13 septembre 2018

★★½ | Madeline's Madeline

★★½ | Madeline's Madeline

Réalisé par Josephine Decker | Dans les salles du Québec le 14 septembre 2018 (Cinéma du Parc)
Critique rédigée dans le cadre du festival Fantasia 2018

L'adolescente Madeline (Helena Howard, révélation que l'on espère revoir très bientôt) s'éveille petit à petit au désir, doit faire face à une mère un peu trop protectrice et passe par la case théâtre, activité qui semble aussi importante sur le plan créatif que pour l'aider à améliorer sa vie (accepter celle de demain et régler ses comptes avec celle d'hier et des problèmes de santé mentale). Avec un tel point de départ, et de tels sujets abordés (passage à l'âge adulte, rôle quasi thérapeutique de la création, environnement familial pesant, etc.), Josephine Decker aurait facilement pu tomber dans le piège de la sur-explication narrative et du recours excessif à la psychologie. Sa grande force est d'avoir tourné le dos à ces passages obligés du cinéma mainstream. Elle préfère nous présenter son héroïnes et les enjeux de son récit par petites touches qui viennent progressivement former en ensemble cohérent, composé de personnages dont on sait assez peu de choses, mais qui finissent par être toutefois suffisamment définis.
Malheureusement, elle va un peu trop loin dans sa démarche, en optant pour un angle qui aurait pourtant pu ne pas nous déplaire: utiliser le plus possible les armes du cinéma, en jouant sur le son, le cadrage, la mise au point, dans le but (trop) évident de traduire les sentiments de son héroïne, son rapport au réal, son imprévisibilité, sa fragilité… Malheureusement, tous les effets dont (ab)use Decker ne parviennent jamais à nous faire ressentir une émotion. Ils ne sont rien d'autre que des artifices au service d'intentions trop visibles. Ainsi, jamais le spectateur doit se contenter de subir des effets de cinéma destinés à traduire cette émotion. Par conséquent, l'envie de cinéma de Decker étouffe constamment son héroïne et, avec elle, son propos.
Pourtant, dans une scène magnifique qui permet à Madeline de régler ses comptes avec sa mère sous couvert d'une performance scénique, le cinéma de Decker se fait plus subtil, ses effets moins ostensibles: le résultat est d'une grande force. Certes, ce moment où Decker se libère de l'usage de ses effets trop maladroits correspond à celui où l'héroïne se libère de la chape maternelle. Si on comprend la volonté conceptuelle, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si elle était vraiment indispensable. Decker n'aurait-elle pas pu nous faire ressentir des émotions, au lieu de nous montrer par quel moyen elle souhaitait y parvenir?

7 septembre 2018

★★★½ | We the Animals

★★★½ | We the Animals

Réalisé par Jeremiah Zagar | Dans les salles du Québec le 7 septembre 2018 (EyeSteelFilm)
We the animals, premier long-métrage de fiction du réalisateur Jeremiah Zagar est une adaptation fascinante du roman de Justin Torres. En évitant toute forme de voyeurisme, Zagar demeure fidèle à son instinct de documentariste. Il nous invite à observer les tribulations d’une famille dont la destinée semble sans issue. Les problèmes financiers (les deux parents occupent des emplois sous-rémunérés) et familiaux (l’équilibre du couple est des plus vacillants) nous laissent présager le pire pour les enfants qui sont véritablement livrés à eux-mêmes. C’est d’ailleurs sur ces enfants (trois jeunes comédiens non professionnels), que le réalisateur jette son regard bienveillant. Il s’attardera sur le plus jeune des trois (Evan Rosado), qui se retrouve en pleine période de confusion face à sa sexualité.
La mise en scène (montage impressionniste, choix musicaux, direction photo), se retrouve à la hauteur des enfants. Une liberté s’en dégage. Tout en suivant une courbe dramatique, la structure fluide du récit nous permet de constants échappatoires vers l’imaginaire du plus jeune des garçons. Passionné par le dessin, il illustre son quotidien dans un cahier qu’il cache aux autres membres de sa famille. Ce jardin secret est partagé avec le spectateur sous la forme de séquences d’animations qui s’intègrent parfaitement au récit.
Zagar nous propose une œuvre sensible sur la résilience. Ici, les enfants sont les plus forts. Aussi solides (voire plus) que les adultes autour d’eux. Dans le rôle des parents, Sheila Vand et Raoùl Castillo offrent tous deux une interprétation tout en finesse. Malgré les imperfections qui habitent leurs personnages, on arrive tout même à réaliser les nuances et les profondeurs de leurs caractères. Tout n’est pas noir ou blanc. Le film évolue avec aisance dans cette zone de gris. Il est question de pauvreté, de racisme (le père est portoricain), de violence conjugale, de dépression, d’homosexualité. À tout moment, le film nous donne l’impression de glisser vers le mélodrame. Contre toute attente, Zagar parvient à garder un équilibre en traitant ces thèmes avec compassion.
We the animals confronte avec brillance la dure réalité à la poésie de l’enfance.

