5 avril 2019

★★★★ | Grâce à Dieu

★★★★ | Grâce à Dieu

Réalisé par François Ozon | Dans les salles du Québec le 5 avril 2019 (MK2│Mile End)
François Ozon est un cinéaste inégal, mais au il n'a pas peur de prendre des risques et de refuser de se laisser enfermer dans un style. Ici, il prend un risque maximal avec un sujet sérieux et délicat, qui a sur le papier tout pour faire basculer un film à thèse vers le film à charge. Plusieurs adultes, après des années de silence, se décident à témoigner publiquement des agissements d'un prêtre pédophile qu'ils ont côtoyé dans leur jeunesse.
La force principale de Grâce à Dieu est de ne pas condamner sans jugement. S'il ne fait aucun doute que les personnages sont des victimes, son scénario est suffisamment riche et complexe, ses personnages secondaires suffisamment nombreux et bien définis, pour que la question de la culpabilité soit complexe. Certes, les agissements du prêtre sont intolérables et ont causé des souffrances indélébiles, mais Ozon prend la peine de ne jamais condamner aveuglément et s'interroge (et nous interroge) constamment sur le rôle des personnes indirectement liées au drame (la hiérarchie, les parents, un milieu qui a peur des remous liés au scandale) et la possible souffrance de l'autre, pourtant incontestable coupable d'actes inacceptables (le prêtre, qui n'a jamais nié mais que l'on a en réalité enfoncé en voulant cacher ses agissements).
La richesse du film vient également de la caractérisation des victimes: principalement trois, de milieux différents, aux parcours variés, mais aussi aux réactions parfois opposées face à la situation nouvelle et à la conduite à adopter.
Paradoxalement, ce qui pourrait être la force du film est aussi peut-être sa rare faiblesse: à force de vouloir porter un regard trop large sur une situation complexe, le film d'Ozon ressemblerait presque à un exercice trop scolaire qui voudrait être sûr de cocher toutes les cases d'une bonne représentativité des souffrances, des responsabilités et des enjeux. Nous avons cependant envie d'en faire abstraction. D'une part, le sujet le mérite (et peut-être est-il bon de rappeler que si on est moins armé pour faire face à des drames lorsqu'on appartient à un milieu défavorisé, le confort matériel n'empêche pas la souffrance), mais d'autre part, d'un point de vue purement cinématographique, Grâce à Dieu est une œuvre d'une grande maîtrise. Le cinéaste bâcle parfois un peu certains films, mais ici, il n'en est rien. La construction est exemplaire, avec ses passages de relais impressionnants entre les personnages principaux, l'introduction discontinue de personnages secondaires jamais anecdotiques, la maîtrise du dévoilement des informations (notons à ce sujet l'usage des témoignages ou des écrits pour faire avancer la narration de manière impressionnante).
Finalement, Grâce à Dieu est grand film sur un sujet grave. Certes, à force de vouloir tout dire et à s'intéresser à tous les enjeux, il perd une part de l'émotion qu'il aurait pu générer en se focalisant sur une situation précise … mais refuser la course à l'émotion, pour un tel sujet, n'est-il pas sa force? Chacun jugera, mais une chose est certaine: le dernier Ozon est un film à voir absolument!

29 mars 2019

★★★ | Une femme en guerre  / Woman at War (Kona fer í stríð)

★★★ | Une femme en guerre / Woman at War (Kona fer í stríð)

