15 octobre 2016

FNC 2016: Entrevue avec Felix Van Groeningen (Belgica)

Nous avons profité de la venue de Felix Van Groeningen au FNC dans le cadre d’une rétrospective de son oeuvre pour l’interroger sur son tout dernier film, Belgica, dans lequel il nous fait revivre les nuits chaudes de Gand. Il a accepté de nous répondre en français… ce dont nous le remercions particulièrement!

Certains éléments de ce film sont plus ou moins autobiographiques. Pouvez-vous nous expliquer en quoi?
Mon père a eu un bar qui ressemble au Belgica. Il a commencé à la fin des années 80 et l’a vendu en 2000. J’ai habité au-dessus du bar et quand j’ai eu 16 ans j’ai commencé à y travailler. Et c’est à ce moment-là que le bar a grandi. La transition qu’on voit dans le film est donc quelque chose que j’ai vraiment vécu, mais de manière cependant un peu différente. Ensuite, mon père a vendu à deux frères qui ont dû recommencer à zéro car le bar n’était plus un dancing mais était redevenu le petit truc qu’il était au début, car ça ne marchait plus. J’ai fait pas mal d’interviews avec eux et j’ai mélangé ce qu’ils m’ont dit et ce que j’ai vécu à l’époque. Le film s’inspire donc des personnages et des anecdotes de ces deux périodes.

Le fait de vous appuyer sur certains éléments personnels ou existants était-il un moyen de revenir vers le réel? Car le film précédent était très mélo et les gens vivaient dans un fantasme d’Amérique (The Broken Circle Breakdown, ndlr). Le fait de vous plonger dans le passé était-il un moyen de parvenir à filmer le réel?
Je crois que j’ai réalisé pendant le tournage que recréer certaines ambiances et certaines atmosphères que j’avais vécues étaient très excitant. Quand on y parvenait, ça me touchait profondément. Cependant, était-ce intéressant pour d’autres personnes? Je ne sais pas, mais c’est ce qui m’a poussé! Pour faire la comparaison avec The Broken Circle Breakdown, j’avais envie de faire quelque chose de plus sauvage, plus rock’n’roll, peut-être plus authentique… même si je cherchais quand même l’authenticité dans le film précédent.

Mais il y avait une grande part de mélo, d’excès… qu’il n’y a pas dans celui-là!
En fait, la première version du scénario de Belgica était plus dans l’esprit d’Alabama Monroe (titre francophone de The Broken Circle Breakdown, ndlr). Mais je me suis dit que ça ne pouvait pas être si carré, qu’il devait y avoir plus de saleté, plus de bordel…

C’est marrant car quand on voit Belgica, il y a justement presque deux films qui alternent: le film du jour, qui semble très structuré, qui a comme sujet le quotidien… Et il y a la nuit. C’est dans celui-là qu’on retrouve ce dont vous parliez: l’ambiance, le côté plus rock’n’roll! Il y a comme deux films en alternance!
Oui, c’est vrai… c’est bien vu! Le film montre aussi qu’il est difficile d’altérer la vie de nuit avec la vie de famille.

On retrouve la notion de choses difficiles à combiner à plusieurs niveaux dans le film. Mais avant d’y revenir, j’ai envie de rester sur les scènes nocturnes, très musicales. Elles finissent presque trop vite. Dans le processus de montage, y a-t-il eu des moments où ces scènes étaient beaucoup plus longues?
Oui… mais pour l’ensemble du film! La première version durait trois heures! La scène où ils sont dix à table durait le double par exemple. Mais on n’arrivait pas à tenir le rythme jusqu’à la fin. J’ai même enlevé deux morceaux musicaux à la toute fin, alors que le film était fini et que nous en étions au mixage. En le revoyant, j’ai constaté qu’il y avait trop de musique. J’avais déjà fait un film musical avec Alabama Monroe, mais c’est difficile car il ne faut pas arrêter l’histoire pendant les scènes musicales. Cependant, il fallait quand même donner du temps à la musique car l’âme de Belgica, c’est l’excitation de la nuit. Pour trouver la balance, ça passe par l’écriture pour que la musique mène à autre chose, que l’histoire continue. Au contraire, certains épisodes musicaux étaient juste musicaux. On peut faire un petit détour de temps en temps vers ça, mais pas trop souvent! J’ai longtemps résisté à réduire le film devant l’insistance du producteur, mais après avoir beaucoup coupé, j’ai senti que c’était mieux car il y avait des choses qu’on ressentait plus qu’elles n’étaient dites. Souvent, couper mène à ça!

Je reviens à l’idée de combiner les contraires. On retrouve ça aussi avec les deux frères. La base du film est l’envie de recréer le monde de la nuit... mais quand est venue l’idée de ces frères très différents?
Je me suis inspiré de l’histoire des deux frères à qui mon père a vendu. J’avais besoin de ce genre d’histoire pour recréer le monde de la nuit. Ça arrive souvent que des gens très différents arrivent à travailler ensemble. On retrouve ça aussi dans des couples. Il y a une énergie qui les pousse à faire des bonnes choses… mais ça peut aussi être à l’origine de séparation ou d’échec de leurs projets.

