28 mars 2012

Entrevue avec Martin Gignac (auteur du livre Arrêt sur l'image)

Le journaliste et critique Martin Gignac vient de publier son premier livre intitulé Arrêt sur l’image, 41 portraits de cinéastes québécois. Nous l’avons rencontré pour lui permettre de nous en dire un peu plus sur son ouvrage... et sur le cinéma québécois!

Pouvez-vous nous présenter votre livre?
Mon livre s’appelle Arrêt sur l’image, 41 portraits de cinéastes québécois. C’est un livre d’entrevues avec des cinéastes québécois qui œuvrent dans la fiction. Autant des vieux de la vieille qui ont façonné le cinéma québécois dans les années 60 comme Michel Brault ou André Forcier dans les années 70, que des petits nouveaux prometteurs... des valeurs sûres comme Xavier Dolan, Bernard Émond, Philippe Falardeau ou Denis Villeneuve, mais aussi des personnes qui ont fait un ou deux films comme Maxime Giroux, Rafaël Ouellet, Stéphane Lafleur ou Yves Christian Fournier. C’est un livre qui s’adresse à monsieur et madame Tout-le-monde. Les portraits sont assez court. Je ne voulais pas trop tomber dans l'hermétique ou dans l’analyse. Les personnes parlent de leurs parcours, d’où ils sont venus, s’ils ont toujours baigné dans le cinéma ou non, des films qu’ils ont faits, des étapes importantes, des thèmes récurrents. Ils donnent aussi leur avis sur l’état du cinéma québécois, et abordent les questions d’argent et de création. C’est comme un livre de référence, il n’y en a pas tant que cela au Québec avec autant de personnes. C’est ma modeste contribution.

À l’arrivée, on a l’impression que le livre parle presque autant, si ce n’est plus, de l’état du cinéma québécois que des différents réalisateurs rencontrés. C’était un objectif de départ? Vous saviez que vous alliez dans cette direction?
Je savais pas mal dès le début que je voulais terminer à peu près chaque entrevue avec le maintenant et le demain de chacun. Donc, oui, on parle de l’état du cinéma québécois car c’est avec l’état qu’on détermine si un cinéaste va pouvoir évoluer, poursuivre sa percée, sa pensée, et si d’autres vont pouvoir apparaître. Donc, oui, ça prend beaucoup de place... j’espère que ça ne prend pas toute la place non plus!

Justement, le livre est très court! Vous avez dû élaguer beaucoup!
Oui!

Quels sont les choix que vous avez faits dans l’élagage?
Ce sont toujours des choix déchirants! C’est vrai que pour certaines personnes, il y a deux ou trois pages. D’autres en ont quatre ou cinq! Il fallait vraiment aller à l’essentiel. Pour certaines personnes qui ont fait une vingtaine de film, c’est très difficile. (...) J’ai laissé parler le plus possible les gens. Même si ce n’est pas sous format questions-réponses, il y a énormément de citations. Je voulais quelque chose de court, de précis, de clair. Parfois je pense à ma soeur ou à mes parents qui ne connaissent pas nécessairement le cinéma québécois. (...) Je voulais quelque chose qu’on peut presque laisser dans une salle de bain, et lire dans le désordre. (...) Ça aurait pu être plus complexe, mais ça peut aussi inciter le lecteur à se dire "c’est intéressant" et lui donner envie de fouiller d’avantage (...). Mais si je fais une suite avec des gens du documentaire ou avec d’autres personnes que je n’ai pas rencontrées pour ce livre, comme Podz, Sébastien Pilote, Guy Édoin, ça sera peut-être plus en profondeur dans certains aspects...

Donc, vous vouliez un livre qui s’adresse vraiment à tout le monde?
Oui.

Vous vouliez que la personne qui n’a pas de connaissances particulières dans le cinéma québécois...
Puisse quand même être intéressé par sa lecture. Quelqu’un qui est calé dans le domaine en apprendra peut-être moins, ce qui est normal, mais il pourra apprendre des choses... découvrir que Denis Côté pense ça ou que Micheline Lanctôt évolue comme ça...

C’est un moyen aussi de faire venir un grand public à des choses comme les histoires de financements par exemple... et lui faire prendre conscience qu’il y a des différences de vision... et des difficultés! C’était aussi un objectif?
Oui, tout à fait. C’est d’ailleurs un mélange de cinéastes commerciaux et de cinéma d’auteurs plus pointus, qui vont presque s’affronter.

