10 novembre 2014

Cinemania 2014: La belle vie ***½

Réalisateur : Jean Denizot

D'abord, il serait tentant de pointer la remarquable synchronie avec laquelle ce premier et beau film de Jean Denizot nous parvient au Québec, soit à peine quelques jours après la sortie en salles françaises du dernier opus de Cédric Khan, intitulé La vie sauvage. Outre leurs titres, c’est vers leur sujet d’inspiration qu’il faut attirer l’attention du spectateur. En effet, Denizot et Khan se sont tous deux intéressés à la trouble affaire de Xavier Fortin qui, après que la justice française lui ait retiré la garde de ses enfants, a décidé de prendre la fuite avec eux, et ainsi vivre dans la marge de la société.
Au lieu de relater la cavale consentie avec les enfants tout au long des 11 ans de clandestinité ‒ période sur laquelle justement se focalise Khan dans son film‒, Denizot se concentre plutôt sur les dernières semaines qui ont précipité la séparation définitive du trio. Dans sa première partie, La belle vie dépeint une existence tranquille, en apparence normale, sinon qu’elle se vit retirée du monde, et dans la promiscuité d’une caravane partagée. La vie suit son cours mais la frustration gagne du terrain, particulièrement chez Pierre, le plus vieux des deux fils, lassé des discours continuels de son père sur la société corrompue et sur leur supposée liberté... jusqu’au jour où il s’esquive définitivement, se promettant enfin la belle vie. Cette brisure au sein du trio marque un tournant autant pour les protagonistes que pour le film lui-même, axant du coup son récit sur le duo restant. Sur une péniche, Sylvain et son père vivent ensemble, encore plus seuls, isolés de tout, sans possessions, partageant confidences et souvenirs intimes. Le Mud de Jeff Nichols n'est pas trop loin. Derrière ces paysages de la Loire magnifiés par une lumière d’été rayonnante, une menace constante et sourde s’agite (seront-ils découverts, trouveront-ils un nouvel abri sûr?).
Confronté pour une première fois à l’amour qui s’offre à lui (prétexte à une très jolie scène), ou encore au confort longtemps oublié d’un foyer familial, Sylvain reconnaît vite, non sans une tristesse palpable, que sa vie est ailleurs, loin de cette fuite insensée avec son père aimant mais également manipulateur, loin des mensonges multipliés et de la douleur de l’absence maternelle. Une rupture avec le père que Denizot saisit dans un dernier acte comme passage obligé vers l’âge adulte, avec une infinie tendresse et douceur… Le film aurait pu sombrer dans une mièvrerie, voire dans le manichéisme facile, mais il est tout le contraire. Denizot relève le défi remarquablement, en démontrant un refus de tout jugement moral et un regard de metteur en scène admirablement juste sur ses personnages.
Toutes ces qualités finissent par faire de La belle vie une très belle réussite!
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