Ou dans des pays! Le titre que vous choisissez, qui est aussi le nom du bar, peut faire penser à ce que vous décrivez: deux communautés vivent ensemble, s’apportent probablement mutuellement, mais éprouvent aussi des difficultés! C’est pour ça que le bar s’appelle Belgica?
C’était pour ça au début. Mais très vite, pendant l’écriture, nous nous sommes aperçu que ce n’était pas intéressant de faire l’analogie. Il y a assez de Belgitude dans le film. Nous n’avons pas forcément cherché à lier la Belgique et le Belgica. C’est aussi une métaphore sur comment on gère une ville ou un pays: qui on laisse rentrer…

Vous abordez en effet des problèmes sociaux, liés au rapport à l’autre… l’autre étant celui qui vient d’en dehors du Royaume de Belgique, car il n’y a pas vraiment de différences entre Wallons et Flamands dans votre film! Ce regard social sur un pays, voire un continent, à travers la vie d'un bar, était important pour vous?
J’ai trouvé intéressant de traiter les problèmes dont on parle chaque jour en Europe ou en Belgique… mais que l’on a aussi de manière individuelle. On veut être ouvert, mais on a peur de laisser rentrer tout le monde. Avec le bar, nous avons connu ça il y a 15 ans! Je suis ouvert, mais en grandissant, le bar a attiré des gens que nous ne contrôlions plus. Petit à petit, il y a eu d’autres musiques, d’autres drogues… et donc d’autres gens. Quand les ambitions sont plus grandes, et que la structure n’est plus de taille familiale, ça change la donne. De la même manière, le monde change. Je vois donc l’analogie avec aujourd’hui! La réponse que nous avions à l’époque était de travailler avec un videur marocain. Nous nous disions qu’il allait savoir qui étaient les bons et les mauvais… malheureusement, le videur lui-même n’était pas le bon! (rire) L’endroit s’est éloigné de ce que mon père voulait! C’était devenu un endroit où les gens venaient surtout pour danser… et dans ce cas, les gens prennent plus de drogues, deviennent plus agressifs, et se battent plus!

Nous devons finir bientôt, mais j’ai envie de revenir sur la Belgique, et sur le cinéma belge en particulier pour conclure. Pour vous, il y a un cinéma belge ou il y a une distinction entre le cinéma wallon et le cinéma flamand?
Je pense qu’il y en a une. Mais même le cinéma flamand est très diversifié. C’est aussi une volonté du Fonds Audiovisuel de Flandre. Dès le début, ils ont voulu diversifier la production, et je pense que ça a bien fonctionné. Certains films très commerciaux fonctionnent bien, des films d’auteur comme le mien trouvent aussi leur public, du moins certains d’entre eux… Il y a aussi des films encore plus orienté cinéma d'auteur qui trouvent aussi leur chemin dans le monde entier, surtout pour un public de festival. Le côté flamand est donc déjà très divers. Du côté francophone, il y a des auteurs très intéressants mais ce qui est bizarre dans le cinéma wallon est qu’il trouve moins son public. C'est même vrai pour les films des Frères Dardenne! Les gens de Wallonie sont étonnés du succès des films flamands auprès du public flamand. Quelque chose s’est passé depuis 10 ans. Le cinéma flamand est devenu très branché… ce qui est moins le cas en Wallonie. C’est peut-être car ils sont plus orientés vers le cinéma d’Art et essai, et ils ont moins de diversité. Cela dit, ils ont des auteurs très intéressants comme Joachim Lafosse ou Bouli Lanners, qui arrivent à montrer leurs films dans beaucoup de pays notamment grâce à la langue française. Mais je suis content que nous ayons ce très bon rapport avec le public en Flandre. Je pense que c’est quelque chose de très important!

De votre côté, vous avez eu le prix de la mise en scène à Sundance avec Belgica, et le précédent a été nommé aux Oscars! Est-ce que vous avez des opportunités d’aller faire des films ailleurs, et en avez-vous l’envie comme Roskam (The Drop, ndlr) par exemple?
Je suis en train de travailler sur un film américain.

Vous n’avez pas peur de perdre votre liberté?
Pas pour l’instant car ils m’ont approché pour ce que j’ai fait. J'écris moi-même, je développe moi-même! C’est une opportunité… mais ce n’est pas non plus mon grand rêve. Si j’avais voulu j’aurais peut-être déjà fait deux ou trois films américains ou français… mais ce n’est pas mon but. Je veux faire partie du développement du scénario et du projet en entier… ce qui fait que le processus est long. Je dois vraiment tomber amoureux d’un projet pour m’y jeter! Maintenant, ça se fait, et on va voir si ça finit bien! Mais j’y crois car la passion pour le cinéma est incroyable aux États-unis. J’ai toujours aimé le cinéma américain! Je suis heureux et excité!

Entrevue réalisée par Jean-Marie Lanlo à Montréal le 13 octobre 2016
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