7 août 2020

★★★★ | Chambre 212

★★★★ | Chambre 212

Réalisation: Christophe Honoré | Dans les salles du Québec le 7 août 2020 (Cinéma du Parc) 
Texte rédigé dans le cadre du festival Cinemania 2019

On aime Christophe Honoré quand il parle d’amour et se laisse aller à une forme de liberté formelle. Avec ce treizième long-métrage, le réalisateur des Chansons d’amour retrouve une de ses actrices fétiches (Chiara Mastroianni) dans ce conte fantaisiste sur le couple, l’infidélité et l’usure du temps. À la manière d’un Resnais des belles années ou encore d’un Woody Allen dans sa période fantaisiste, Chambre 212 est un film aussi amusant que virtuose. Avec cette mise en scène inventive qui nous fait oublier la présence d’un huis clos, c’est peut-être le film le plus réjouissant à ce jour du cinéaste. Un an à peine après le grave Plaire, aimer et courir vite, Honoré a visiblement eu envie de changer de registre et de s’amuser avec le cinéma et ses propres rouages.
On retrouve une forme de poésie légère dans cette façon d’aborder le couple avec ses riens et ses petits tracas. A priori, le sujet peut paraître lourd sur papier, mais le film ne manque pas d'humour et ce chassé-croisé sentimental qui allie de mêmes personnages du passé et du présent réussit son pari d’être à la fois émouvant et lumineux. On y trouve beaucoup de trouvailles visuelles qui l'enrichissent au lieu de lui mettre du plomb dans les ailes. Outre la radieuse Chiara Mastroianni, le reste de la distribution embarque dans cet univers et se laisse porter de manière loufoque et désinvolte.
Au final, ce film déluré et rempli de charme respire la créativité et le plaisir de filmer.
Certainement un des meilleurs films français de l’année.
★★¾ | Peninsula

★★¾ | Peninsula

Réalisation: | Dans les salles du Québec le 7 août 2020 (Well Go USA Entertainment)
Quatre ans après Train to Busan, qui a fait le bonheur de Fantasia et de ses festivaliers en 2016, Yeon Sang-ho nous revient avec les mêmes zombies sous speed. Cette fois, la péninsule coréenne est totalement infestée de zombies, qui règnent ici en maîtres. Seule faiblesse : leur acuité visuelle laisse à désirer. Lorsque des individus reviennent dans leur pays d’origine en provenance de Hong-Kong pour mettre la main sur un magot laissé sur place, ils connaissent tout comme nous la faiblesse de leurs adversaires… faiblesse qui permet à Yeon de faire évoluer son concept : il va en effet utiliser la faiblesse des zombies pour nous proposer quelques séances d’action nocturnes visuellement très réussies (même si les poursuites en voiture nous donnent parfois l’impression regrettable d’être dans un jeu vidéo).
Si poursuite en voiture il y a, bien évidemment, c’est avant tout en raison de la présence d’autres humains sur place… principalement méchants, comme il se doit. Cela donne lieu à des banalités d’usage, mais fort heureusement, Yeon sait aussi créer des personnages qui diffèrent un peu des lieux communs (une fille dont la maîtrise de la conduite impressionne, et sa petite sœur qui sait utiliser ses jouets préférés pour éloigner les zombies). Malheureusement, cela ne suffit pas totalement à élever Peninsula au rang de grand film de zombie (et le fameux label « Cannes 2020 » reçu par le film n’y changera rien), notamment en raison d’une écriture qui laisse grandement à désirer. Que les personnages soient monolithiques et simplistes, passe encore (les scènes d’action prennent facilement le dessus sur eux), mais les élans de bien-pensance et de mélodrame sirupeux qui viennent plomber les dernières minutes (le tout renforcé par les ralentis et la musique mièvre d’usage) font définitivement basculer le film sous la barre symbolique des ★★★.
Définitivement, si nous voulons une dose de zombies sous speed, nous nous retournerons vers ce bon vieux Dawn of the Dead de Zack Snyder.
Précisons cependant que, malgré son bel accueil, nous n'avions pas été totalement séduits par Train to Busan. Souhaitons donc aux spectateurs ayant apprécié le film de 2016 d’apprécier tout autant ce Péninsula… somme toute, il est vrai, assez divertissant!