3 septembre 2018

Août 2018 selon Martin Gignac

Août 2018 selon Martin Gignac

Happy Hour (Ryûsuke Hamaguchi)
Chaque mois, Cinéfilic revient sur les films qui ont fait... le mois, justement. Une façon de conserver à jamais ces moments marquants, de ramener vers la lumière des images avant de les laisser s'engouffrer dans l'ombre des salles de cinéma et de notre mémoire.

Août a débuté et s'est conclu avec deux immenses opus cinématographiques. D'abord avec Happy Hour, la fresque de plus de cinq heures (!) de Ryûsuke Hamaguchi sur le quotidien parfois difficile de quatre amies. Une œuvre majeure et essentielle sur la condition humaine qui trônerait dans n'importe quel palmarès. Mais oserions-nous la mettre dans le nôtre pour un long métrage de 2015 qui vient seulement de prendre l'affiche en territoire francophone? Certainement! En espérant qu'on puisse découvrir la nouvelle création du réalisateur (Asako I & II) au prochain FNC...

Puis le mois s'est terminé en apothéose avec une version restaurée du classique Andrei Rublev d'Andreï Tarkovski. Tout a déjà été dit et écrit sur ce chef-d'œuvre, probablement le plus grand biopic et le meilleur second film de l'histoire du cinéma. Mais le redécouvrir sur grand écran est une joie incommensurable. Le cinéphile est à nouveau porté par la charge divine qui n'a toujours aucun équivalent, mais il peut palper encore davantage le génie plastique de son auteur et son talent de musicien. En effet, tout est musical dans ce sommet, alors que les éléments et le silence bercent l'ouïe comme jamais. On met quiconque au défi de trouver un son d'eau et de pluie aussi juste et profond (hors de son Solaris, évidemment).

Entre ces deux nirvanas, plusieurs titres de grande qualité se sont côtoyés, dont le plus foudroyant est certainement En guerre de Stéphane Brizé. Une déflagration sociale qui fait mal, alliant parfaitement son message nécessaire à sa forme souvent renversante.

Pour le reste, gardons seulement à l'esprit ces fulgurants instants de grâce...

- La fillette perdue du déchirant Eighth Grade.
- Le sentiment de liberté totale qui émane de Skate Kitchen.
- La finale bouleversante de BlacKkKlansman.
- Cette sensation d'être dans le feu de l'action en découvrant le documentaire This is Congo.
- La photographie à couper le souffle de Ciello.
- La danse de l'année, gracieuseté de Gaspard va au mariage.
- Les frissons hallucinants de The Crescent.
- Le bonheur de se plonger 1945, un surprenant drame hongrois que pratiquement personne n'a vu... car personne n'en a parlé lors de sa sortie en salle au Québec.

