5 octobre 2017

FNC 2017 : 5 questions à Noël Mitrani (Après coup)

À quelques jours de la double projection au FNC de son nouveau film (Après coup, financé comme Le Militaire, sans l'aide des institutions, au FNC les 6 et 12 octobre), nous avons rencontré Noël Mitrani pour parler de son film… mais aussi d'indépendance !

Commençons en reprenant un peu la suite de notre dernier entretien réalisé à propos du Militaire! Quels ont été vos choix de financement pour ce film?
Ce film n’a pas été financé par les institutions. Je n’ai d’ailleurs jamais cherché à le faire financer par les institutions. C’est un projet sorti un peu de nulle part, à un moment extrêmement critique de mon existence, car j’ai travaillé deux ou trois ans sur un projet que j’ai cherché à faire financer, qui s’appelait Emma sous influence. Je me suis donnée en écriture comme rarement dans ma vie, et je me suis dit que j’allais passer le temps qu’il faut pour faire financer ce projet, que j’allais être patient, que j’allais jouer le jeu, être docile, écouter les analystes… et au troisième tour, la SODEC m'a annoncé qu’ils ne prenaient pas mon projet.
J’ai donc reformé mon équipe avec mon ami directeur photo Bruno Philip et j’ai proposé de faire un film par nos propres moyens. J’avais justement un sujet en réserve, qui me tenait à cœur depuis longtemps. De plus, au-delà de tout ça, j’ai trouvé la force de continuer le cinéma car ma fille de neuf ans, Natacha, m’a beaucoup aidé. Elle m’a alors dit: «C’est dommage que tu arrêtes le cinéma car ça aurait été mon rêve de tourner dans un de tes films.» Ça m’a beaucoup ému car je me suis rendu compte que j’avais envie de laisser cette trace, de laisser quelque chose qui soit plus que du cinéma, mais une sorte d’archive de ma relation avec ma fille à un moment donné. Je suis alors parti en écriture avec une inspiration extraordinaire. J'avais l'impression profonde que c'était un sujet tellement personnel qu'il aurait été endommagé par une recherche de financement car les gens n'auraient pas compris mes intentions, m'auraient ramené vers quelque chose de rationnel, que j'aurais trouvé insupportable. J'avais besoin d'exprimer ce film tel que je l'avais en moi et de le faire. Je ne voulais pas passer à travers le système car il aurait bousillé mon projet. Certains projets ont besoin d'être analysés par les autres car ça peut les perfectionner, mais pas celui là. D'ailleurs, le cinéma que je pratique en général est plutôt un cinéma qui peut être bousillé par les autres.

Pouvez-vous nous dire ce qu’est à vos yeux Après coup?
Après coup, c’est un film qui a été fait avec de la rage. La rage de dire «Non, on ne me fera pas taire. J’ai des choses à dire et je vais trouver les moyens de les dires.» Je n’étais pas dans une logique de business, ni même artistique. La seule logique dans laquelle j’étais, c’était: «Je veux faire un film avec ma fille. Avant d’arrêter le cinéma, je veux faire un film qui aborde la question de la famille.». C’est quelque chose de central dans ma vie. Avant d’être cinéaste, je suis un family man! J’ai trois enfants, je suis avec ma femme depuis 30 ans! Je connais la famille, je l’aime, j’y crois… et j’ai envie d’en parler. J’avais envie, dans Après coup, de montrer une famille qui n’est pas dysfonctionnelle car j’ai l’impression qu’aujourd’hui, les films ne nous présentent que des couples ou des familles dysfonctionnelles. Je suis tanné avec ça! Bien sûr, le cinéma est fait pour parler de trains qui déraillent… mais là, ça devient trop! Ça m’insulte de voir que le schéma familial et le couple sont toujours présentés comme une connerie, comme un échec, comme quelque chose qui ne peut pas marcher! Je ne suis pas d’accord. J’aime la famille. Je pense que c’est la plus belle cellule qui existe au monde, j’aime l’éducation des enfants, j’aime le couple et j’ai envie d’en parler de manière non dysfonctionnelle. Maintenant, effectivement, il se passe un incident grave dans le film, et ça met le couple face à une difficulté très complexe. Mais cela se fait à travers des gens qui s’aiment et qui ne cessent jamais de s’aimer!