17 juillet 2020

★★★½ | Perdrix

★★★½ | Perdrix

Réalisation: Erwan Le Duc | Dans les salles du Québec le 17 juillet 2020 (FunFilm)
Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes en 2019, Perdrix est un petit bijou de cinéma libre et insolite qui débarque sur nos écrans pour offrir une grande bouffée de fraîcheur aux salles du Québec. Premier long métrage du cinéaste autodidacte Erwan Le Duc, cette comédie sentimentale à l’humour décalé est empreinte d’une folie ordinaire. On se laisse bercer dans cette histoire d’amour improbable entre un capitaine de gendarmerie sans histoire (Swann  Arlaud) qui tombe sous le charme d’une femme insolente (Maud Wyler, farouche et attachante) lors d’une enquête de routine.
Filmé entièrement dans les Vosges, en région Lorraine, où le cinéaste a passé une partie de son enfance, le film nous fait découvrir un paysage aussi libre que le film. Avec notamment cette bande de nudistes révolutionnaires et surtout avec le timbré de frère biologiste géodrilologue (spécialiste des vers de terre) qui élève d’une drôle de façon sa fille de 12 ans, Perdrix est souvent très drôle avec son mélange d’humour noir et de burlesque badin.
Ainsi, on se croirait dans l’univers de Quentin Dupieux en plus humain, épurée et en moins meta ou encore dans celui de Wes Anderson par son aspect insolite, fantaisiste et son regard pittoresque sur la famille et l’enfance (sans toutefois les nombreux artifices dont use le cinéaste américain).
On peut certes reprocher au film un fil narratif un brin ténu qui donne parfois des allures d’improvisation, mais au final, on assiste à un cinéma beaucoup plus contrôlé qu’il n’en a l’air. Ça serait bouder notre plaisir de ne pas embarquer dans cet univers empreint de folie, de délicatesse et de tendresse. Un film à voir!

10 juillet 2020

★★★ | Le jeune Ahmed

★★★ | Le jeune Ahmed

Réalisation: Jean-Pierre et Luc Dardenne | Dans les salles du Québec le 10 juillet 2020 (Maison 4:3)
Les frères Dardenne étaient de retour à Cannes l’an dernier avec Le jeune Ahmed, et repartaient une nouvelle fois avec un prix. Il s’agissait cette fois du prix de la mise en scène. Nous n’essaierons pas de savoir si le film méritait vraiment ce prix, mais une chose est sûre : la mise en scène constitue en effet sa principale qualité. Une nouvelle fois attentive aux gens, à leurs interactions, à leurs gestes, elle permet de comprendre en quelques plans un milieu social, des personnages secondaires, mais surtout ce jeune Ahmed, personnage principal omniprésent et attachant malgré ses actes. Si nous regrettons cependant quelques effets (il est vrai rares mais dispensables), nous devront admettre qu’ils sont négligeables à côtés de ces qualités d’une part... mais également des faiblesses du scénario d’autre part. Les (nombreux) admirateurs inconditionnels des Dardenne y verront probablement ce qu’ils aiment. Les spectateurs plus réservés à l’égard de leur cinéma (votre serviteur, par exemple) y retrouveront au contraire leurs travers. Sous couvert d’un discours social inattaquable, les cinéastes continuent à en dire trop là où la puissance de leur mise en scène aurait été suffisante, tout en simplifiant certains enjeux qui auraient mérité d’être traités avec une plus grande finesse.
À ce titre, le thème de la manipulation qui mène à la radicalisation n’est peut-être pas le mieux traité, et certains raccourcis sont aussi préjudiciables que certains détails superflus. Par contre les Dardenne touchent leur cible lorsqu’il s’agit de parler de l’adolescence et de la difficulté à intégrer la complexité du monde qui nous entoure. C’est probablement ce dernier point qui fait au final la qualité du Jeune Ahmed, et qui lui permet de convaincre, malgré ses maladresses...

