20 février 2021

★★¾ | I Care a Lot (Une action particulière)

★★¾ | I Care a Lot (Une action particulière)

Réalisation : J Blakeson | Disponible en VSD au Québec depuis le 19 février 2021
I Care a Lot, qui hésite constamment entre thriller et comédie noire, n'est pas passé loin d'être le petit film à voir bien au chaud dans le confort de son salon en attendant la prochaine (et probablement très provisoire) réouverture de nos salles de cinéma.
D’abord, le sujet n’est pas inintéressant. Certes, il s'agit d'une énième réflexion sur notre société qui nous oblige à choisir entre être loup ou mouton, mais le film de J Blakeson pousse certains éléments un peu plus loin que d'habitude. Non seulement les proies de la protagoniste sont des personnes âgées, donc particulièrement vulnérables, mais en plus, la manière dont le film introduit un parallèle entre l'entrepreneuse à succès et le mafieux est assez réussie. D'abord opposés en tout point, les deux personnages deviennent de plus en plus proches (ambitieux, ne renonçant jamais, plus forts après chaque nouvelle déconvenue, prêts à tout pour sauver ceux qu’ils aiment... et surtout, habités par une ambition hors norme et ne renonçant devant aucune opportunité). Seule une différence les sépare: l'un agit dans le secret de l'illégalité, alors que l'autre prend des allures d'exemple aux yeux d'un monde en quête aveugle et permanente de modèles de réussites. Autre point fort: Rosamund Pike, une nouvelle fois impeccable, parvient à apporter régulièrement des nuances à son personnage de manière impressionnante. Malheureusement, le reste ne suit pas. Non seulement le scenario est beaucoup plus simpliste que l'aurait exigé le sujet abordé, mais la mise en scène ne fait qu'accentuer cette faiblesse. Nous imaginons constamment ce que le film aurait pu être sous la direction d'un cinéaste de talent, mais devrons nous contenter d'un film paresseux, sans vrai cynisme, sans rythme et noyé par la musique redondante de Marc Canham.
Certes, les éléments positifs mentionnés plus haut suffiront à rendre le visionnement agréable. Mais cette critique prétendument acerbe sur l'ambition et la course au succès aurait mérité un meilleur sort. L'excellente prestation de Rosamund Pike, justement nommée aux prochains Golden Globes, également!

12 février 2021

★★★½ | Saint Maud

★★★½ | Saint Maud

Réalisation: Rose Glass | Disponible en VSD au Québec à partir du 12 février 2021 (Entract Films)
Le premier film de la britannique Rose Glass, précédé d’une réputation élogieuse, arrive sur les plateformes numériques québécoises, et il serait bien dommage de passer à côté.
Dès les premiers instants, nous suivons comme son ombre Maud, infirmière auprès d’une femme en fin de vie : ses gestes, les relations avec la malade dont elle s’occupe, mais aussi sa solitude et surtout sa certitude d’avoir enfin trouvé Dieu, après un passé difficile. Sur ce passé, Glass nous en dit le moins possible, seulement de quoi comprendre son sentiment de culpabilité, sa soif de rédemption, mais également son traumatisme qui semble l’élément déclencheur de sa chute. Car si Maud croit avoir trouvé Dieu, c’est en fait un trouble mental qui prend de plus en plus de place et qui finit par l’entraîner vers une folie de plus en plus envahissante. L’observation de cette dégradation, ou au contraire de ce faux sentiment d’ascension vers la plénitude (car plus Maud chute vers la folie, plus elle a le sentiment d’être l’envoyée de Dieu), est aussi impressionnant que glaçant. La réalisatrice, qui épouse parfaitement le point de vue de son héroïne, nous montre à l’écran ce que ressent Maud : le combat contre le Mal, son statut de bras armé du pouvoir divin, son sacrifice au service (et sous les yeux) de l’humanité reconnaissante. Logiquement, les derniers moments du film le font glisser vers l'horreur, de manière toujours pertinente, sans excès, avec la retenue relative que permet un tel personnage.
Épaulée par une superbe direction photo (sombre et volontairement terne) signée Ben Fordesman et par une interprétation subtile (même dans l’excès) de Morfydd Clark, Rose Glass nous offre avec Saint Maud un premier film remarquable, quelque part entre drame de la solitude (et/ou de la culpabilité) et fantastique horrifique. À ne pas manquer!