En effet, ces 41 cinéastes sont très différents. Quels ont été vos critères pour dresser cette liste? Pourquoi eux?
Il y en a plus, ça c’est sûr. Malheureusement, certains sont décédés... on ne peut donc plus compter avec! Il y a aussi trois ou quatre autres choix que j’aurais aimés, des personnes qui ont refusé (...).

Car ce ne sont pas forcément les cinéastes que vous préférez qu’on retrouve dans le livre?
Non, bien sûr... sinon, il y en aurait eu moins, ou il y en aurait eu d’autres... Je voulais vraiment couvrir la palette de la cinématographie du Québec à la fois dans le drame, dans le suspense, dans la comédie... avec des gens qui ont marqué le cinéma québécois. C’est un cinéma assez jeune. Avant les années 60, il existait difficilement, avec l’ONF. Qui est encore en vie? Qui a fait des films importants et va vouloir me parler? Là-dessus, des noms sont ressortis, décennies par décennies... j’ai revu plusieurs films... cela permet de sentir un cinéaste se développer, évoluer... certains semblaient avoir une vision intéressante. J’ai aussi essayé d’aller chercher des femmes, même s’il n’y en a pas tant que ça! J’ai aussi abordé Pierre Falardeau avant qu’il ne meure, mais il était malade et a décliné. Mais j’ai eu Chloë Sainte-Marie pour Gilles Carles, et nous avons fait une entrevue deux mois avant son décès. (...)

Et vos plus grands regrets? Léa Pool...
Oui, et Denys Arcand bien entendu... que j’ai relancé au début du projet, à la toute fin également. Il m’a dit oui, mais ça ne s’est pas concrétisé car il travaille sur un nouveau film. Il y a aussi Jean-Marc Vallée et Robert Lepage, qui n’était pas libre avant deux ans!

À mes yeux, deux cinéastes auraient été intéressants parmi ceux qui ont de l’expérience: Jean-Pierre Lefebvre et Denis Héroux, qui tous les deux représentent deux courants opposés du cinéma québécois des années 70, avec un cinéaste commercial (qui est devenu un producteur important) et un cinéaste plus indépendant, plus auteur. Vous avez pensé à ces deux là?
Oui, j’y ai pensé. Jean-Pierre Lefebvre a fait beaucoup plus de documentaire que de fiction... mais j’y ai vraiment pensé. Je me suis finalement dit qu’avec Jean Baudin ou Fernand Dansereau, j’en avais déjà deux ou trois de la même génération. Pour Denis Héroux, oui, j’y ai pensé. Je l’ai déjà rencontré pour un article il y a quelques années à propos de Valérie et de L’initiation. Ça aurait pu être intéressant. Mais en faisant des recherches, je me suis aperçu que c’est un des cinéastes qui a été le plus interviewé pour l’impact de son cinéma à un moment donné. (...) Finalement, je ne l’ai pas retenu!

Mais beaucoup sont dans votre livre. On en a cité certains... on pourrait ajouter...
Anaïs Barbeau-Lavalette, Simon Lavoie...

(...)

On constate que les réalisateurs ont des avis très différents sur le système. Vous les laissez parlez sans leur faire part d’avis contradictoires. Pourquoi ce choix? Pour rester dans l’esprit d’un livre synthétique peut-être?
(...) J’ai toujours voulu écrire un livre, et je me suis dit naïvement que ça allait être peut-être plus facile de commencer avec quelque chose d’objectif. Ce qui n’est pas nécessairement plus facile car il y a plus de contraintes et moins de libertés. Donc, je ne voulais pas intervenir plus qu’il ne le faut. Ça aurait pu être intéressant, mais certains cinéastes sont dans le métier depuis 30 ans... qui suis-je pour remettre en question ce qu’ils disent? L’exercice aurait pu être intéressant... mais peut-être pas pour un livre. Pour des articles ou des discussions dans des revues spécialisées dans le cinéma, cela aurait pu être très intéressant. En même temps, dans le livre, à part l’introduction de Roland Smith (propriétaire du Cinéma du Parc, ndlr), il n’y a pas d’opinion. Mais comme les textes sont courts, précis, concis, l’auteur choisit tout de même ce qu’il garde. Il y a donc un peu une prise de position, même si elle n’est pas évidente. (...)

