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1 septembre 2023

★★★½ | Richelieu

★★★½ | Richelieu

Réalisation: Pier-Philippe Chevigny | Dans les salles du Québec le 1e septembre 2023 (FunFilm)
Décidément, cet été québécois nous réserve de bien bonnes surprises. Après une réflexion sociétale flirtant avec le cinéma de genre (Les chambres rouges) et après le meilleur Émond depuis très longtemps (Une femme respectable), nous découvrons un film social d’une qualité rare au Québec. Certes, il y a ici ou là quelques petites faiblesses d’écriture, mais sans commune mesure avec les maladresses de bien des films locaux qui cherchent à trop en dire pour bien se faire comprendre, quitte à pousser le spectateur dans une indigestion de bons sentiments. Ici, à quelques exceptions près, le moteur du film est constitué de ses personnages (ouvriers guatémaltèques égarés dans le pseudo-Eldorado québécois, jeune employée utilisée comme courroie de transmission au service d’une machine humanovore, patron d’usine pris à la gorge par ses actionnaires, etc.). En restant à leurs côtés, mais surtout en les filmant comme il le fait, Pier-Philippe Chevigny parvient à les faire vivre, et ainsi à nos intéresser à leurs histoires, et par ricochet à nous présenter des enjeux plus universels.
Car oui, insistons, Chevigny filme à merveille. À la manière des Dardenne ici et là sans que la référence soit pour autant étouffante, mais aussi de manière plus surprenante (la scène de l’hôpital, qui tient plus en haleine que bien des grosses productions US). Dans l’ensemble, il multiplie les bons choix de mise en scène, trouve la bonne distance, dirige ses acteurs à la perfection, fait confiance à sa caméra pour raconter quelque chose plus que pour illustrer ce qui est dit ailleurs.
Alors qu’importe s’il est parfois un peu manichéen (la similitude avec la trilogie de Brizé sur le monde du travail nous montre ses petites limites) : Pier-Philippe Chevigny est jeune et n’en est qu’à son premier long. Les promesses de ses courts sont déjà devenues réalité. On a juste hâte de découvrir ses prochains films.
À suivre, donc.

25 août 2023

★★ | Manufacturing the Threat (Produire la menace)

★★ | Manufacturing the Threat (Produire la menace)

Réalisation: Amy Miller | Dans les salles du Québec le 25 août 2023 (Diffusion Multi-Monde)
Amy Miller, cinéaste militante qui nous a déjà livré plusieurs films aux sujets forts (les migrations, le complexe militaro-industriel, la crise climatique, l’accaparement des terres agricoles), nous revient avec un nouveau documentaire. Ici, les cibles sont les agences de sécurité canadiennes, et plus précisément leur utilisation depuis très longtemps d’agents provocateurs, qui s’infiltrent dans des organisations pour les inciter à passer à l’action afin, selon la thèse de Miller (et d'Alexandre Popovic, dont le film s’inspire), de justifier leur propre existence.
Pour étayer sa démonstration, elle interroge de nombreux intervenants acquis à sa cause et alterne une critique historique des services secrets avec un cas d’école : le cas de deux paumés manipulés par lesdits services jusqu’à ce qu’ils fassent une tentative d’attentat le jour de la fête nationale du Canada. Cette histoire, glaçante et terrifiante, aurait mérité un film conçu avec objectivité et le constat se serait imposé de lui-même. D’ailleurs, si on ne devait isoler de Produire la menace que les parties traitant de ce sujet, Miller y parvient presque. Malheureusement, elle a préféré en rajouter des couches en pratiquant la politique du je sais que j’ai raison donc je ne me pose pas de questions. Certes, les représentants des services incriminés ont refusé de participer au film, mais n’y avait-il pas d’autres intervenants possibles et d’autres questions à se poser? Les manipulations qu’elle condamne à juste titre ne peuvent-elles pas être réalisées par des vrais terroristes ? Et dans ce cas, comment faire pour les contrer ? Et de manière plus globale, les services qu’elle condamne n’ont-ils pas fait au moins une fois quelque chose d’utile ? En gros : Ne serait-ce pas plus constructif de mettre de l’avant leurs dysfonctionnements sans les condamner en bloc, sans la moindre nuance ?
En quittant le cas particulier (l’attentat avorté, qui répétons-le, est globalement bien traité et représente une grande partie du film) pour aller vers le cas général (une condamnation sans nuance des services secrets canadiens) sans avoir un minimum d’objectivité, Miller transforme ce qui aurait pu être une critique pertinente d’une institution en un acte purement militant, et refuse ainsi de se laisser confronter à ses propres contradictions. Cela va probablement plaire à ceux et celles qui ont les mêmes certitudes qu’elle, mais risque de toucher beaucoup moins les autres que si elle avait fait un choix clair : une étude de cas avec une rigueur journalistique ; ou une étude générale documentée et impartiale… au lieu de ce mélange maladroit entre la première et une version simpliste de la seconde.