30 janvier 2021

★★★½ | Adolescentes

★★★½ | Adolescentes

Réalisation : Sébastien Lifshitz | Disponible au Québec en VSD sur divers plateformes
Présenté aux RIDM 2019, et fraîchement auréolé du prestigieux prix Louis-Deluc du meilleur film français, Adolescentes, disponibles sur plusieurs plateformes de visionnement en ligne, est un documentaire à ne pas manquer. Il suit le parcours de deux adolescentes, de 13 à 18 ans, dans la petite ville de Brive-la-Gaillarde.
Avouons-le cependant, les premiers moments soulèvent quelques réserves : on se demande en effet rapidement si le processus de filmage n’a pas eu une incidence sur le comportement des sujets, qui semblent parfois en représentation, notamment lors des scènes conflictuelles avec les parents. Mais progressivement ce sentiment s’estompe. Non seulement Sébastien Lifshitz modifie sa manière de filmer, mais surtout, il semble évident que lui et son équipe deviennent de plus en plus en plus transparents aux yeux des protagonistes, qui se mettent à agir de manière de plus en plus naturelle.
Le spectateur peut alors laisser de côté ses réserves pour s’intéresser au vrai sujet : l’évolution de l’amitié entre deux adolescentes sur une période de cinq ans… et là, un petit miracle se produit. En réussissant le casting parfait (deux amies que tout oppose, aussi bien physiquement que sociologiquement ou psychologiquement), le réalisateur parvient presque à dresser un portrait de l’adolescence en se focalisant sur seulement deux individus. Il nous offre également un instantané d’une époque marquée par les événements dramatiques que l’on sait (attentats en France).
Au-delà de son sens de l’observation et de la concision (500 heures de rushes étalés sur plusieurs années pour 2h25 de film), Lifshitz est également aidé par le hasard qui lui permet de nous proposer quelques épisodes dramatiques (l’incendie d’un logement, le coma d’une mère) qui se règlent finalement pour aboutir en une sorte de happy end plein d’espoir.
On aurait presque envie de les retrouver dans 10 ans, pour savoir ce qu’elles sont devenues, et si la vie qu’elles se sont construite a été à la hauteur de leurs espoirs adolescents. Ou, peut-être, pour faire le bilan des premières vraies désillusions !
À suivre ?

4 décembre 2020

★★★ | Black Bear

★★★ | Black Bear

Réalisation: Lawrence Michael Levine | Disponible au Québec en VSD à partir du 4 décembre 2020 (Pacific Northwest Pictures)
Black Bear, présenté au Sundance Film Festival, a tout du film américain indépendant qui agace l’auteur de ces lignes par son abus de “tout ce qu’il faut mettre dans un film indépendant pour avoir l’air intelligent et donc être inattaquable”: des gens qui parlent pendant le repas un verre de vin à la main (pour faire un peu “cinéma français”, c’est toujours chic), des sujets du moment (la place de la femme, ça fait “concerné par son époque”), une petite touche métafictionnelle et une construction en deux parties qui se répondent (c’est toujours de bon ton de réfléchir sur le travail de l’artiste tout en faisant une proposition narrative un peu ambitieuse).
Autant le dire tout de suite, le début a tout pour toucher sa cible (la critique américaine “sérieuse”) tout en rebutant les autres (le large spectre des laissés pour compte). Heureusement, Aubrey Plaza est là. Non seulement, sa seule présence est une réjouissance, mais en plus, à l’approche de la quarantaine, elle ose un rôle qui la fait sortir de l’adolescence (ou du statut de jeune adulte qui lui colle à la peau). Lorsque le film bascule dans la seconde partie, miroir de la première, l'actrice devient encore plus l’élément essentiel du film. Et c’est bien à ce moment-là que le spectateur grincheux et agacé par la première demi-heure (au hasard, l’auteur de ses lignes, encore lui) doit bien admettre qu’il avait fait fausse route. Non seulement la proposition narrative est à la hauteur de son ambition et permet une réflexion plutôt pertinente aussi bien sur le couple que sur le processus de création, mais surtout, Lawrence Michael Levine confirme qu’il avait fait le bon choix en confiant ce rôle à la comédienne de Safety Not Guaranteed. Dans le rôle casse-gueule de l’actrice insécure, alcoolique et trahie, elle s’en sort à merveille en évitant les pièges dans lesquels elle aurait facilement pu tomber. 
Et avec elle, c’est finalement le film, aussi cérébral que maîtrisé, qui nous convainc, malgré une mise en route un peu laborieuse.

