir au cas où qui que ce soit attaquerait le film pour une raison ou pour une autre (parce qu’une personne se reconnaît en train de passer par exemple). Ça ne va pas pas arriver dans le film car c’est très minimaliste, mais ce document vaut 8000 dollars. C’est énorme à l'échelle du film. Ces petits détails deviennent de véritables obstacles pour le cinéma indépendant.

Du coup, Le militaire, en dehors du FNC et probablement des Rendez-vous du cinéma québécois, sera-t-il visible en salle ou ailleurs?
J’en suis sûr… mais sa distribution sera aussi atypique que sa production. Quand on fait des choses hors système, c’est très compliqué de les faire rentrer dans le système! C’est comme faire rentrer le dentifrice dans le tube! Il faut qu’on se batte, ce qui consiste à explorer la question jusqu’à trouver la faille. Et il y a des failles: ce sont des gens prêts à s’impliquer sans chercher à vouloir gagner vraiment de l’argent, ce sont des aides auxquelles on n’a pas pensé, ce sont des soutiens que l’on peut travailler en allant rencontrer les gens, en leur montrant que le film a un intérêt. Par exemple, nous sommes en ce moment à la Cinémathèque… je suis sûre qu’elle pourrait proposer de le projeter. On peut aller à Québec, à Sherbrooke, dans le reste du Canada car le film est sous-titré… J’aimerais bien le présenter à Toronto un jour. Quand on est confiant dans notre film, il n’y a pas de raison de ne pas y parvenir… mais c’est un gros travail!

À Montréal, il y a aussi les exploitants qui ont un statut de distributeur comme le Cinéma du Parc ou l’Excentris par exemple. Vous les avez approchés?
On va le faire. Pour le moment, on était surtout dans la finalisation du film mais maintenant que le film est terminé, on essaie beaucoup de travailler sur ça. Mais je voulais remercier Claude Chamberland (directeur de la programmation du FNC, ndlr) car il est passé au-dessus d’un important problème. Mon film était sur la short-list à Berlin et à Sundance, mais quand ils ont vu que nous n’avions ni distributeur ni soutien, il ne l’ont pas pris, ce qui est lamentable. Et Toronto n’a pas fait le mieux. Ils m’avaient pourtant donné un prix avec mon premier film (prix du meilleur premier film canadien, ndlr), et maintenant ils ne soutiennent plus mon travail. Je suis sûr que Le militaire, qu’on l’aime ou pas, est un véritable film d’auteur…

En même temps, Toronto est plus un marché qu’un festival de film d’auteurs!
C’est devenu un marché du film en effet…

Alors que Sundance, a priori, ça devrait être leur travail…
Ils ne l’ont pas pris au dernier moment, ce qui m’a déçu. Mais c’est surtout la raison qui m’a inquiété. J’ai compris une fois de plus qu’il ne suffit pas d’avoir un bon film. Le système nous dit: «Vous avez fait votre film dans votre coin? Super… mais maintenant, ne comptez pas sur nous!» Ça, ça fait mal. Comment on fait des films artistiques alors?

Et si la Sodec ou Téléfilm Canada donnent de l’argent, le film va trouver un distributeur, même s’il est très mauvais… alors qu’à côté, d’autres films non financés n’ont aucune chance…
Ou plutôt quasiment aucune chance!

C’est bien qu’il y ait des subventions… mais elles peuvent aussi avoir un côté négatif.
Le système s’est organisé autour de ça… et seulement autour de ça. La plupart du temps quand un distributeur prend un film, il le fait souvent au moment où le projet est initié et il touche une somme avant même la sortie du film. Pour Kate Logan (The Kate Logan Affair, son deuxième film, ndlr), ils ont touché 200.000 dollars de subvention avant que le film sorte! Il s’en fichent que le film marche. Ils ne vont pas se battre! Dans un système subventionné à outrance, les gens qui sont supposés nous soutenir n’ont pas intérêt à se battre pour nous puisqu’ils ont déjà gagné de l’argent!