Le film s’articule en effet autour d’un grave problème. Il commence de manière très réaliste, pour aller vers une forme de «fantastique»… d’une certaine manière. Pour orchestrer le tout, vous avec une structure narrative non linéaire pour intégrer cet élément progressivement. Pouvez-vous développer vos choix narratifs?
Je comprends ce que vous dites. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’on me parle de cet aspect fantastique… Le fantastique ici, c’est prendre la réalité et la faire déraper vers quelque chose qui perd sa rationalité. Personnellement, je ne me suis pas posé ce genre de question. Ce film, je l’ai peu intellectualisé car je voulais que ce soit un film émouvant. J’ai travaillé plus sur l’émotion que sur l’intelligence. Je considère qu’on ne travaille pas sur une idée au cinéma. Si on a bien fait notre boulot, les gens vont voir des choses qui relèvent de l’intelligence: ils vont voir des idées, des opinions… tout ce que vous voulez. Mais nous, en tant que cinéastes, nous travaillons sur des émotions. Il se trouve qu’il y a un aspect un peu fantastique… mais il n’était pas conscient. Pour moi, il s’agissait de la continuité de cette expérience psycho-thérapeutique auquel le personnage principal est soumis. Il passe à travers quelque chose d’existentiel. Il se reconstruit à travers cette expérience qui va si loin, qu’à un moment donné, elle déborde de quelque chose de quasiment irrationnelle… mais pas complètement irrationnelle. Finalement, la médecine a inventé ce dont je parle. Je n’ai pas totalement inventé cela, même si j’ai assumé le côté un peu fantastique de la chose! Je remplacerais plus «fantastique» par «mystique» en fait. Ce film est un peu un film de révolte contre la plupart de la cinématographie actuelle qui est devenue tellement sociétale! Nous ne sommes plus que dans les phénomènes de société, dans ce que j'appellerais la prolongation des médias. Les films aujourd’hui sont quasiment une illustration des infos! Pour moi, ce n’est pas ça le cinéma. J’ai voulu dire: «Non au cinéma sociétal. Explorons à nouveau la psychologie des êtres humains, dans ses profondeurs.» Je continue à explorer un cinéma existentiel… et celui-là va très loin!