Réalisé par Benedikt Erlingsson | Dans les salles du Québec le 29 mars 2019 (Métropole)
Une femme, professeure de chant a priori très sage, se transforme le moment venu en véritable Rambo écolo au féminin. Sa mission: débarrasser sa belle Islande des lignes à haute tension qui dénature les vastes et belles étendues peuplées uniquement de moutons.
La première force de ce petit film islandais remarqué lors du dernier festival de Cannes (Semaine de la critique) est de trouver le ton juste, entre le sérieux d'une situation personnelle (le désir de maternité, nous y reviendrons) et le comique (certes froid et absurde, mais assumé) de sa mission écologique. Dans l'air du temps, mais pas vraiment réfléchis, les actes de sabotage de pylônes électriques sont traités avec une réussite indéniable. Non seulement ils permettent au réalisateur et à son chef opérateur de sublimer la beauté de la nature islandaise, mais ils donnent aussi les passages les plus amusants du film, lorsque la professeure de chorale se transforme en véritable guerrière, prête à se camoufler dans les entrailles d'un mouton pour échapper à la vigilance de la surveillance aérienne.
Cependant, à n'exploiter que ce filon, le film se serait peut-être épuisé bien vite. L'autre versant du film (l'adoption d'une petite Ukrainienne), qui semble dans un premier temps superflu, vient finalement donner un tout autre sens au film. Ni fable féministe, ni conte écolo (épithètes de plus en plus galvaudées ; une héroïne qui détruit des pylônes ne suffit pas à faire un film écolo féministe), Une femme en guerre est avant tout une réflexion sur le manque (ici, le désir de maternité) qui peut pousser à se réfugier dans une illusion (ici, un militantisme assez vain). Le constat de cette tragi-comédie est d'ailleurs plutôt amer. Entre un activisme dont la pertinence peu laisser perplexe et une soif de conformisme (on imagine en effet qu'une fois devenue mère, elle arrêtera de jouer les Rambettesson*), existe-il une troisième voie? En ce qui concerne notre héroïne, nous avons quelques doutes. C'est peut-être pour cela qu'elle est si attachante, tiraillée entre son besoin de conformisme et son désir de rébellion... C'est probablement d'ailleurs en cela que son personnage touche à l'universel. 

* forme féminisée et islandisée de Rambo. À prononcer comme il se doit... cela va sans dire!

22 mars 2019

★★ |  Us (Nous)

★★ | Us (Nous)

Réalisation : Jordan Peele | Dans les salles du Québec le 22 mars 2019 (Universal)
Une mère de famille hantée par un traumatisme enfoui de son enfance est la pierre angulaire du second long métrage du réalisateur américain Jordan Peele (Get Out). Tout comme dans son film précédent, le réalisateur parvient à instaurer avec aisance une atmosphère inquiétante où se côtoient habilement l’étrange et l’humour. Peele nous présente une famille qui nous semblera sans histoires. Le père insouciant (Winston Duke), la mère anxieuse (Lupita Nyong’o) ainsi que leurs deux enfants passent des vacances au bord de la mer.
C’est dans cet espace idyllique que le réalisateur (également scénariste) introduit ses personnages pour ensuite mieux les confronter à l’horreur. Cette horreur prend une forme peu commune : la leur. Jordan Peele offre ainsi l’une des scènes les plus troublantes de son film : celle de la rencontre entre la famille et ses doubles. La suite, sanglante et illustrative, perd rapidement en intérêt. Les explications détaillées nous ramènent malgré nous à l’enfance de la mère où toutes les zones d’ombre seront mises en lumière. Il aurait certainement été souhaitable de nuancer les monologues loquaces livrés par la matriarche du groupe des doubles aux ciseaux d’or. Finalement, le plan pour la domination du monde des humains est assez simpliste. On ne peut toutefois pas blâmer Peele d’avoir cherché à clarifier son récit. La faiblesse de l’ensemble tient principalement dans la manière dont il a tenté de l’accomplir.
Heureusement, la mise en scène solide combinée à la direction photographique parvient à nous garder en haleine malgré le ridicule des situations qui se déroulent sous nos yeux. De plus, les comédiens se donnent corps et âmes afin d’élever le scénario qui s’embourbe dans son dénouement. Us peut être vu dans son ensemble comme une réflexion plus ou moins réussie sur l'Amérique qui se doit de combattre un ennemi intime avant de pouvoir réellement avancer.

