6 mars 2020

★★★★ | Mektoub, My Love: Canto Uno

Réalisation : Abdellatif Kechiche | Dans les salles du Québec le 6 mars 2020 (MK2│Mile End)
Les cinéphiles n'espéraient plus la sortie en sol québécois de Mektoub, My Love: Canto Uno, qui a été présenté à la Mostra de Venise en… 2017! Surtout pas après l'accueil assassin réservé à sa suite Intermezzo à Cannes l'année dernière. Mais les miracles peuvent survenir et l'attente valait la peine.
Évidemment, la mode est de vilipender son créateur Abdellatif Kechiche et de le traiter de voyeur, de libidineux. Le cinéaste aime filmer les corps jeunes et il se laisse aller pendant près de trois heures au sein d'une intrigue en apparence inexistante.
Il faudrait toutefois voir plus loin que le bout de son nez. Après une entrée en matière percutante qui baigne dans le sexe érotique de son précédent La vie d'Adèle, l'auteur de L'esquive se transforme en Éric Rohmer, remplaçant les mots par des regards, de la transpiration. À l’occasion de vacances d'été, il arrive à créer une utopie, un fantasme de perfection où les femmes sont séduisantes, les hommes généralement entreprenants, les dents toujours blanches, etc. Tout cela par l'entremise d'un jeune héros qui préfère se taire plutôt que d'agir et de se laisser aller comme son cousin et sa meilleure amie.
Fidèle à ses habitudes depuis La graine et le mulet, Kechiche allonge le temps. À tel point que le spectateur n'a plus l'impression d'être au cinéma, mais dans la vie réelle à discuter ou à manger des spaghettis. Un traitement immersif et naturaliste qui permet de se retrouver à la plage en train de bronzer ou dans une discothèque à danser. Rapidement, l'âge disparaît et le voyage dans le temps s'opère, à cette époque d'insouciance et de désir, dans le tumulte des hormones. C'est la jeunesse dans toute sa splendeur, qui se rappelle que les pulsions de vie doivent avoir le dernier mot.
Une liberté qui transcende les sens par une utilisation impressionnante du médium, de la lumière et du montage fluide, de cette caméra qui colle à la peau. Mais également des dialogues, si finement écrits et naturels, qui pourraient presque s'apparenter à de l'improvisation. Quant aux interprètes, professionnels ou pas, ils ont tous la gueule de l'emploi.
Le plus ironique est que cette œuvre d'exception prend l'affiche exactement le même jour que Roubaix, une lumière d'Arnaud Desplechin, autre fresque immense, sans doute plus crépusculaire celle-là. Le choix sera déchirant et il faudra voir les deux. D’autant plus que le cinéma de Kechiche se fait extrêmement rare et rien ne dit que Intermezzo prendra un jour l'affiche, ici ou ailleurs.
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