Revenons maintenant aux acteurs. Votre fille joue avec un acteur beaucoup plus connu… que vous avez d’ailleurs dirigé dans tous vos films (Laurent Lucas, ndlr). Pourquoi ce choix… même si vous avez déjà un peu abordé le sujet!
Ma fille Natacha a initié le projet puisqu’elle m’a dit qu’elle voulait faire un film avec moi. C’est sûr que si ma fille avait été complètement démunie de tout talent, je n’aurais pas insisté, mais il se trouve que j’avais la conviction profonde qu’elle en était capable car dans la vie de tous les jours, elle aime ça. Elle se filme avec son téléphone, elle se met en scène… mais elle ne le fait pas de façon exubérante. Elle ne cherche pas à se valoriser ou à faire des pitreries. Elle met par elle-même en scène des choses surprenantes, avec des textes, des histoires… et ça a une certaine profondeur. Autre aspect: j’aime beaucoup prendre des photos de mes enfants, et elle a donc l’habitude d’un appareil photo. Face à la caméra, elle n’a donc pas eu une seconde de stress. Elle vit la situation… elle ne la joue pas, et est d’un naturel déconcertant. Je l’ai associé à Laurent, ce qui m’a fait un peu bizarre car d’un coup, son père n’était plus moi mais Laurent! Finalement, ce n’était pas un problème… au contraire car il s’agit d’un ami, et elle le connaît très bien. Lui et Laurence Dauphinais ont vraiment mis à l’aise Natacha.
Mais pour revenir au choix de Laurent, depuis que nous travaillons ensemble, nous n’avions pas encore fait de film avec beaucoup de dialogues… et je voulais qu’il puisse exprimer sa maîtrise extraordinaire qu’il a des dialogues. Ensuite, je voulais qu’on travaille sur les sentiments car avec nos films précédents, les émotions étaient plus effleurées. Ici, on a tapé dans le mille et il a interprété le rôle de manière très émotionnelle. Il est sorti du tournage lessivé. Ça l’a vidé. Le rôle l’a atteint et ça se voit dans le film. Il a vraiment tout donné, et c’est merveilleux. Quelque part, j’ai l’impression que si ça devait être mon dernier film, ça ne m’inquiète pas du tout car je ne fais pas du cinéma pour faire quinze films. J’en fais tant que j’ai l’impression qu’il y a des choses que je n’ai pas encore dites et que j’ai besoin de dire. Là, j’ai l’impression d’en avoir dit une grande partie.
J’aimerais aussi parler de Laurence Dauphinais car son rôle n’était pas facile. Elle me disait d’ailleurs «j’ai peur d'être dans un rôle où je suis un peu passive». Je lui ai dit: «Ne t’inquiète pas, tu ne seras pas passive. Ton personnage aura de l’autorité, mais il n’aura pas une autorité revendicative.» Je n’aime pas les actrices dans le cinéma actuel qui sont toujours en train de démontrer une autorité des femmes d’aujourd’hui, qui ne se laissent pas faire! Ça compte peut-être, mais moi ce qui m’intéresse, c’est que les gens puissent se donner de l’amour. Et la capacité qu’elle a dans le film à soutenir son mari, elle le fait avec une subtilité remarquable. J’ai adoré comment elle a interprété son rôle tout en nuance. Elle est autoritaire dans son personnage, mais sans que ça déborde!
J’aimerais aussi dire quelque chose sur Mohsen El Gharbi, qui fait une prestation hallucinante. La plupart des gens qui ont vu le film m’ont demandé si c’est un vrai psychologue! Ça n’en est pas un… et il a fait un travail remarquable. Il est empathique et juste! Il m’a impressionné! J’ai adoré…
Et Pascale! Pascale Bussières! J’ai un casting de folie pour un petit film comme ça! Elle nous a fait l’amabilité de venir pour ce qui est plus qu’une participation car son rôle est essentiel. Elle intervient à la fin, mais son apport est énorme au niveau émotionnel… et son personnage apporte la résolution du film. L’échange qu’elle a dans le film avec Laurent est puissant! Ça ne m’est jamais arrivé depuis que je fais du cinéma… mais j’avoue que j’ai pleuré durant le tournage de la scène. Ça m’a bouleversé! Je remercie énormément Pascale d’être venue pour ce rôle qui démontre qu’un petit rôle peut être très important. J’ai envie de dire que plus un rôle est petit, plus il faut quelqu’un de grand parce que ça peut être très casse-gueule. Si on confie une scène comme ça à un acteur moyen, à la fin du film, le film est foutu!

Pour boucler la boucle, après avoir parlé du financement au début, j’aimerais que vous nous disiez comment ça se passe, lorsque l'on a fait un film de manière si indépendante, pour faire voir son film?
Je voudrais déjà parler de Bruno Philip, qui est un ami, et dont je respecte beaucoup le travail. C’est la première fois que je ne travaille pas en pellicule, mais son travail avec la Red est magnifique. Nous avons produit le film ensemble. Mais pour revenir à la question, maintenant que le film existe, je sais à quoi m’en tenir. Je suis émerveillé à chaque fois que quelque chose se passe, mais je n’en attends rien. Le plus grand malheur dans ce métier, c’est quand on commence à attendre des choses. Je fais des choses car j’ai besoin de les faire. Je pense que le film va avoir un certain impact critique. Je pense que le public va aimer, et que chemin faisant, il va faire sa place! J’en suis sûr! Pas forcément par une distribution traditionnelle, mais il va trouver sa voie. J’ai bon espoir que les qualités du film vont lui permettre de trouver son chemin. Je pense qu’on devient fou dans le cinéma si on cherche à en faire une économie rentable. Il n’y a que Hollywood qui est capable de ça aujourd’hui! Tous les autres, nous sommes tous des amateurs! On fait ce qu’on peut… mais je suis sûr que le film va vivre! J’en suis sûr!

Propos recueillis le 28 septembre 2017 à Montréal.
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