9 octobre 2011

Entrevue avec Guy Édoin (réalisateur de Marécages)

À quelques jours de la sortie de Marécages (dans les salles québécoises le 14 octobre), cinéfilic a rencontré son réalisateur Guy Édoin, qui signe ici un premier long métrage déjà fort remarqué sur le circuit des festivals (Venise, Toronto, Pusan, etc.).

Avant tout, je tenais à vous féliciter pour votre sélection à Venise, à la Semaine de la critique. Cette sélection vous a-t-elle ouvert des portes à l’international? À moins qu’il ne soit trop tôt pour faire ce genre de bilan…
Il est encore un peu tôt. Mais Venise nous a permis d’avoir un vendeur international. Nous avons en effet signé avec Fortissimo, qui a pris pour la première fois un film francophone dans son catalogue. Mais en plus de ça, c’est vrai que ça nous a donné une belle visibilité. Nous avons eu de bonnes critiques dans des magazines influents… et ça a bien préparé le terrain pour les autres festivals.

Depuis Venise en effet, beaucoup d’autres festivals se sont enchaînés!
Oui, on en a fait cinq depuis un mois, et il en reste encore une douzaine pour la saison d’automne.

Marécages est votre premier long métrage. Avant cela, vous aviez fait des courts métrages qui avaient connu également de beaux succès en festivals. Vous dites que Marécages s’inscrit dans la continuité de votre trilogie, Les Affluents. Pouvez-vous justement nous en dire plus sur cette continuité…
En fait, les quatre films ont été tournés sur la ferme de mes parents et mettent en scène le milieu rural, l’incommunicabilité, la sexualité. Les courts ont toujours été des laboratoires de recherche tant au niveau formel que scénaristique. J’ai essayé des affaires… et je voulais que Marécages soit la somme de mes expériences. Mais j’étais dans une fiction plus soutenue qu’avant, c’est une histoire qui est construite sur 1h50, ce qui est très différent. Mais les thèmes sont récurrents. Il y a des petits clins d’œil également, je me suis amusé…

D’ailleurs vous reprenez un extrait d’un de vos courts…
Oui, de mon premier court métrage. Il y a aussi des plans de mon troisième court qui reviennent. Disons que ce film est l’aboutissement de huit ans de recherche et de création.

C’est comme la fin d’un cycle?
Oui, tout à fait.

Pour vous, c’est important de construire une œuvre cohérente (mais évolutive peut-être), ou alors vous êtes prêt à aller complètement dans une autre direction?
Il y aura forcément une identité, même si mon prochain projet est complètement différent. Ça sera l’adaptation d’un roman. Ça sera très urbain. Par contre, celui d’après ne sera pas vraiment la suite de Marécages, mais sera comme le négatif du positif… on suivra un des personnages du film plus tard.

Parlons justement plus précisément de Marécages. La scène pré générique, très belle et très organique, est un peu en dehors du film. D’où vient cette scène? Quand est-elle née?
En fait, le scénario était structuré comme une tragédie. Mon premier contact avec la littérature a été la tragédie grecque, que j’affectionne particulièrement. Pour moi, cette scène, dans le film actuel, fait vraiment office de prologue. Un prologue qui aurait pu être à la fin aussi… Mais en le mettant au début, on rentrait dans le film au second degré. On y voit la force et la vulnérabilité de cette femme qui est face à son destin. La caméra fait une embardée face aux éléments. Je trouvais qu’elle amenait un degré de lecture… après le générique, dès qu’on revient, on est dans le travail. On revient même de manière assez violente.

Pour les lecteurs, pouvez-vous en quelques mots nous parler du sujet de votre film.
C’est l’histoire d’une famille d’agriculteurs. Durant un été caniculaire, le fils va causer un accident qui va venir changer la dynamique familiale. Durant cet accident, un homme va venir les aider et va ensuite s’immiscer dans cette famille.

Donc, ça se passe en milieu rural, c’est tourné dans la ferme de votre enfance…
Oui, sur la ferme de mes parents.

C'est un milieu que vous connaissez bien, et qui est très éloigné de l’idéal fantasmé que peut se faire le citadin de la vie à la ferme. Ce n’est pas le seul sujet du film, mais c’était important pour vous de l’aborder?
Oui, parce que ce n’est pas un milieu qu’on représente souvent. Il a été représenté dans le passé, mais de manière très idéalisée et très folklorique. Il y avait donc un désir d’incarner ça dans le réel, en 2011, de dresser un portrait de l’agriculture moderne avec ses moins beaux côtés. Je voulais aussi montrer la dureté de ce travail, la solitude, l’incommunicabilité. Je fais de la fiction, je raconte des histoires. Il n’y a pas de message social, mais il y avait un désir de poser un regard très actuel là-dessus.

