Un lundi matin, Paul Wertret (Jean-Pierre Darroussin) se rend à son travail. Il entre dans le bureau d’un de ses supérieurs (Xavier Beauvois) et l’abat froidement avant de reproduire le même geste sur un second (Yannick Renier). Calmement, il se dirige vers son bureau et revoit les événements qui l’ont conduit à l’irréparable.
Réalisateur: Jean-Marc Moutout | Dans les salles du Québec le 23 mars 2012 (Funfilm Distribution)
En proposant au spectateur la tuerie dès le début du film, Jean-Marc Moutout affirme clairement qu’il ne cherche pas à nous surprendre. Le véritable enjeu de De bon matin est en effet la compréhension des raisons qui ont poussé Paul Wertret à cet acte. Pour ce faire, il a recours à une succession de retours en arrières non chronologiques. Si un tel exercice est toujours délicat, Jean-Marc Moutout parvient assez facilement à expliciter les raisons qui ont poussé cet homme au désespoir : une implication corps et âmes dans sa vie professionnelle au détriment de sa vie familiale; une ambition l’aveuglant de plus en plus, jusqu’à lui faire oublier son rôle de vulgaire pion au service d’une structure bien trop grande pour le considérer suivant ses mérite; l’impression que le monde s’écroule lorsqu’il voit les tâches qu’on lui confit devenir de plus en plus subalternes, etc. En croyant s’affirmer par la réussite professionnelle, il ne faisait que se bercer d’illusions et fuir la réalité. Le retour à la cruauté du monde de l’entreprise n’en a été que plus dur.
Cependant, si le film montre parfaitement ce premier aspect, il est moins convaincant pour expliquer le glissement du désespoir à l’acte, de l’humiliation à la folie criminelle. Ici, l’explication minutieuse des faits n’est plus suffisante. Un cheminement intellectuel ne conduit pas au carnage. Seule peut y mener une pulsion viscérale, une souffrance si profonde qu’elle échappe à la logique et à la réflexion. Le regard froid porté par Jean-Marc Moutout, ses cadres précis, le jeu hyper intériorisé de Jean-Pierre Daroussin ou le refus de compassion excessive envers le personnage part probablement d’un refus fort louable de céder à la facilité. Malheureusement, à force de froideur, le personnage finit par perdre toute part d’humanité. Après 45 minutes, nous avons compris les raisons de son désespoir… nous attendrons en vain de comprendre sa chute vers la folie meurtrière. Elle nous restera toujours étrangère, incompréhensible, improbable.
Si le film montre habilement comment l’entreprise peut conduire l’homme à la servitude volontaire en le poussant à tous les sacrifices sans lui témoigner en échange la moindre compassion, il ne parvient jamais vraiment à présenter le revers de la médaille, celui de l’humain, de sa souffrance et des conséquences possibles.
De bon matin est un film de qualité très respectable, une œuvre appliquée, bien dirigée, bien filmée, indéniablement à voir… même si elle ne parvient à traiter efficacement que la moitié de son passionnant sujet.