21 février 2019

★★★ | Tout le monde le sait / Everybody Knows (Todos lo saben)

Réalisé par Asghar Farhadi. Dans les salles du Québec le 22 février (Séville)
Tout le monde le sait a laissé plein de gens indifférents lorsqu'il a été présenté en ouverture du dernier Festival de Cannes et ce n'est pas un hasard. Il s'agit de la création la plus ordinaire d'Asghar Farhadi depuis des lustres. Cela ne l'empêche pas de passionner avec parcimonie.
Comme dans son brillant À propos d'Elly qui l'a révélé à l'échelle planétaire en 2009, ce huitième long métrage naît à nouveau d'une disparition (L'avventura d'Antonioni a dû le marquer en bas âge). Une adolescente a été kidnappée et sa mère (Penélope Cruz) demande à son ancien amoureux (Jarvier Bardem) de l'aider à la retrouver.
Des fausses pistes à la multiplication des suspects, en passant par des retournements de situations attendus, le cinéaste iranien joue la carte du polar à la Hitchcock. Malheureusement, le suspense est complètement inopérant. 
Le film est surtout  comme toujours chez lui — un portrait de famille tendu et une étude des rapports entre les classes sociales. Le spectre de Chabrol n'est jamais bien loin, humour en prime (involontaire ou pas), avec ce combat psychologique et économique entre riches et pauvres, qui aura des conséquences désastreuses. À cet effet, la conclusion moralement douteuse — une autre marque de commerce après celle du Client — ne manquera pas d'ébranler.
Le scénario à tiroirs, où le manque de communication et les bonnes intentions compliquent la situation, commence à ressembler à une recette éprouvée et Farhadi ne surprend plus. Il a beau changer de pays — ici l'Espagne après la France du beaucoup plus accompli Le passé —, il sera toujours question d'échanges verbaux et de dilemmes moraux entre barbus.
Au moins les paysages sont différents, et le réalisateur s'applique à tirer profit de ce lieu en jouant justement sur sa lumière et les possibilités de ses ingénieux angles de caméra. Cela se fait ressentir dans la première partie, plus cinématographique que la seconde. Dommage que son symbolisme sur le passage du temps ne soit pas plus subtil.
Le constat s'applique également à l'interprétation. Cruz et Bardem en font parfois des tonnes, ce qui est moins dommageable pour le second. Ils sont heureusement entourés de solides comédiens, dont Ricardo Darin en père éploré.
Sans être un mauvais film, Tout le monde le sait manque de cette finesse unique qui faisait des précédentes offrandes d'Asghar Farhadi des objets d'exception. Peut-être est-il venu le temps pour lui de se remettre en danger.
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