3 juillet 2020

★★★ | Un fils (Bik Eneich)

★★★ | Un fils (Bik Eneich)

Réalisé par Mehdi Barsaoui | Dans les salles du Québec à partir du 3 juillet 2020 (Axia)
Le cinéaste Mehdi Barsaoui ne manque surtout pas d'ambition dans ce premier long métrage en tentant de faire cohabiter drame familial, tragédie politique et suspense infernal. Il y arrive plus souvent, même si le résultat devient moins harmonieux lorsqu'il tente d'en mettre plein la vue'
La première partie d'Un fils tient étonnamment bien la route. Dès la scène d'ouverture, on découvre une famille tissée serrée alors qu'un père apprend à conduire à son jeune fils en lui « cédant » le volant. Un acte symbolique comme il y en aura de nombreux pas la suite et une introduction en guise de paradis avant que l'enfer s'abatte sur ceux. Il prendra la forme d'un attentat où l'enfant, sérieusement blessé, devra subir une importante opération s'il veut survivre. Cette course contre la montre ébranlera la cellule familiale, surtout lorsque des révélations empêcheront la bonne tenue des opérations...
Tout ce qui arrive possède des connotations politiques et identitaires qui transcendent ce qui arrive. En déroulant l'action dans la Tunisie instable et tumultueuse de 2011, le réalisateur et scénariste se permet de lier les personnages à des enjeux qui les dépassent. Cette progéniture à l'article de la mort devient ainsi le symbole du pays en crise, coincé entre des questions de religion, de libération et d'inégalités sociales, alors que le passé  du père et de la mère  agit comme une imperturbable épée de Damoclès.
N'importe qui aurait pu se satisfaire de cette superbe matière première. Surtout avec des personnages aussi complexes campés par des acteurs à la hauteur (Sami Bouajila s'avère en très grande forme) et quelques séquences d'une intensité peu commune, qui permettent à l'émotion de déferler.
Malheureusement, Barsaoui se sent obligé de jouer la totale en ouvrant la porte au thriller rocambolesque, surtout lorsqu'il quitte l'hôpital pour embrasser des terrains plus escarpés. S'il fait preuve de bon sens dans sa mise en scène sobre et réaliste, dont la caméra à l'épaule enlace la quête des personnages sans leur donner trop d'espace pour respirer, son scénario troque la subtilité pour l'efficacité, sacrifiant pratiquement l'essence même de ses interrogations au profit de rebondissements tirés par les cheveux et de scènes d'action un peu plaquées.
Un fils n'en demeure pas moins un premier film plus que satisfaisant et redoutable à bien des égards, qui ratisse sans doute trop large pour son propre bien mais qui affiche déjà de solides qualités cinématographiques. Comme « nouveauté » à prendre l'affiche pour la réouverture des cinémas québécois, il s'agit certainement d'une des plus intéressantes.

19 juin 2020

★★ | The Surrogate

★★ | The Surrogate

Réalisé par Jeremy Hersh | Au Québec : en primeur numérique à partir du 19 juin 2020 (Cinéma du Parc)
Jess (Jasmine Batchelor), une jeune femme noire et indépendante, accepte de porter l’enfant de son meilleur ami (blanc) et de son conjoint (noir). Lorsqu’un test prénatal leur fait comprendre que l’enfant qu’elle porte risque d’être atteint de trisomie 21, la question d’un possible avortement se pose et vient semer le trouble sur une belle amitié.
En 10 minutes, tout ce qui est écrit plus haut est dit de manière tout sauf subtile: chaque scène est sursignifiante et chaque détail affirme clairement la volonté du cinéaste d’ancrer son film dans une Amérique progressiste (donc, forcément très new-yorkaise). Bien évidemment, tous les enjeux de société abordés sont importants et les intentions de Jeremy Hersh sont très louables... mais son excès de bonne volonté et son désir de tout aborder de manière exhaustive donne au film des allures de pensum indigeste livré par un élève qui veut trop en faire pour tout dire. Certes, le réalisateur a le mérite de vouloir susciter la réflexion sur un sujet difficile sans imposer de réponse évidente, mais cela n’est jamais satisfaisant en raison de ce déluge trop insistant de bonnes intentions et de passages obligés dans la caractérisation des personnages, qui contrastent fortement avec quelques moments beaucoup plus libres et plus réussis impliquant des enfants trisomiques. Ces quelques instants où un semblant de vie semble habiter le film sont vite noyés par une succession d’intentions, qui font de ce film, au mieux, une matière à réflexion pour étudiants, mais probablement pas le film souhaité, sur un sujet difficile.
The Surrogate n’est donc en réalité pas grand-chose de plus que du cinéma indépendant new-yorkais médiocre (et oui... ça existe!) qui a, il est vrai, le mérite de la sincérité.

