8 mars 2024

★★★★ | Les herbes sèches / About Dry Grasses (Kuru Otlar Üstüne)

Réalisation: Nuri Bilge Ceylan | Dans les salles du Québec le 8 mars 2024 (Sphère Film)
Les herbes sèches nous place d’emblée en terrain connu : cette Anatolie déjà tant filmée par le cinéaste. L’action se situe ici en hiver, au moment du retour en classe après les vacances, et met en scène des enseignants qui attendent la possibilité d’une mutation pour quitter cette petite ville dans laquelle rien ne se passe, sentiment accentué par cette neige qui recouvre les paysages comme du coton. Ceylan filme les lieux (magnifiques), les personnages, leur ennui, leurs nombreuses discussions… jusqu’à ce qu’un événement qui pourrait sembler anodin déclenche une petite chaîne de microréactions. Elles sont scrutées par un cinéaste qui aime prendre le temps de regarder ses personnages, de les écouter, de comprendre les conséquences de l’ennui, de la solitude, des désillusions, des doutes, et de voir comment la veulerie peut venir ternir les sentiments que nous pouvions ressentir sur telle ou telle personne.
La force principale de Ceylan est de laisser vivre, bouger et faire parler ses personnages, de manière parfois un peu décalée, presque paradoxalement désincarnée. Tout pourrait mener à l’ennui (le film dure plus de trois heures et le film est très bavard). Pourtant, sa mise en scène, délicate et d’une inventivité tout en sobriété, parvient à jouer avec la distance à l’égard des protagonistes et à les rendre de moins en moins lointains, de plus en plus attachants, au fur et à mesure qu’ils dévoilent leurs failles, qui sont peut-être moins les symptômes d’une bassesse d’esprit que les conséquences d’un besoin maladroit de se protéger.
Sans jugement hâtif, avec une certaine compassion même, Ceylan nous offre, pendant près de 200 minutes, son regard sur la vie. Une vie qui ressemble à l’Anatolie qu’il filme, où l’été succède à l’hiver, et réciproquement, sans transition, sans prévenir, sans que l’on ne puisse rien y faire.
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