18 août 2023

★★★½ | Une femme respectable

★★★½ | Une femme respectable

Réalisation Bernard Émond | Dans les salles du Québec le 18 août (Maison 4:3)
Voilà une fin d’été cinématographique québécois comme on les aime. Une semaine après Les chambres rouges de Pascal Plante, arrive en effet dans les salles un deuxième bon film, pourtant très différent du premier (quoi que).
En plus de cette réjouissance, il marque également le retour en force (peut‐être le chant du cygne ?) de Bernard Émond, qui s’était ces derniers temps fourvoyé dans des projets que l’on préfère oublier. Avec Une femme respectable, il ne se départit certes pas d’une certaine austérité, mais peaufine ses dialogues et sa structure narrative d’une manière à la fois juste et très épurée, au point peut-être d’en déstabiliser certains. Peu de dialogues, peu de développements scénaristiques majeurs, mais beaucoup de silences, de regards, de travail sur les corps qui n’osent pas bouger (et qui, s’ils le font, le font en vain). Avec tous ces éléments, Émond parvient à donner vie à deux êtres, à deux solitudes, à deux souffrances, et surtout à nous faire comprendre que les évidences peuvent être trompeuses. Le mari volage qui est allé refaire sa vie avec une autre n’est peut-être pas si mauvais. La femme légitime bien éduquée qui décide de l’aider ne le fait peut-être pas uniquement pour de pures raisons. En les regardant sans passion, le cinéaste crée une distance avec les personnages qui permet aux spectateurs de les considérer le plus objectivement possible, sans ce déluge d’émotions qui peuvent, lorsqu’on en abuse, annihiler tout esprit critique. Ainsi, Émond nous propose des personnages attachants et imparfaits à la fois… c’est-à-dire des personnages qui ressemblent à beaucoup d’entre nous.
Finalement, pour expliquer le « quoi que » du premier paragraphe, le film de Bernard Émond n’est peut-être pas si éloigné du film de Plante. Tous les deux, en passant par des chemins opposés, mettent la complexité des personnages au cœur de leurs films, optent pour une froideur bienvenue et nous proposent deux des meilleurs films québécois de cette année.

11 août 2023

★★★½ | Les chambres rouges

★★★½ | Les chambres rouges

Réalisation : Pascal Plante | Dans les salles du Québec le 11 août 2023 (Entract Films)
Pascal Plante nous revient avec son troisième long métrage, et surtout avec une maîtrise de son scénario beaucoup plus conforme à nos attentes. On le savait talentueux au niveau de la mise en scène et de la direction d’acteurs (souvenons-nous de son court Blonde aux yeux bleus), mais il parvient enfin à nous proposer un scénario (presque totalement) départi des maladresses qui nuisaient à ses précédents longs.
Après nous avoir faits plonger dans la piscine olympique de Nadia Butterfly, il nous propose ici une visite des chambres rouges des tréfonds du Web, par l’intermédiaire de ce qui commence comme un film de procès (intelligente introduction qui pose quelques jalons de son fil narratif), se prolonge sur une mise en évidence de la bêtise humaine (dont sont victimes ces trois jeunes femmes torturées et assassinés par une vedette du dark web) pour devenir finalement le portrait d’une jeune femme (Juliette Gariépy, magnifique de charisme marmoréen), aussi froide que brillante, spectatrice du procès, mais pas uniquement.
Comme le tueur, elle agit dans l’ombre (joueuse de poker en ligne), comme lui, elle aime œuvrer devant les objectifs (elle est modèle pour des photographes), mais les deux profils sont pour le reste à l’opposé, comme le décrit intelligemment Plante, qui semble tellement apprécier la froideur analytique de son héroïne qu’il finit par faire de son film un prolongement de ce qu’elle dégage. Comme elle, le film est en contrôle, d’une froideur aussi fascinante que glaçante (voire troublante) mais capable de surprendre en déraillant parfois légèrement, bien souvent pour le meilleur.
Si l’on ajoute à cela une musique très en phase avec l’ensemble (signée Dominique Plante… tiens, tiens), on obtient un film québécois qui se démarque, qui ose, qui ne cherche pas à plaire à tout prix, qui aborde un sujet grave de manière documentée mais jamais trop maladroitement didactique, et qui fait mouche. Merci !

17 mars 2023

★★½ | Brother (33 tours)

★★½ | Brother (33 tours)

Réalisateur: Clement Virgo | Dans les salles du Québec le 17 mars 2023 (Entract Films)
Sixième long métrage du cinéaste canadien Clement Virgo (son premier depuis Poor Boy’s Game en 2007), Brother est une adaptation du roman éponyme de David Chariandy paru en 2017. Il s’agit d’un drame familial ambitieux dont le récit est morcelé en trois périodes différentes (des années 1980 au début des années 200) imbriquées dans une trame narrative où on passe de façon intermittente entre les périodes, selon les souvenirs de son protagoniste principal. Virgo relate essentiellement la relation entre deux frères très proches marqués par un drame. Le film fonctionne lorsqu’il se concentre sur ses deux thèmes principaux que sont le deuil et un amour familial inconditionnel. Il s’éparpille et perd beaucoup au change lorsqu’il parle de la naissance du hip-hop, de la maladie mentale, des structures sociales, de la violence policière et du racisme… tout cela sur fond de récit d’apprentissage à la rude, de naissance d’un premier amour et de retrouvailles. Ça fait beaucoup pour un film de deux heures qui n’évite pas non plus certains clichés et qui manque souvent de conviction.
L’œuvre privilégie le ressenti, mais elle qui sombre malheureusement dans les archétypes, aussi bien dans sa conceptualisation que dans sa démonstration. Et même si le récit a fait vibrer des résonances personnelles pour Vrigo qui lui aussi est né de parents caribéens avant de migrer au Canada à l’âge de onze ans, l’influence des premiers films de John Singleton (et son approche pédagogique) et Spike Lee (les liens filiaux et la description d’une communauté) est encore très présente dans le cheminement cinématographique du cinéaste.
Malgré ces nombreux bémols, Virgo a su tirer le maximum de sa distribution où se distingue Aaron Pierre, dans le rôle du grand frère, qui est sur le point de devenir une future grande vedette du cinéma.