12 juin 2020

★★★★ | It Must Be Heaven

★★★★ | It Must Be Heaven

Réalisation : Elia Suleiman | Au Québec : en primeur numérique à partir du 12 juin 2020 (Cinéma moderne et Cinéma du Parc) puis VSD à partir du 19 juin, puis dans les salles à partir du 3 juillet.
It Must Be Heaven refuse de se présenter sous les formes attendues du film politique engagé. Elia Suleiman s’y met en scène, voyageant de la Palestine vers Paris et finalement New York, essayant de faire financer infructueusement un nouveau film. Alors que son projet est déclaré par un producteur comme « trop peu palestinien », on comprend que la critique soulevée pourrait bien être donnée au film qui nous est présentement montré et que Suleiman, avec une certaine fantaisie, commente son statut de cinéaste de la région. Le film s’inspire donc moins du cinéma revendicateur que des comédies silencieuses d’un Mr. Hulot, entre autres. Suleiman s’y place comme un observateur tranquille, avare en paroles, qui ne s’esclaffe que légèrement face aux situations dont il est témoin. Il regarde des tics culturels des lieux visités avec un humour bienveillant, moqueur mais sans condescendance, faisant d’It Must Be Heaven une comédie d'où émane une lucidité tranquille.
Si le caractère d’observateur amusé du film s’oppose à ce que l’on pouvait attendre, comme il est noté dans le film, d’un cinéaste palestinien, ce n’est surtout pas parce qu’It Must Be Heaven est sans préoccupations, bien au contraire. Dans son caractère absurde, Suleiman souligne autant les différences des lieux qu’il visite que leurs inévitables ressemblances : la présence de soldats en Palestine rejoint les parades armées de la France et l’omniprésence des armes aux États-Unis. Les symboles se rejoignent et, même si leurs contextes diffèrent, ils sont habités par des inquiétudes parallèles. La question du « film palestinien » revient alors, et la réponse que Suleiman donne n’est peut-être pas celle voulue par les marchés internationaux, mais c’est la plus sincère : le geste cinématographique se doit d’être libre, dans les mains de son créateur, et peu importent les attentes qui lui sont appliquées.
It Must Be Heaven ne ressemble peut-être pas à un film politique sur la Palestine. Cependant, dans sa liberté de filmer, Suleiman réussi à présenter un regard propre à lui-même et à son expérience.

31 mai 2020

★★★ | Brumes d'Islande / A White, White Day (Hvítur, hvítur dagur)

★★★ | Brumes d'Islande / A White, White Day (Hvítur, hvítur dagur)

Réalisation : Hlynur Palmason | En VSD au Québec à partir du 29 mai 2020 (Cinéma Moderne)
Film d’enquête, film de famille et film de possibles fantômes, Brumes d'Islande fascine par son formalisme et la beauté du paysage islandais. Une route envahie par la brume. Une voiture qui disparaît. À travers la brume, entre le monde des vivants et celui des morts, le film de Hlynur Palmason explore de manière délicate les complexités du deuil. En suivant la construction de sa maison par un homme veuf (également policier), le film nous expose parallèlement une structure émotionnelle fragilisée par la perte d’un être cher. En apparence, tout semble sous contrôle. Cependant, derrière la tristesse et le vide laissé par la mort de sa femme, le policier en arrêt de travail ne peut s’empêcher de vouloir des réponses sur la mort de sa femme. Qui était-elle vraiment ?
Enquêtant dans le plus grand secret de ses collègues et de sa famille, il observe discrètement la vie d’un homme du village qui aurait peut-être eu une aventure avec sa femme. C’est également dans cette pratique d’observation que le réalisateur place son regard. Malgré le drame que vit le personnage, la mise en scène (qui pourrait paraître froide) garde une certaine distance pour nous permettre d’être plus à l’écoute (à la fois des personnages et de l’excellente trame sonore qui ajoute au mystère). Sans trop d’effets, le film nous dévoile les petits faits étranges de la vie.
Si n’y a qu’un mystère qui sera vraiment résolu dans le film, c’est que l’amour demeure malgré la mort. Palmason nous rappelle que c’est aussi au cinéma que l’on peut prendre le pouls de sa vie. En observant d’autres que nous, on peut s’interroger sur notre rapport à la vie et ce que représente le fait d’être vivant. Au-delà des prix, des festivals, et autres prestiges de l’industrie, le bon cinéma nous offre ça.