21 mars 2019

★★★★ | Les éternels / Ash Is Purest White (Jiang hu er nü)

★★★★ | Les éternels / Ash Is Purest White (Jiang hu er nü)

Réalisé par Jia Zhangke | Dans les salles du Québec le 22 mars 2019 (EyeSteelFilm)
Figure de proue de la sixième génération du cinéma chinois, le réalisateur Jia Zhangke confirme sa place importante parmi les grands du cinéma contemporain avec Les éternels, son neuvième long métrage de fiction. De film en film, il continue son exploration de sa Chine natale à travers son évolution et ses nombreux changements sociétaux. Présenté en compétition à Cannes l’an dernier, Les éternels est une longue fresque d’amour s’échelonnant sur plus de 15 ans entre une danseuse et un gangster, membre des triades. Bâti sous la forme d’un polar dont l’action est divisée en trois segments se déroulant entre 2001 et 2017, le film permet à Zhangke de dépeindre une nouvelle fois une société dans laquelle l'économie connait une croissance, au même titre que la pauvreté et le crime.
C’est dans la ville de Datong de la province de Shanxi que la grande majorité de l’action se situe. Le cinéaste raconte l’histoire d’un amour éternel à travers le destin de ses deux personnages principaux. Dans le rôle de Qiao, Zhangke retrouve son actrice fétiche Zhao Tao (qui fait partie de la distribution de tous ses films depuis Platform, son deuxième). Elle incarne avec une justesse d’émotion peu commune cette femme qui va tout sacrifier pour sauver l’homme de sa vie lors d’une violente et sauvage scène de bagarre. Liao Fan (la révélation de Black Coal Thin Ice, Ours d’argent du meilleur acteur à Berlin en 2014) est tout aussi épatant dans le rôle de Bin, ce gangster qui n’a pas froid aux yeux et qui se prend pour un puissant caïd des triades de sa région.
Entre le drame social et le polar romantique, Les éternels fait mouche et se transforme en fable émouvante sur un amour éternel et impossible dans un monde capitaliste.

15 mars 2019

★★★★ | Genèse

★★★★ | Genèse

Réalisé par Philippe Lesage | Dans les salles du Québec le 15 mars 2019 (Funfilm Distribution)
D'emblée, Genèse ne fait rien pour se rendre sympathique: personnage principal masculin arrogant, cassant et antipathique (Théodore Pellerin, une fois de plus parfait); personnage principal féminin un peu bébête (Noée Abita, superbe révélation d'Ava, qui confirme son talent);  mise en scène à la fois un peu rigide et prétentieuse, etc. Heureusement, le film évolue progressivement. Plus le temps passe, plus les personnages nous dévoilent leur complexité, leurs failles, leurs fragilités. Jamais Lesage ne les étouffe sous un alibi narratif. Il préfère les filmer au jour le jour, aux prises avec des problèmes qui peuvent sembler anodins avant de s'imposer comme essentiels: tous les deux doivent faire face au passage à  l'âge adulte, et avec lui, à la découverte de l'amour… ou plutôt de la difficulté d'aimer. L'alternance de ces deux parties, a priori contradictoires mais finalement très proches, est une grande réussite. En plus des qualités déjà évoquées, soulignons l'importance des choix musicaux, qui aident l'ensemble à trouver sa cohérence, mais également les acteurs (tous aussi talentueux que les deux principaux rôles) qui parviennent sous l'oeil de Lesage (au scénario et à  l'écriture) à trouver une épaisseur et une vérité, même lorsqu'ils ne sont que secondaires… voir tertiaires.
La fin de ce dyptique pourrait être celle d'un film réussi, mais Lesage ajoute une troisième partie,  cette fois totalement indépendante, qui rend le film encore meilleur: plus libre, plus lumineuse, plus apaisée,  plus volontairement naïve, elle nous entraîne vers la même problématique, mais à un âge différent (les presque adultes laissent la place au début de l'adolescence).
Avec cette dernière partie qui vient boucler la boucle, il n’y a plus de doutes possibles: malgré  des allures de cinéaste parfois hautain, Lesage sait se montrer sensible et délicat.