20 novembre 2020

Cinemania 2020 | ★★¾ | Des hommes

Cinemania 2020 | ★★¾ | Des hommes

Réalisation: Lucas Belvaux
Sans aucun doute un des cinéastes belges les plus intéressants depuis 20 ans, Lucas Belvaux est un habitué du festival Cinemania. En adaptant le roman éponyme de Laurent Mauvignier, le réalisateur de La raison du plus faible et de Pas son genre change à nouveau de registre avec Des hommes, dans lequel il revient sur des événements survenus durant la guerre d’Algérie. Guidée par la mémoire de ses trois protagonistes, la construction narrative sous forme de flash-back procure au film cette dimension intime qui le distingue de ses pairs en matière de fresque de guerre. Derrière ce classicisme et cette sobriété, se cache un drame émouvant sur deux frères d’armes qui ont préféré se taire et dont le passé ressurgit lors d’une fête 40 ans plus tard.
Avec dans les rôles principaux Gérard Depardieu (plus imposant que jamais), Jean-Pierre Darroussin (avec son éternel air de chien battu) et Catherine Frot (plus effacée), Des hommes parle de racisme ordinaire et de blessures lointaines. En évitant la complaisance lors de ces moments plus tendus (voire cruels) ou un recours à une forme de bellicisme, le cinéaste s’en tient à l’essentiel, à savoir que personne ne peut échapper à son passé et aux conséquences traumatiques qui en découlent. Toutefois, l’intrigue piétine par moments et le rythme languissant tout comme le discours parfois insistant auraient mérité d’être plus resserrés. Mais malgré ses défauts, on y trouve quelques moments forts comme cette scène mémorable de fête qui est l’élément déclencheur d’un retour vers un passé beaucoup moins glorieux et vers cette tension latente qui règne au village depuis trop longtemps. On  y retrouve un personnage incarné par Gérard Depardieu (complètement ivre et au comportement disgracieux) qui renvoie à celui qu’il campait dans Uranus trente ans plus tôt dans le film de Claude Berri.
★★½ | Été 85

★★½ | Été 85

Réalisation: François Ozon | Disponible au Québec en cinéma virtuel à partir du 20 novembre 2020 (Axia Films
Film présenté au Québec dans le cadre du festival Cinemania 2020.

François Ozon tourne beaucoup. Environ un film par an. Sur le lot, certains sont très maîtrisés (dont les récents et excellents Franz et Grâce à Dieu). D’autres sont très surévalués et appartiennent aux sélections cannoises sans que l’on comprenne vraiment ce qu’ils font là. C’était le cas pour Jeune et Jolie. C’est également le cas pour Été 85.
Bien évidemment, Ozon a du talent et son film n’est pas dénué de qualités. Le cinéaste aime visiblement filmer ses personnages et les voir déambuler. Il sait aussi nous faire ressentir ce qu’il y a entre les êtres — il s’agit principalement d’un couple de jeunes hommes trop différents, mais aussi d’une mère qui vit le deuil de son mari à sa façon (un des meilleurs rôles de Valeria Bruni Tedeschi) et d’une jeune Anglaise qui met le feu aux poudres malgré elle.
Ajoutons aux réjouissances l’aspect film-synthèse, qui n’est pas sans charme (Été 85 semble en effet composé d’une somme d’éléments que l’on retrouve dans les films passés du cinéaste).
Et pourtant le film ne convainc pas totalement. Peut-être justement parce qu’il n’accorde pas assez de place à ce qu’il fait si bien (observer la montée du désir avant son délitement, imparable conséquence d’un amour entre un jeune homme trop sûr de lui et d’un autre qui ne l’est pas assez). Il préfère se focaliser sur un double suspense amorcé d’emblée (nous savons tout de suite que le jeune héros a commis un acte répréhensible... mais lequel? et que son amant est mort... mais comment?). L’anecdote (l’intrigue) prend le dessus sur le vrai sujet (l’évolution d’une relation entre deux amants), et le film prend l’eau comme un vieux voilier sous un orage normand, une journée d’été 85. Mais heureusement, en ces temps-là, la musique pouvait être bonne, et Ozon nous le rappelle avec une succession de choix musicaux qui nous ferait presque oublier les défauts du film. Presque !
Nostalgie, quand tu nous tiens!