31 août 2018

★★★½ | En guerre

★★★½ | En guerre

Réalisé par Stéphane Brizé | Dans les salles du Québec le 31 août 2018 (MK2│Mile End)
Après une adaptation de Guy de Maupassant (Une vie), Stéphane Brizé livre avec En guerre une sorte de suite thématique à l'excellent La loi du marché. Nous retrouvons ici l'acteur fétiche du cinéaste (Vincent Lindon, une nouvelle fois excellent) et un thème social qui tourne autour de la difficulté du monde du travail. Cette fois, le personnage incarné par Lindon est un syndicaliste qui se bat pour faire respecter la parole de son employeur: maintenir l'usine en activité en échanges des efforts consentis depuis plusieurs années par les employés. Mais comme c'était déjà le cas avec La loi du marché, l'acteur baigne dans une illusion de réel orchestrée avec une justesse impressionnante par Brizé: l'alchimie entre l'acteur expérimenté et les non professionnels est parfaite, les dialogues très écrits sont d'une justesse constante, et la caméra, qui semble toujours à la recherche de son sujet et de son point, parvient à renforcer un peu plus cette illusion de prise sur le vif, sans excès de flous ou de bougé, pour un résultat que l'usage risqué (mais totalement convaincant) du format Scope rend encore plus bluffant.
De son côté, l'écriture est tout aussi remarquable. Nous avons déjà abordé les dialogues, mais le discours politique est tout aussi réussi. Loin de défoncer des portes ouvertes en offrant sur un plateau un discours militant sans nuance pour caresser la gauche dans le sens du poil (au risque de se mettre à dos des spectateurs aux idées plus neutres), Brizé apporte la nuance qui manque si souvent aux cinéastes politiques (les Dardenne par exemple, trop souvent!), essaie de comprendre les différents points de vue (ou du moins de les exposer) et ne condamne pas d'emblée et sans jugement ceux qui ne pensent pas comme lui. Le résultat touche au but en refusant de limiter son combat à celui des gentils (les ouvriers opprimés) contre les méchants (les patrons qui s'en mettent plein les poches). Bien évidemment, ses opinions politiques ne laissent planer au final aucun doute, mais Brizé a le mérite de prendre le temps d'exposer un avis plutôt que de vouloir uniquement prêcher à des convaincus.
Tout était donc réuni pour qu'En guerre soit une grande réussite... jusqu'à sa fin, véritablement consternante. Après avoir fait preuve de nuance tout au long du film, En guerre s'écroule totalement à l'occasion de l'ultime plan. Les qualités du films nous faisaient jusqu'ici oublier certaines faiblesse, notamment le caractère un peu trop parfait et pas assez complexe (presque trop christique) du personnage principal. En transformant son personnage en martyr, Brizé transforme en évidence une faiblesse qui parvenait à se faire discrète. Sera-t-elle suffisante pour faire a posteriori de l'ombre au film? Chacun jugera, mais une chose est sûre: il serait dommage de passer à côté des 105 premières minutes!

30 août 2018

★★★ | Nico, 1988

★★★ | Nico, 1988

Réalisé par Susanna Nicchiarelli | Dans les salles du Québec le 31 août 2018 (EyeSteelFilm)
En s’attardant sur les deux dernières années de la vie de Nico, la réalisatrice renverse consciemment l’attente créée par le format biopic. La chanteuse allemande, Christa Päffgen de son vrai nom, est alors loin de sa carrière de mannequin ou de sa collaboration avec The Velvet Underground. À la fin de sa quarantaine seulement, Nico voit déjà la fin et s’efforce d’être en paix avec un passé ultimement irréconciliable.
C’est pourtant sur des images d’enfance que Nicchiarelli ouvre son film : Christa, en Allemagne, voit au loin Berlin qui brûle. C’est la fin de la guerre qui n’annonce rien de bon. La thèse est placée : la chanteuse vit toujours dans l’appréhension, dans la peur de la souffrance à venir, mais c’est aussi cette impression qu’elle essaiera éternellement de recréer dans sa musique. Dans le film, Nico évoque même qu’elle n’aurait jamais été heureuse «alors qu’elle était belle», dans ce qu’on considérerait probablement comme ses meilleures années.
Formellement, Nico, 1988 prend la forme d’un road movie assez confus. Voyageant avec sa troupe pour une dernière tournée, les péripéties que la chanteuse rencontre ne forment pas, a priori, de ligne directrice. Le film ne tient seulement qu’à la présence de son personnage principal. Loin de vouloir l’élever au rang de mythe, Nicchiarelli la présente à son plus vulnérable et, souvent, à son plus détestable. Jouée avec abandon par Trine Dyrholm, qui réinterprète des morceaux de la chanteuse avec un mimétisme frappant, Nico est un personnage foncièrement antipathique.
L’ensemble prend en quelque sorte une forme épisodique dont l’intérêt varie grandement. Le tempérament imprévisible du personnage principal est souvent exploré sans toutefois arriver à un résultat probant. Les scènes de crises deviennent rapidement répétitives et, sans ligne directrice pour les soutenir, mènent rapidement nulle part. Le film prend un peu de forme alors que Nico commence à renouer avec son fils, mais le point narratif, même s’il apporte de beaux moments, est trop peu approfondi pour prendre complètement forme.
Malgré son caractère confus, Nico, 1988 réussit en tant que portrait impressionniste de son personnage. Nicchiarelli évite les poncifs structurels des biopics. Il n’y a pas, dans son film, d'ascension vers la gloire avant la descente dans l’oubli. Lorsque, dans des flash-backs, Nico est présentée à son sommet, c’est à partir d’images filmées par Jonas Mekas. L’avant-gardiste filmait déjà le présent comme un souvenir éphémère. Nicchiarelli dans son film fait un contrepoint à l’histoire qui tend à différencier la chanteuse lors de sa gloire et après celle-ci. Le film ne s’attarde que sur la fin de sa vie mais démontre que dans toute celle-ci, Nico était une figure tragique qui imposait l’admiration malgré l’antipathie qu’elle inspirait.