J’ai envie de revenir à vous. Vous êtes critique depuis près de dix ans, vous connaissez bien le milieu. Mais les rencontres réalisées dans le cadre du livre (qui sont particulières, longues, dans lesquelles vous abordez à la fois la carrière des cinéastes et le système) vous ont-elles permis de voir le milieu du cinéma québécois d’une manière différente, d’ouvrir les yeux sur certaines difficultés par exemple?
C’est sûr que oui... (...) Certains aspect ont beaucoup d’importance: le temps passé pour faire un film, le fait qu’un film ne fera jamais d’argent au Québec... donc faire un film pour qu’il marche ou pour qu’il soit exporté, c’est vraiment rentrer dans le mur. Mieux vaut essayer de faire moindrement de l’art, ou à la limite quelque chose de divertissant et de qualité. Bernard Émond ou Catherine Martin, deux cinéastes que j’adore, m’ont fait part d’une même remarque: dans le temps, il y avait plein d’endroit où voir du cinéma de répertoire, la télévision diffusait des films d’Antonioni, de Fellini, de Bergman ou d’Ozu... cela pouvait construire ou former des cinéastes en devenir, mais aussi des cinéphiles, donc des spectateurs. Maintenant, cela se perd. (...) Il y a eu à ce niveau un gros changement entre le avant et le maintenant. (...) Certains cinéastes me disent qu’il y a autant de bons films québécois qu’avant, ou peut-être plus, mais les gens n’arrivent pas à les voir. Les films restent une semaine à l’affiche car ils ne font pas d’argent. On est conscient de ces problèmes lorsqu’on est dans le milieu, mais pas autant qu’en parlant avec les cinéastes.

On voit aussi dans le livre...
Il y a un autre exemple, dans le texte de Rafaël Ouellet. Il me parlait d’une de ses amies qui étudiait au cinéma à Montréal au cegep. Le professeur avait demandé "Qui connait le cinéma ExCentris?". Pour les gens qui habitent à Montréal et qui étudient en cinéma, c’est quand même la principale source pour découvrir quelque chose, avec le Beaubien ou le Parc. Les ¾ de la classe ne le connaissaient pas. Ce sont des gens qui veulent faire du cinéma dans trois ou cinq ans... C’est un peu plate pour la suite des choses! Il me semble qu’il faut avoir un minimum de curiosité!

Il y a quelque chose d’assez terrible dans le livre, c’est quand Paule Baillargeon dit qu’en 1977 je crois, ils n’étaient que deux cinéastes québécois à sortir un film. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de films, mais à côté de ça, les gens ont beaucoup moins la culture du cinéma.
Oui, ils n’ont pas d’endroit pour l’avoir, ils n’ont pas été habitués. Cela peut venir de l’éducation, des parents. On parle de cinéma, mais c’est la même chose en littérature ou en musique. (...) Il est clair que dans 20 ou 30 ans, les films de Terrence Malick, de Iñárritu, de Lars von Trier ou de Béla Tarr seront joués dans les festivals, mais c’est tout.

Denis Côté est dans le même lot...
Oui, Bernard Émond, Stéphane Lafleur, qui fait d’excellents films, mais qui n’est pas reconnu, même pas par ses pairs… je pense aux Jutras! C’est un peu décevant et douteux. Dans le livre, je ne sais plus qui me donne cet exemple : c’est la mode d’aller au FNC car les grands noms sont là. Almodovar est là, Shame est là… alors que si le même film passe le reste de l’année, les gens ne vont pas le voir! Polisse a à peine franchi le 100.000 dollars et c’est un excellent film! Une Séparation, même si on se fout du Box-office, il ne va pas si bien que ça! Pourtant c’était sold-out quand il est passé au FNC. Quand je vais à la Cinémathèque québécoise, il y a huit personnes dans la salle. (…) Il faut voir un peu autre chose que ce qu’on voit normalement. Je n’ai rien contre les films américains, j’adore Darren Aronofsky, James Cameron a déjà fait des très bons films, ou Michael Bay dans le temps (ça fait longtemps!), mais il faut être ouvert, se laisser aller, ne pas trop réfléchir…

Mais pour conclure sur une note plus positive… qu’est-ce qui fait pour vous la force du cinéma québécois?
(…) Je pense qu’on peut faire aussi bien que le cinéma hongrois ou français avec le même coût. On a le talent pour le faire, on a la compétence, la technique (que ce soit à la caméra ou au son)… mais il faut laisser aller notre authenticité! Bon… est-ce que l’argent de la Sodec ou de Téléfilm Canada le permet ou préfèrent-ils des choses plus sécuritaires ou plus souple? Mais pour répondre en un mot, c’est la créativité qui fait l’unicité du cinéma québécois.

Entrevue réalisée par Jean-Marie Lanlo à Montréal le 27 mars 2012

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