9 janvier 2020

★★★★ | Les Misérables

Réalisation : Ladj Ly | Dans les salles du Québec le 10 janvier 2020 (TVA-Films)
Dans un quartier difficile, à Montfermeil, les policiers de la BAC (Brigade anti-criminalité) circulent, observent, tissent comme ils peuvent des liens avec la population… jusqu’au jour où un événement a priori anodin (le vol d’un lionceau par un gamin) va avoir des conséquences dramatiques !
Ce qu’il dépeint dans son premier film, Ladj Ly le connait par cœur. Montfermeil ? Il y vit encore. Les policiers de la BAC ? Il les a observés, filmés des heures durant, allant même jusqu’à documenter une bavure… comme le fait un des jeunes protagonistes dans son film.
Alors lorsqu’il filme cette cité, il nous donne l’impression d’y être. Chaque détail, chaque lieu nous aide à comprendre un peu mieux le quotidien. Le cinéaste donne vie à son quartier avec une telle justesse qu’à aucun moment, les éléments qu’il apporte ne semblent fonctionnels (même si pourtant, chacun a bel et bien comme fonction d’ajouter une pièce à l’édifice que construit Ly). Cette capacité d’observation et de restitution d’un milieu est exceptionnelle. Pourtant, le sujet du film (une bavure policière et ses conséquences) et l’histoire même du cinéaste peut nous laisser craindre le pire, à savoir le manichéisme (les méchants policiers face aux pauvres victimes). L’autre force de Ly est justement de l’éviter. En chacun de ses personnages, il trouve en effet aussi bien la part d’humanité que les failles, parfois évidentes (le flic raciste et beauf), parfois beaucoup moins (l'aveuglement d’un parent). Et une fois de plus, il le fait avec une telle justesse que cela fonctionne, car sans jamais donner au spectateur la moindre impression d’intentionnalité. Et… à nouveau, tous semblent justes, tous interviennent dans l’histoire quand il le faut, comme par évidence, comme s’ils étaient là par hasard ! La maîtrise de l’écriture de Ly est telle que tout semble d’un naturel presque insolent. Mais au-delà de ces qualités, Ly prouve qu’il est également un cinéaste. Évitant en permanence les clichés des films de banlieue comme ceux d’un cinéma d’auteur faussement documentaire, il préfère l’immersion contrôlée, génératrice d’une tension qui progresse en douceur mais nous conduisant pourtant vers une explosion que l’on sait d’emblée inéluctable.
Et comme Ladj Ly refuse de juger sans chercher à comprendre et de condamner naïvement, il nous livre un film rare : à la fois très simple dans son déroulement narratif mais très complexe dans le portrait qu’il dresse d’une société et des gens qui la composent. Car oui, les causes d’un mal sont multiples. Le dire semble banal… mais le dire avec une telle intelligence, une telle justesse et un tel sens de la nuance est plus que rare.
À n'en pas douter, Les Misérables est un des grands films de cette année. Probablement également un des grands films sur son époque.
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