Justement… j’ai l’impression que votre approche évolue pendant le film. Pendant le premier tiers, on est dans le réel, presque immergé dans cette réalité. Et à partir du tiers du film, un événement important se produit et j’ai l’impression qu’à ce moment vous nous entraînez vers la fiction! C’est une volonté de votre part de nous plonger dans le réel pour ensuite nous entraîner vers la fiction?
C’est exactement ce que j’ai essayé de faire. Je pense que c’est une histoire de point de vue aussi. Au début, on est dans un point de vue très documentaire, le point de vue du fils. À partir de l’accident, le point de vue bascule vers celui de la mère. Et dans le dernier tiers, le point de vue change encore. Et oui, à un moment donné, je prends plaisir à la fiction, avec l’arrivée de Pierre, cette espèce de survenant moderne, qui nous éloigne du documentaire, mais que je trouvais très important pour hameçonner le spectateur…

C’est marrant car vous parlez du fils et de la mère… Pour moi, il y a Jean (Luc Picard) dans la première partie, qui correspond au réel, et dans la deuxième partie, il y à Pierre (François Papineau), qui incarne la fiction! Et il y a une opposition très forte entre ces deux personnages… N’avez-vous pas eu un peu peur d’aller trop loin dans cette antinomie? Ce sont vraiment les deux contraires…
À un certain moment, les deux personnages devaient même être joués par le même acteur. Mais on poussait l’idée à son paroxysme et on trouvait que ça devenait un peu affecté. Comme on voulait que le film reste réaliste, près des émotions, on a abandonné cette idée… mais effectivement, avec Pierre, on est totalement dans la fiction!

(…)

Le travail des acteurs, notamment dans la première partie, est impressionnant. Le métier d’un acteur, c’est d’être quelqu’un d’autre… mais dans les gestes du quotidien de l’éleveur, il y a un réalisme impressionnant! Je sais que ce sont de grands acteurs, mais on a vraiment l’impression qu’ils ont fait ça toutes leurs vies!
C’était une priorité pour moi d’être le plus réaliste possible dans ces faits et gestes là! Donc tous les acteurs sont venus à plusieurs reprises sur la ferme avec mes parents. Les acteurs sont de fins observateurs aussi! Mais pour une scène comme le vêlage, ils n’ont pas été livrés à eux-même, mais ils devaient en voir un avant et il n’y en a pas eu. C’était le show must go on… et ils ont fait ça à l’instinct. Mais mes parents étaient là pour les guider, je les guidais également. Je connais ce milieu par cœur aussi. Chaque geste qui n’était pas parfait, on le refaisait. Ce sont des grands acteurs, mais ils ont été d’une générosité sans bornes...

Vous êtes réalisateur et scénariste du film. Vous parliez de littérature toute à l’heure. À la base, vous avez eu envie de raconter vos premières histoires avec la littérature ou le cinéma? Vous êtes plutôt porté sur l’écrit ou les images?
Je suis plus images… Ma première envie est de construire des images, puis de raconter des histoires avec ces images. J'écris par besoin, mais le réalisateur est beaucoup plus fort. Je ne pense pas écrire mes films toute ma vie!

Justement, avez-vous eu envie de vous associer à quelqu’un pour l’écriture, même si l’histoire est personnelle?
C’est un film vraiment très personnel, un film que je porte depuis longtemps. Il n’a jamais été question de l’écrire avec quelqu’un d’autre. Mais pour l’avenir, on verra. Le prochain, je l’écris seul, mais j’ai travaillé sur un projet télé où j’étais coauteur et je trouve très stimulant d’être challengé dans les idées et dans les points de vue. Pour l’avenir, ça reste donc très ouvert!

Vous parlé de votre prochain film, qui sera donc une adaptation d’un roman. Vous pouvez nous en dire un peu plus?
Oui, ça s’appelle La Canicule des pauvres, de Jean-Simon Desrochers (éditions Les herbes rouges, ndlr), qui se passe en milieu urbain, dans un Red Light, un milieu de prostitution, de junkies. Ça sera un film choral… on suivra plusieurs personnages qui habitent le même édifice. C’est un des meilleurs livres que j’ai lu depuis très longtemps. C’est un roman très chargé (700 pages)…

C’est vous qui êtes allé vers ce roman?
Non, mon producteur avait acheté les droits et me l’a donné… je suis tombé littéralement en amour avec le roman, et avec l’auteur qui a abandonné son livre dans mes main. J’en fais donc pas mal ce que je veux!

Et donc, vous en ferez l’adaptation seul…
Pour le moment oui… après, on verra. Mais je pars la machine seul car il faut vraiment que cette histoire devienne mienne, et j’en suis vraiment au début du développement!

Propos recueillis à Montréal le 5 octobre 2011 par Jean-Marie Lanlo
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