En même temps… sans la Sodec, il n’y aurait pas du cinéma au Québec!
La nature a horreur du vide! Un autre système se serait mis en place! On critique une approche commerciale, mais un entrepreneur à la tête d’une boite de distribution peut avoir un coup de cœur sur un film et le soutenir. Il n’y a pas que le gouvernement…

Au Québec, il n’y a pas non plus un public énorme! Est-ce qu’un investisseur serait capable de dire «je vais mettre des billes dans un film», sachant que le film fera 10.000 dollars de recettes?
Je serais tenté de dire une chose qui peut paraître presque choquant. Quand on n’a pas les moyens, on ne fait pas les choses… On n’est pas obligés d’avoir du cinéma! Mais de toute façons, il n’y aurait pas rien! Même s’il n’y avait que trois films par an, peut-être que ces trois films pourraient susciter un intérêt et être distribués de toute façon. Il faudrait voir dans quelles conditions ils seraient fabriqués. Mais c’est à double tranchant: un cinéma qui est subventionné, c’est toujours un peu bancal et malsain. Ça veut dire que c’est le gouvernement qui décide des films que les gens doivent voir. Je trouve toujours ça un peu bizarre. C’est bien car ça permet de faire des films, et en même temps il y a un droit de regard sur le contenu… mais est-ce le rôle du gouvernement d’avoir ce droit de regard? En France, c’est pareil d’ailleurs, et il y a beaucoup de systèmes comme ça…

Mais justement, ce sont des pays où il y a pas mal de films… et un grand nombre de films de qualité! Grâce au système!
Oui… car sur la quantité, il se passe des choses. Il y a toujours un 10% qui sort du lot. C’est sûr… et peut-être qu’il faut faire tout ça pour ces 10% de qualité! Je ne sais pas! De plus, je ne critique pas les institutions… Elles m’ont un peu soutenu par le passé. Tout n’est pas que négatif… mais est-ce le rôle du gouvernement de discuter du contenu d’un film?

En même temps, les gens qui font des films très différents n’ont aucune chance de financement… mais on peut un peu le comprendre aussi.
Oui et non… car dès lors que la plupart des films au Québec ne sont pas rentables, pourquoi ne pas essayer de fabriquer des petites choses qui existent sur la durée. Il y a des films de 6 ou 7 millions qui ne sont pas du tout rentables. Ils ne font même pas 200.000 dollars de box-office. C’est une blague! Ce que je trouve inquiétant pour Le militaire, c’est qu’il a sa raison d’être artistique et qu’il a été fait de manière professionnelle, mais si je leur avais présenté un scénario de 40 pages en leur disant «je vais travailler 30% du scénario au tournage», ils auraient rigolé. Mais pourquoi? Ça veut dire quoi? Qu’il faut préparer quelque chose de formaté, sinon on ne fait pas de cinéma? En plus, en ce moment, on est saturé d’images… Entre Youtube et la télévision, on a besoin de choses originales! (...) Au final, ce qui m’intéressait dans tout ça, c’était de faire. On vit de plus en plus dans un monde où on se demande toujours ce qui va se passer après, et c’est la catastrophe: on se fait un monde complètement formaté. On s’occupe de la suite au lieu de se demander ce qu’on peut faire maintenant. Nous, on a avancé avec ce film en se disant «essayons de le faire honnêtement». À ce niveau-là, c’est une réussite totale. Maintenant, est-ce que je vais convertir l’essai d’un point de vu commercial? Je vais essayer… j’ai le temps!

C’est bon aussi de se dire que faire un film, c’est dépenser de l’argent pour faire ce que l’on croit être bon… sans forcément en avoir en retour! Mais on ne peut pas faire ça toute sa carrière, pour tous ses films…
On ne peut pas faire ça toute sa carrière, mais j’ai fait ça avec mes courts métrages en France. J’en produisais un et me faisais produire le suivant. C’est très important: c’est quand je me produis moi même que je me trouve en tant que réalisateur car j’ai les marges de manœuvre nécessaires pour pouvoir avancer artistiquement. Après Kate Logan, j’avais vraiment besoin d’expérimenter un film indépendant.

Ces expérimentions peuvent vous aider par la suite pour vos travaux plus classiques? Elles vous permettent d’apprendre?
Bien sûr. Justement, je vais injecter dans mon prochain projet toutes les choses que j’ai expérimentées. D’ailleurs, Le militaire n’est pas un film expérimental… et j’ai aimé ce que vous avez dit tout à l’heure: C’est un film d’expérience! Ce n’est surtout pas du cinéma expérimental, dont je ne suis pas adepte. Je veux raconter des histoires et décrire des personnages. Mais j’ai franchi un cap énorme avec Le militaire et je vais injecter ces connaissances dans un film pour lequel j’irai chercher de l’argent. Le prochain film devrait être vraiment beaucoup plus abouti que tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. Je vais faire un mélange argent et art!

Entrevue réalisée par Jean-Marie Lanlo à Montréal le 29 septembre 2014
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